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par John Jeu 3 Mai 2012 - 17:00
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Dictionnaires, lexiques, glossaires : comment et pour qui ?

Créé le lundi 2 avril 2012 | Mise à jour le mercredi 2 mai 2012

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Dictionnaires, lexiques, glossaires : comment et pour qui ?

Dictionnaire, lexique et glossaire sont des termes de sens proche, souvent employés les uns pour les autres, nous apprend le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI), réalisé par le laboratoire "Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française" (CNRS - Université Nancy 2).

On accorde volontiers au dictionnaire une ambition d'exhaustivité (tous les mots d'une langue, tous les mots d'un domaine). Le glossaire est établi pour expliquer aux non-spécialistes, avec des mots courants, des termes et expressions très spécialisés utilisés dans un domaine spécifique. Le lexique est la liste des termes employés pour un usage spécifique, qu'il s'agisse d'un domaine (une technique, uns science...), d'un groupe de population ("le lexique des jeunes") ou d'un auteur ("le lexique de Guy de Maupassant").

Le sens juste ou la variété des usages ?



Les langues ont existé bien avant que n'apparaissent les dictionnaires. La création de ces ouvrages a obéi à la volonté de vulgariser le savoir : tant qu'il n'y avait qu'un très petit nombre de lettrés, il n'était pas nécessaire d'établit de dictionnaire. Il a fallu attendre la fin du XVIIe siècle pour voir apparaître les premiers "grands" dictionnaires de la langue française, nous apprend le site Etudes littéraires, sur une page claire et concise consacrée à l'histoire des dictionnaires. Le dictionnaire de Furetière et le premier dictionnaire de l'Académie française témoignent de prises de position différentes chez leurs auteurs : alors que le premier souhaite consigner dans son ouvrage le sens des mots tels qu'ils se parlent et s'écrivent, les académiciens privilégient le bon usage, le sens juste : "Accusé d’avoir détourné à son profit le travail de l’Académie, Furetière a répondu à ses calomniateurs dans trois factums successifs en expliquant que si l’objet de l’Académie était de fixer « la politesse de la langue », sa propre aspiration était d’«en faire voir l’abondance ». Aux uns la norme et ses rigueurs, aux autres le langage et ses richesses que révèle le recours aux citations d’auteur. (...) Aux 40 000 mots colligés par leur collègue entré en dissidence, l’Académie opposera un lexique de 8 000 mots, imprimé dans l’urgence en 1694, quatre années après le dictionnaire d’Antoine Furetière,mort de lassitude avant qu’ait pu paraître l’oeuvre de sa vie.", lit-on dans un remarquable article (ancien) du Figaro consacré à l'histoire des dictionnaires.

L'apparition des dictionnaires Littré et surtout Larousse au XIXe siècle va faire pencher les dictionnaires les plus courant du côté des vulgarisateurs : le dictionnaire s'oriente définitivement vers une description aussi exhaustive que possible de la langue telle qu'elle s'utilise. Certes, le dictionnaire de l'Académie française existe toujours, mais son rythme de publication, extrêmement lent, et sa faible diffusion, due à un format peu maniable, le relègue à un groupe d'usages très spécialisés. Le XXe siècle verra disparaitre le dictionnaire Littré, et apparaître le deuxième champion des dictionnaires populaire, le dictionnaire Robert et toutes ses déclinaisons.

Concevoir un dictionnaire : un travail collectif de spécialistes



Sur le site du Robert justement, on trouvera le détail des étapes conduisant à la mise à jour régulière du dictionnaire de langue française : cela commence par un important travail de documentation, visant à repérer les nouveautés : "Notre mission : traquer les néologismes, les nouveaux sens des mots, l’apparition d’expressions, de graphies, de locutions, voire de catégories grammaticales. Nos outils : à peu près tout ce qui s’écrit, sur le papier, sur Internet, jusqu’au catalogue de consommation, une source très représentative des modes de vie ! Seule la terminologie trop spécialisée, trop éloignée de l’usage courant est écartée. Tout ce que l’on trouve est intégré à une base de données, qui répond à deux critères : cohérence et fiabilité". Le comité éditorial se réunit ensuite pour fixer la liste des termes à intégrer à la prochaine édition : "Nous nous rencontrons pour débattre spécifiquement des sélections de mots nouveaux. Et c’est essentiel : c’est là que se décide l’avenir des mots qui « postulent » à l’entrée dans le Petit Robert. Les débats se concluent par un vote, qui entérine le choix du plus grand nombre". Puis les lexicographes entrent en scène, qui établissent les définitions des mots et sélectionnent les exemples, à partir du travail réalisé aux étapes précédentes et de leurs propres observations : "Notre intuition linguistique, alliée à notre attention constante, sont les fondements de notre savoir-faire. Quand on lit, écoute la radio, regarde la télévision, ou discute avec des amis, mine de rien, on guette les emplois nouveaux de mots et autres néologismes. Bref, on travaille encore sur le langage. Une passion".

On constate donc que l'élaboration d'un dictionnaire requiert le concours de nombreux spécialistes. A une échelle moindre car cantonnée à des domaines particuliers, l'élaboration des lexiques et glossaires suit des chemins similaires. Mais...

Tous lexicographes ?


Internet est arrivé. Et avec lui, la possibilité pour tous ceux qui le souhaitent de publier leurs propres listes de mots, dictionnaires, lexiques, vocabulaires. On voit alors apparaître des dictionnaires d'un genre nouveau : des dictionnaires fantaisistes, humoristiques, ou hyper-spécialisés. Le My NetWords, dico critique du web par exemple, est rédigé par Marie Muzard et s'attache à recenser et définir les termes (souvent anglais) et acronymes fréquents dans l'univers des professionnels de l'Internet.

Marie Muzard accueille volontiers les suggestions de ses lecteurs pour enrichir son dictionnaire, mais pas autant néanmoins que d'autres qui optent délibérément pour des dictionnaires collaboratifs. Nous l'avons vu, les dictionnaires sont tous des oeuvres collectives. mais leur éaboration fait appel à des spécialistes de la langue. Les dictionnaires collaboratifs qui fleurissent sur la toile sont, à l'image de Wikipedia, rédigés par des personnes qui ne revendiquent pas de compétences dans ce domaine. Si l'alimentation du Wiktionnaire est le fruit d'un travail très organisé, La Parlure par exemple, dictionnaire collaboratif du français parlé, est ouvert à toutes les initiaitives qui sont ensuite évaluées par un système de votes.

L'exemple le plus impressionnant de dictionnaire collaboratif est sans doute Wordnik, que nous avions présenté dans un précédent article, et qui ambitionne de recenser tous les mots utilisés en anglais, avec toutes leurs définitions (établies aussi bien dans des dictionnaires de référence que par des individus), dans toutes leurs significations, tous leurs usages et tous leurs synonymes et antonymes ! Une telle entreprise ne saurait évidemment être menée par une seule personne et profite au mieux des opportunités de collaboration offertes par la communication numérique.
Connaître un domaine et savoir en dresser le lexique, deux compétences distinctes



Ceci dit, se pose malgré tout la question de la légitimité des auteurs dans de telles entreprises. Si la foule des contributeurs garantit, sur Wikipedia comme sur Wordnik, la qualité finale par le biais de révisions multiples et de rôles attribués, des initiatives plus modestes souffrent bel et bien d'importantes lacunes, voire d'erreurs manifestes. Il n'est pour s'en convaincre que de consulter les lexiques, glossaires et autres dictionnaires du e-learning dont certains sont recensés par Emilie Bouvrand dans l'ensemble qu'elle propose sur Jog the web : les huits listes juxtaposées sont très hétérogènes tant au niveau de la quantité des termes recensés qu'à celui de la précision de leurs définitions. Le choix des termes à intégrer est déjà source de confusion : on trouve dans ces listes des termes qui relèvent de la pédagogie, d'autres qui proviennent du vocabulaire de l'informatique, et quelques néologismes ou expressions forgés dans le contexte spécifique du e-learning. Et l'on constate que malheureusement, en matière de lexique comme en matière de formation, il ne suffit pas de bien connaître un domaine technique pour savoir en parler... Le glossaire proposé par le GRECO (Grenoble universités campus ouvert) et établi par un collectif est, parmi ceux qui sont recensés, le plus solide, même si certains termes ont vieilli et ne sont plus guère utilisés (ex : bureau virtuel), alors que des termes récemment apparus manquent (ex : formation hybride, qui a un sens proche de formation mixte). Il est de plus téléchargeable en .pdf.

La qualité d'un tel produit ne peut s'évaluer sans référence à ceux qui sont censés l'utiliser. Le glossaire du GRECO tel qu'il se présente semble davantage conçus par et pour des spécialistes de l'ingénierie de la FOAD que pour des utilisateurs néophytes. En ce sens, il se rapproche plutôt d'un lexique, si l'on se réfère aux définitions fournies par le TLFI. Le manque d'exemples d'utilisation en contexte est à cet égard significatif; l'étudiant abordant son premier parcours en ligne, tout comme l'enseignant collaborant pour la première fois à un cours à distance seront sans doute désorientés par des définitions abstraites, non contextualisées. Ce glossaire penche plutôt du côté du "bon usage" que "des usages réels", dans toute leur diversité.

La tension entre correction académique et usages réels des mots n'est donc pas terminée, et Internet lui donne une nouvelle vigueur. Mais on ne saurait que trop recommander à tous ceux qui souhaitent se lancer, seuls ou en groupe, dans l'édition d'un lexique ou d'un dictionnaire, de se familiariser avec la démarche spécifique qui garantit la qualité du produit tel qu'il se présente à l'utilisateur, quel qu'il soit.

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