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[Compte-rendu] Kodjo Attikpoe, Figures du social dans la littérature de jeunesse francophone Empty [Compte-rendu] Kodjo Attikpoe, Figures du social dans la littérature de jeunesse francophone

par John Mer 28 Oct 2009 - 23:34
On m'a transmis le compte-rendu de lecture suivant : je vous en fais donc part à mon tour. C'est un livre qui peut être intéressant pour étudier la littérature jeunesse en collège, même si ce n'est pas une anthologie mais un panorama critique. Je trouve qu'il peut être utile pour préparer des concours, ou au C.D.I. pour approfondir sa connaissance sur les ouvrages de littérature jeunesse.

Kodjo Attikpoé (dir.), L’inscription du social dans le roman contemporain pour la jeunesse, éd. L’Harmattan, coll. « Références critiques en littérature d’enfance et de jeunesse », Paris, 2008

C’est un ouvrage tout à la fois étonnant et stimulant que celui réalisé sous la direction de Kodjo Attikpoé, docteur ès Lettres de l’Université de Francfort-sur-le-Main, et spécialiste de la littérature de jeunesse francophone et germanophone. Le volume se distingue en particulier par la grande diversité des textes envisagés, qui appartiennent aux aires géographiques les plus diverses – de la Norvège à la Nouvelle-Calédonie, et du Québec à l’Afrique centrale. C’est là l’un des plus grands intérêts de l’ouvrage : nous emmener à la découverte de la « littérature-monde », guidés, en parcourant les diverses aires culturelles étudiées, par les différents spécialistes de la littérature de jeunesse qui ont apporté leur contribution.

Dans la première partie, intitulée « Univers social et enjeux axiologiques », les contributeurs analysent la représentation de la société dans le roman contemporain pour la jeunesse sous l’angle des valeurs morales qui la sous-tendent. Cela n’implique en aucun cas que les récits de jeunesse contemporains aient forcément une visée moralisante ou moralisatrice.

Claire Le Brun étudie tout d’abord les récits de science-fiction québécois. A l’appui des romans de Francine Pelletier et d’Esther Rochon, elle montre comment l’écriture de la science-fiction au féminin, inspirée par Ursula le Guin, s’inscrit dans la « montée du féminisme » (p. 37). Les auteurs de science-fiction, et en particulier Joel Champetier, Jacques Lazure et Yves Thiériault, s’interrogent quant à eux sur la nature et l’évolution des identités culturelles, qui se menacent, se détruisent et disparaissent. Enfin, par le biais de la dystopie, « la science-fiction projette dans une société du proche avenir les inquiétudes présentes » (p. 45) en matière de bioéthique, mais aussi en ce qui concerne le pouvoir grandissant de l’image et des mondes virtuels. La science-fiction devient alors « le support de la critique sociale et de l’interrogation philosophique » (p. 47).

Après avoir étudié la présence du thème de l’exclusion sociale dans les différents genres romanesques à destination des jeunes lecteurs (science-fiction, romans historiques,…), Françoise Ballanger analyse « la multiplicité des figures de l’exclusion » (p. 56) et dresse la typologie des marginaux selon leur importance dans le roman : figures fugitives, personnages secondaires ou héros de l’intrigue. Dans ce dernier cas de figure, la description de l’exclusion conduit parfois à un message « teinté d’espoir » (p. 60), en particulier lorsqu’elle met en scène l’amour familial et l’amitié. F. Ballanger montre alors que le but de sensibilisation de ces romans passe non par l’affirmation d’un message explicite, mais par la mise en œuvre d’effets de style spécifiques et par l’originalité ou la multiplicité des points de vue dans la narration. Cette « leçon d’humanité » (p. 68) n’est ainsi pas dépourvue de qualités littéraires et esthétiques, qui en fondent l’efficacité.

Sonia Faessel étudie quant à elle les représentations de l’enfant ainsi que les références européennes à l’œuvre dans les romans tahitiens et néo-calédoniens pour la jeunesse. Elle montre que ces romans sont porteurs d’une vision favorable de valeurs traditionnelles comme l’amitié et la famille. Ils ont pour buts avoués, au prix d’une idéalisation parfois excessive du monde pré-colonial, de « donner à l’enfant des repères et une identité culturelle à travers l’histoire, le quotidien et les mythes » (p. 88) et de faire de l’enfant un médiateur entre les cultures. On reconnaît ainsi dans les romans tahitiens et néo-calédoniens « les préoccupations actuelles de ces deux territoires en voie de décolonisation : […] vivre ensemble dans le respect de sa propre culture et de celle des autres, préserver le patrimoine, être soucieux de l’environnement. » (p. 90)

Bertrand Ferrier, dans un article de registre assurément polémique, étudie ce qu’il appelle « le syndrome Picsou » dans « les représentations de la hiérarchie sociale » chez Jean Molla. Il étudie sous les angles économiques, politiques et culturels, la « leçon de morale sociale » (p. 95), que l’auteur entend donner à ses lecteurs : « prenons conscience des différences sociales, afin d’intégrer à notre tour la hiérarchie sociale et de rentrer dans le rang en toute connaissance de cause » (p. 100). Les romans de Jean Molla proposent ainsi une « formidable leçon d’hypocrisie », « astuce casuistique pour aider les jeunes lecteurs à accepter ce qui pourrait les choquer » (p. 100) et sont selon Bertrand Ferrier « des vecteurs de sensibilisation à la morale légitime, celle d’un anti-libéralisme bien tempéré » (p. 109). B. Ferrier se demande, en conclusion, si ce n’est pas justement dans ce genre de « légitimation des stéréotypes sociaux » que se niche « le risque de médiocrité que courent les romans pour adolescents lorsqu’ils privilégient la morale au détriment du jeu littéraire. » (p. 116).

R’kia Laroui analyse, dans les romans de jeunesse québécois, la façon dont « les personnages féminins […] se cherchent et cherchent leur place dans le système social ».
S’appuyant sur des exemples précis (Josée Fréchette, Michèle Marineau, Raymond Plante…), R’kia Laroui montre que ces romans « valorisent une image de la féminité épanouie et assumée » (p. 132) et font « éclater les modèles sexuels normatifs » pour mettre en place « une relation égalitaire et harmonieuse entre le féminin et le masculin » (p. 133). Ils délivrent ainsi « un message d’ouverture » (p. 134) pouvant favoriser la construction identitaire des jeunes.


La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « Avatars du familial et configurations sociales », s’interroge sur la représentation des familles dans le roman contemporain pour la jeunesse. L’évolution actuelle de la notion de « familles » se retrouve-t-elle dans la littérature contemporaine pour la jeunesse ?

Hélène Palanque décrit les romans « réalistes » de Marie-Aude Murail comme les « miroirs des problèmes familiaux et sociaux du lecteur » (p. 137), qui « aident le jeune lecteur à grandir en traçant des chemins de résilience » (p. 138). Marie-Aude Murail offre dans ses romans une image fort peu idéalisée des familles traditionnelles, qu’elles appartiennent aux classes aisées ou moyennes. Au sein des nombreuses familles désunies, les pères sont bien souvent des « figures de la fuite » (p.141) – on s’étonne cependant de lire que l’homosexualité d’un personnage, fût-il fictif, « s’expliquerait […] par le manque d’amour paternel » ! (p. 143) – et les mères y sont généralement coupables d’abandon, ce qui aboutit à « une interrogation sur la pertinence du couple » (p. 147) et à la « création de nouveaux liens affectifs » (p. 149) à la fois dans et hors de la famille : « le père est celui que l’enfant se choisit, et dont l’amour est partagé » (p. 152).

Rose-May Pham Dinh étudie avec une grande précision la question de la famille dans les romans de guerre pour la jeunesse en Grande-Bretagne. Soulignant « l’importance accordée à la famille dans le discours politique contemporain » (p. 160), elle montre comment le traumatisme des évacuations et des séparations a été représenté dans les romans avant 1980. Les romans contemporains se caractérisent néanmoins par une désacralisation du monde adulte et de la famille. Ainsi, la famille est à la fois une source privilégiée de soutien affectif, mais aussi un lieu parfois étouffant dont la guerre révèle les dysfonctionnements.

Kodjo Attikpoé analyse l’omniprésence de la violence dans le roman de jeunesse en Afrique. L’enfant des rues y est à la fois victime et acteur de la violence, et le roman pour la jeunesse est alors vecteur d’une critique sociale afin de dénoncer les « manquements du pouvoir » (p. 185), ou la violence dont sont victimes les enfants-sorciers. La dénonciation de la guerre et de la violence d’état vise à mettre un terme « à l’arbitraire du pouvoir politique » (p. 197), de même que la violence des adultes envers les enfants est stigmatisée et condamnée. L’écrivain se pose alors « en conscience critique des réalités sociales et culturelles » (p. 202).

Dans un article traduit de l’allemand par Kodjo Attikpoé, Idar Stegane rend compte de l’autonomisation croissante de l’enfant dans le livre pour enfants norvégien de la deuxième moitié du 20e siècle. Il prend pour exemples paradigmatiques deux auteurs norvégiens contemporains : Rönnaug Kleiva et Harald Rosenlöv Eeg. A partir d’une analyse précise des deux romans choisis, il montre comment se construit l’identité des jeunes héros, à la fois dans la méfiance face à l’adulte, mais aussi, dans Grand frère d’Eeg, « par la bienveillance de la communauté » et « l’empathie collective » (p. 222).

Claudia Sousa Pereira se penche sur Un miroir pour moi toute seule d’Ana Saldanha, afin d’analyser le passage du conte merveilleux au récit contemporain. Empruntant tout à tout à Blanche-Neige, Cendrillon et La Belle au Bois Dormant, ce texte établit des configurations familiales originales, et mêle aux motifs mythiques des contes anciens des éléments actuels comme le cinéma, la carte de crédit et les drogues. S’entrelacent alors dans le récit le temps mythique et légendaire des fées et le temps de l’écriture, « marque indélébile de son auteur » (p. 240).

Enfin, Hilma van Lierop-Debrauwer étudie le thème de la sexualité dans les romans pour jeunes adultes aux Pays-Bas et en Flandre. Après avoir rappelé la rupture instaurée par le 18e siècle dans la représentation de l’enfant, et « le déni des besoins et sentiments sexuels des jeunes gens » dans la littérature de jeunesse jusqu’aux années 1970, l’auteur relate l’apparition de l’érotisme et de la sexualité d’abord chez les écrivains scandinaves puis chez les auteurs hollandais. Les romans ont alors mis en valeur les aspects physiques et psycho-émotionnels de la sexualité, qu’il s’agisse de relations hétérosexuelles ou non – on est d’ailleurs extrêmement surpris de voir figurer le développement du thème de l’inceste père/fille ou frère/sœur dans le chapitre intitulé « Au-delà des relations hétérosexuelles »…! Ainsi, conclut l’auteur de l’article, « les rapports sexuels ne constituent plus un tabou » dans la littérature de jeunesse (p. 257).


La lecture de l’ouvrage est assurément enrichissante : la diversité et la complémentarité des articles permettent aux contributeurs d’aborder des questions historiques, culturelles, sociales, politiques… et offrent une introduction intéressante à l’étude des littératures de jeunesse au sein de la « littérature-monde ». L’ouvrage n’épuise certes pas les problématiques abordées, mais les articles n’ont pas pour vocation de proposer une étude exhaustive des œuvres et thèmes pris en considération. Cet ouvrage a le mérite d’être accessible au lecteur curieux de découvrir la critique et la recherche actuelles sur la littérature de jeunesse. Cependant, il ouvre également des pistes d’investigation tout à fait originales pour les spécialistes de littérature de jeunesse, en ce qui concerne par exemple la représentation des genres, les rapports entres générations ou la définition de l’autorité dans le récit contemporain pour la jeunesse.

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