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Orthographe et SMS : un article dans Libé - Page 3 Empty Re: Orthographe et SMS : un article dans Libé

par Nom d'utilisateur Jeu 20 Mar 2014 - 15:42
Luigi_B a écrit:
Considérer que l'écriture est une "prérogative" des enseignants me paraît tout aussi étrange que qualifier le code SMS de "norme".

Parler d'"usage intensif de l''écriture" me semble un abus de langage quand les SMS se caractérisent précisément par leur brièveté, leur absence de composition en tant que textes ou leur construction syntaxique minimale, pour ne pas parler du code SMS lui-même. Avec les réseaux sociaux, le texte lui-même régresse dans les échanges (pokes, retweets, likes, photos et films, smileys etc.).

On peut enfin à juste titre être choqué des "récupérations didactiques" lorsqu'elles voient dans les SMS un "enjeu d’insertion sociale" (sic), ainsi que le conclut le syndicat commanditaire de cette "étude", le SE-UNSA pour ne pas le nommer.

"Prérogative" me venait sous la plume - façon de parler - pour qualifier le magistère scriptural qu'exerçaient jadis les maîtres auprès des élèves, et dont ils doivent, apparemment, faire le deuil. Ils n'enseignent plus l'écriture, mais une façon valorisée d'écrire. "Monopole" suggéré par Pauvre Yorick, convient aussi dès lors qu'on rajoute "de fait" et qu'on neutralise ainsi une partie de son sens : "mono-" implique des concurrents potentiels (or il n'y en avait pas), d'où ses connotations d'arbitraire, voire d'iniquité (dont on n'a pas besoin ici).

Le pluriel "normes" de mon message gênera assurément quiconque pense que lorsque existe une norme sociale de prestige  (l'orthographe académique en est une, avec son histoire, ses pulsations, ses dissidences et tutti quanti), tout ce qui ne s'y plie pas relève de l'erreur. Mais franchement, cette thèse est à présent difficile à tenir.

Ecrire rapidement sans observer les règles de l'orthographe académique est aussi une pratique de l'écriture, je ne vois pas en quoi ce truisme serait un abus de langage, les recherches en épigraphie sont maintenant assez anciennes. Inversement, c'est s'avancer beaucoup que de dénier toute composition à ces miniatures du quotidien, de qualifier leur syntaxe de "minimale" parce qu'elle privilégie des modèles qui ne sont pas ceux de l'écrit pédagogique. Ce n'est pas désavouer ces modèles-ci que de reconnaître l'existence de ceux-là. Je doute que le chercheurs en littératie recommandent aux enseignants d'apprendre à leurs élèves que "les SMS c tro cool".

Au 20e siècle, c'est l'oral non fliqué qui a peiné à trouver reconnaissance. Maintenant, ça va, c'est acquis : il existe une grammaire qui n'est pas celle de Grevisse, nous la pratiquons tous au quotidien sous diverses variantes, personne ne le contesterait. Et là, renversement : c'est l'écrit sauvage qui va se faire bizuter un certain temps, jusqu'à ce qu'on finisse par admettre que oui, voilà, ça existe aussi, et ce n'est pas une forme dégradée d'un idéal universel. Puisque donc nous sommes échaudés, ignorer ce phénomène massif est de mauvaise stratégie, et il n'est pas idiot de s'interroger sur les rapports existant entre l'écrit que l'on enseigne aux enfants et celui que, désormais -- pardon, egomet --, ils pratiquent entre eux.

Cela dit, nous sommes bien d'accord : les déclarations tonitruantes sur les "enjeux d'insertion sociale" sont une façon de se faire mousser à peu de frais. Puissent-elles ne pas être trop entendues par quelque(s) décideur(s) en mal de "causes sociétales" !
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par Luigi_B Jeu 20 Mar 2014 - 19:04
Nous nous entendons sur la conclusion et - comme je le disais plus haut - je ne crois pas particulièrement à l'incidence des SMS sur l'orthographe des élèves. D'où mon indifférence à leur égard.

Nom d'utilisateur a écrit:"Prérogative" me venait sous la plume - façon de parler - pour qualifier le magistère scriptural qu'exerçaient jadis les maîtres auprès des élèves, et dont ils doivent, apparemment, faire le deuil. Ils n'enseignent plus l'écriture, mais une façon valorisée d'écrire.
Ce n'est pas une "façon valorisée", c'est une façon nécessaire.

"Monopole" suggéré par Pauvre Yorick, convient aussi dès lors qu'on rajoute "de fait" et qu'on neutralise ainsi une partie de son sens : "mono-" implique des concurrents potentiels (or il n'y en avait pas), d'où ses connotations d'arbitraire, voire d'iniquité (dont on n'a pas besoin ici).
Je ne crois pas qu'il y ait ni prérogative ni même monopole. Les enfants qui apprennent à écrire écrivent aussi bien qu'ils dessinent, pour leur propre compte et souvent avec beaucoup de plaisir. Imaginer que les enfants n'écrivent que pour l'école me semble très réducteur. Par ailleurs écrire des SMS suppose aussi de les lire et j'ose espérer que la lecture n'est pas non plus un "monopole" ou une "prérogative" scolaire.

Le pluriel "normes" de mon message gênera assurément quiconque pense que lorsque existe une norme sociale de prestige  (l'orthographe académique en est une, avec son histoire, ses pulsations, ses dissidences et tutti quanti), tout ce qui ne s'y plie pas relève de l'erreur. Mais franchement, cette thèse est à présent difficile à tenir.
Ce relativisme ("façon valorisée", "norme sociale de prestige", "orthographe académique", "modèle de l'écrit pédagogique", "un idéal universel") est inacceptable s'agissant d'élèves qui ne savent pas écrire.

Ecrire rapidement sans observer les règles de l'orthographe académique est aussi une pratique de l'écriture, je ne vois pas en quoi ce truisme serait un abus de langage....
Parce que ce n'en est pas un. L'abus de langage concerne "l'usage intensif de l'écriture".

Inversement, c'est s'avancer beaucoup que de dénier toute composition à ces miniatures du quotidien...
Je ne dénie pas qu'une telle composition soit possible : je ne l'observe pas. En tout cas pas dans l'exemple de la "miniature du quotidien" pris par le "Café pédagogique" :

Moi oui de toute façon moi toujour sinon jtdg jtdg jtdg g g g g

 :lol: 

...de qualifier leur syntaxe de "minimale" parce qu'elle privilégie des modèles qui ne sont pas ceux de l'écrit pédagogique.
Minimale parce que la complexité de la construction logique des phrases est limitée par le nombre de caractères extrêmement réduit. Ce n'est pas faire injure aux SMS que de constater ce fait.

Quant à réduire la syntaxe dont nous nous efforçons d'inculquer la rigueur, la complexité et la richesse à nos élèves à des modèles purement "pédagogiques", c'est bien une façon d'en relativiser l'importance.

Ce n'est pas désavouer ces modèles-ci que de reconnaître l'existence de ceux-là.
Mais quels modèles de syntaxe autres l'écriture sous forme de SMS privilégie-t-elle donc ?

Au 20e siècle, c'est l'oral non fliqué qui a peiné à trouver reconnaissance. Maintenant, ça va, c'est acquis : il existe une grammaire qui n'est pas celle de Grevisse, nous la pratiquons tous au quotidien sous diverses variantes, personne ne le contesterait.
Et les élèves en difficulté qui utilisent le pronom relatif "que" au lieu de "dont" ou "auquel" bénéficient effectivement de cette reconnaissance. Récemment dans une copie de Première : "La mort est quelque chose qu’on y pense pas".

Et là, renversement : c'est l'écrit sauvage qui va se faire bizuter un certain temps, jusqu'à ce qu'on finisse par admettre que oui, voilà, ça existe aussi, et ce n'est pas une forme dégradée d'un idéal universel.
Ça existe, personne ne le conteste. C'est une forme dégradée de l'écrit (les élèves eux-mêmes en ont pleinement conscience) et ce n'est pas grave.

Puisque donc nous sommes échaudés, ignorer ce phénomène massif est de mauvaise stratégie, et il n'est pas idiot de s'interroger sur les rapports existant entre l'écrit que l'on enseigne aux enfants et celui que, désormais -- pardon, egomet --, ils pratiquent entre eux.
Ceux qui maîtrisent l'orthographe et la syntaxe maîtrisent également ce code SMS, ainsi que le dit l'étude. Les autres sont toujours autant en difficulté.

Ajoutons que l'écriture SMS est une pratique récente et qui risque bien d'être éphémère, les réseaux sociaux ayant déjà détrôné les SMS, lesquels sont désormais en recul.

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par Nom d'utilisateur Jeu 20 Mar 2014 - 22:04
à Luigi_B :
"Ce n'est pas une 'façon valorisée', c'est une façon nécessaire."
=> L'existence d'écrits enfantins non scolaires est la preuve que désormais -- non. Merci de ne pas citer Anne Franck ou Minou Drouet...

"Imaginer que les enfants n'écrivent que pour l'école me semble très réducteur"
=> oups, une marche fut loupée. Il s'agissait d'où l'on pratiquAIT l'écriture. Quant à savoir pourquoi les enfants écrivAIENT jadis (disons, juste avant l'apparition de la messagerie internet et du clavardage), et ce qu'il en est maintenant, c'est une autre question.

"Ce relativisme ("façon valorisée", "norme sociale de prestige", "orthographe académique", "modèle de l'écrit pédagogique", "un idéal universel") est inacceptable s'agissant d'élèves qui ne savent pas écrire."
=> précisément si, ils savent écrire, mais pas dans le sens scolaire. Personne ne dit qu'il ne doivent pas apprendre l'écriture scolaire. Est-il si douloureux d'accepter qu'une pratique liée à l'école ait désormais des manifestations différentes ailleurs qu'à l'école ?

"L'abus de langage concerne "l'usage intensif de l'écriture""
=> Cela se constate chez soi, dans les transports en commun, dehors, quoi... Ils écrivent, les mioches. Des niaiseries, pense-t-on parfois, dans une syntaxe "minimale" ajoutent certaines têtes brûlées (cf. la suite), mais pour écrire, ils écrivent.

"Je ne dénie pas qu'une telle composition soit possible : je ne l'observe pas. En tout cas pas dans l'exemple de la "miniature du quotidien" pris par le "Café pédagogique" est : 'Moi oui de toute façon moi toujour sinon jtdg jtdg jtdg g g g g'.  Laughing "
=> Ah mais observer, comme dit l'autre, implique une théorie des observables.
Remarque : la bouille qui sourit (vouée plus haut aux gémonies) est dans la citation ou ajoutée à elle ?

"Minimale parce que la complexité de la construction logique des phrases est limitée par le nombre de caractères extrêmement réduit. "
=> C'est ce que croyait Humboldt dans son grand article sur l'écriture chinoise en réponse à Rémusat. Lui aussi pensait que longueur = complexité. La suite prouva qu'il n'en était rien.

"Quant à réduire la syntaxe dont nous nous efforçons d'inculquer la rigueur et la complexité à nos élèves à des modèles purement "pédagogiques", c'est bien une façon d'en relativiser l'importance"
=> Oui ; ce qui ne signifie pas "la déprécier"

"Mais quels modèles de syntaxe autres l'écriture sous forme de SMS privilégie-t-elle donc ?"
=> Une plus grande diversité que les modèles scolaires ; ce fait-là, au moins, est connu et documenté. Ici, l'exemple du "Café pédagogique" suffit : "Moi oui de toute façon moi toujour sinon jtdg jtdg jtdg g g g g" où l'on a bien plusieurs structures prédicatives ("Moi / oui -- [de toute façon] moi / toujour") mais où l'unique phrase verbale est livrée sous une forme d'abréviation, un agrégat où même le cave reconnaît "jt-" et qui peut faire penser aux langues dont les mots verbaux portent des indices de plusieurs actants. (pour ne pas reparler de la 'syntaxe hongroise' barthésienne). Le tout constitue un énoncé dont l'architecture mérite une analyse précise. Je n'ai pas dit que c'était à enseigner à l'école.

"les réseaux sociaux ayant déjà détrôné les SMS, lesquels sont désormais en recul."
=> serait-ce admis, voilà qui ne changerait rien à l'existence d'une nouvelle donne en matière d'écriture enfantine.


Dernière édition par Nom d'utilisateur le Jeu 20 Mar 2014 - 22:20, édité 1 fois
Presse-purée
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Orthographe et SMS : un article dans Libé - Page 3 Empty Re: Orthographe et SMS : un article dans Libé

par Presse-purée Jeu 20 Mar 2014 - 22:18
je ne m'immisce pas dans ce débat, dont je me fiche un peu pour tout dire. je sais très bien que mes élèves écrivent ailleurs qu'à l'école, mais j'aurais une question en forme de poupée russe.

je lis: "Ils n'enseignent plus l'écriture, mais une façon valorisée d'écrire."

Est-ce problématique, et si oui, en quoi l'est-ce?

De plus, se focaliser sur l'écriture ne serait-il pas perdre de vue la dynamique lecture/écriture, que l'on avait perdue de vue dans l'enseignement secondaire (voire primaire...) et que l'on commence à redécouvrir?
En gros, nous enseignons uns façon valorisée d'écrire, non seulement en vue d'usages sociaux, mais aussi pour permettre de comprendre des textes littéraires ardus ou anciens, et de prendre du plaisir à cette lecture. Est-ce un problème?

Je poursuis: on dit beaucoup aujourd'hui que les élèves ne lisent plus. Je pense qu'il faudrait préciser "ils ne lisent plus de classiques", car les ventes et la vitalité de la littérature dite de jeunesse démentent peut-être la première rumeur que j'évoquais. Peut-être nos élèves ont-ils des difficultés à lire les classiques (qui sont pourtant des œuvres respectables, sauf si on veut paraître jeune en disant qu'on pisse dessus, ce qui n'est l'intention de personne je suppose) parce que nous avons des difficultés à enseigner cette langue valorisée, et aussi un peu honte, une culpabilité intérieure que propagent certains, peut-être, pour tout dire, aussi par la mise en avant de cette étude? Son contenu m'a fort intéressé au demeurant, mais je suis très gêné par l'emballage...


Dernière édition par Presse-purée le Jeu 20 Mar 2014 - 22:34, édité 1 fois

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par Luigi_B Jeu 20 Mar 2014 - 22:24
"Ce n'est pas une 'façon valorisée', c'est une façon nécessaire."
=> L'existence d'écrits enfantins non scolaires est la preuve que désormais -- non.
Il faut quand même avoir le cœur bien accroché pour lire sur un forum d'enseignants que les enseignants enseignent une façon d'écrire qui n'est donc "pas nécessaire".

Par ailleurs je maintiens que les enfants qui apprennent à écrire prennent beaucoup de plaisir à pratiquer l'écriture pour eux-mêmes.

Cela se constate chez soi, dans les transports en commun, dehors, quoi... Ils écrivent, les mioches. Des niaiseries, pense-t-on parfois, dans une syntaxe "minimale" ajoutent certaines têtes brûlées (cf. la suite), mais pour écrire, ils écrivent.
Finalement nous vivons une sorte de Renaissance.

"Je ne dénie pas qu'une telle composition soit possible : je ne l'observe pas. En tout cas pas dans l'exemple de la "miniature du quotidien" pris par le "Café pédagogique" est : "Moi oui de toute façon moi toujour sinon jtdg jtdg jtdg g g g g".
=> Ah mais observer, comme dit l'autre, implique une théorie des observables.
Remarque : la bouille qui sourit (vouée plus haut aux gémonies) est dans la citation ou ajoutée à elle ?
C'est vous qui vouez aux gémonies à ma place.  professeur 

"Minimale parce que la complexité de la construction logique des phrases est limitée par le nombre de caractères extrêmement réduit. "
=> C'est ce que croyait Humboldt dans son grand article sur l'écriture chinoise en réponse à Rémusat. Lui aussi pensait que longueur = complexité. La suite prouva qu'il n'en était rien.
Sans doute... mais je ne vois pas le rapport.

"Mais quels modèles de syntaxe autres l'écriture sous forme de SMS privilégie-t-elle donc ?"
=> Une plus grande diversité que les modèles scolaires ; ce fait-là, au moins, est connu et documenté. Ici, l'exemple du "Café pédagogique" suffit : "Moi oui de toute façon moi toujour sinon jtdg jtdg jtdg g g g g" où l'on a bien plusieurs structures prédicatives ("Moi / oui -- [de toute façon] moi / toujour") mais où l'unique phrase verbale est livrée sous une forme d'abréviation, un agrégat où même le cave reconnaît "jt-" et qui peut faire penser aux langues dont les mots verbaux portent des indices des actants. Le tout constitue un énoncé dont l'architecture mérite une analyse précise. Je n'ai pas dit que c'était à enseigner à l'école.
Merci d'avoir illuminé ma soirée !  cheers 

"les réseaux sociaux ayant déjà détrôné les SMS, lesquels sont désormais en recul."
=> serait-ce admis, voilà qui ne changerait rien à l'existence d'une nouvelle donne en matière d'écriture enfantine.
Non puisque les réseaux sociaux proposent des alternatives au texte que ne proposaient pas les SMS.

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Orthographe et SMS : un article dans Libé - Page 3 Empty Re: Orthographe et SMS : un article dans Libé

par User17706 Ven 21 Mar 2014 - 11:48
L'espèce de mini-clash ici recouvre trop parfaitement la diversité des professions pour que ce ne soit pas un peu suspect. D'un côté un enseignant qui a, comme tous les enseignants mais électivement puisqu'il enseigne (entre autres) le français, un devoir d'être normatif (prescriptif) quant au bon usage, de l'autre un linguiste qui, par profession, l'est on ne peut moins mais s'attache à décrire la normativité implicite, fût-elle "déviante" au regard du bon usage, à l'oeuvre dans un énoncé quel qu'il soit.

Rajoutons juste la dose qu'il faut d'ambiguïté (sur "nécessaire" par exemple, mais pas uniquement) et on a une apparence de désaccord qui est quand même, je le crois, largement illusoire. Pas seulement parce qu'on ne parle pas exactement dans les mêmes termes, mais parce qu'on ne parle pas non plus exactement de la même chose.

Je suis pour ma part absolument persuadé que "moi oui de toute façon moi toujour sinon jtdg jtdg jtdg g g g g" est analysable et a un intérêt comme objet d'analyse. Mais je suis tout autant persuadé (et je doute très très fort que quiconque soit ici d'un autre avis) que ce n'est pas une analyse à mener avec des collégiens, ne serait-ce que parce que ça demande un outillage spécifique et pointu. (Je trouve à titre personnel absolument passionnant l'objet d'étude que constitue la communication écrite instantanée.)

"Nécessaire" voulait dire sous les doigts de Luigi_B qu'on ne pouvait pas se passer de tout faire pour apprendre aux élèves à maîtriser ce qui est dit "nécessaire". Sous ceux de nom d'utilisateur, la nécessité avait un sens non prescriptif, mais bien descriptif. Il n'y a pas l'ombre d'une contradiction entre les deux.
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par Nom d'utilisateur Ven 21 Mar 2014 - 13:06
PauvreYorick a écrit: (...)

Oui, "nécessaire" est à distinguer de "indispensable", et c'est bien de l'opposition "description" / "prescription" qu'il s'agit. Certains journalistes et hauts fonctionnaires prennent un malin plaisir à ne pas l'apercevoir. C'est ce mélange des genres qui faisait râler Ruthven ; et on a toujours raison, je crois, de dénoncer les coq-à-l'âne.

Mais la linguistique n'est ici qu'un prétexte : Luigi_B a eu un échange similaire avec Gunthert (http://culturevisuelle.org/icones/2572, commentaire 13), et d'autres encore du même canon, moins faciles à retrouver d'un clic.

Pourtant, on peut fort bien argumenter contre un enseignement-spongex absorbant les moindres soubresauts de la société sans pour cela tirer à boulets rouges sur toute tentative de description des comportements humains. Trouver par soi-même un modus vivendi entre la recherche et l'école (au sens large : enseignement supérieur y compris), plutôt que de caricaturer les uns ("professeurs Diafoirus") ou les autres ("enseignants réacs"), c'est aussi ne pas abandonner cette tâche aux sophistes et aux décideurs situés en dehors de ces deux champs.
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par User17706 Ven 21 Mar 2014 - 13:25
D'accord avec ton dernier paragraphe. Pour celui du milieu, trop conscient des abruptes profondeurs où nous plonge l'universalité du Cercle herméneutique, je réserve en général aux auteurs morts depuis au moins un siècle (condition au demeurant non suffisante) l'explication d'une ligne de texte par l'oeuvre complète Very Happy

Je fais une exception, bien sûr, pour les notices de montage Ikea: on ne saurait en comprendre une qu'à la condition de les posséder toutes.
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par Luigi_B Ven 21 Mar 2014 - 20:45
Suis-je un "enseignant réac" ? J'envoie moi-même des SMS (mais en toutes lettres : les élèves le font de plus en plus d'ailleurs, les smartphones proposant maintenant un clavier entier ainsi qu'une aide à la saisie), j'ai customisé avec amour mes propres smileys et je prends beaucoup de plaisir à utiliser de nombreux outils numériques.  Wink 

Bon, j'ai beau retourner la question dans tous les sens, je comprends mal à vrai dire comment - d'un point de vue descriptif - quelque chose pourrait être "nécessaire" ou pas. Une observation scientifique relève ce qui est (par exemple l'écrit tel qu'il est dispensé à l'école/l'écrit tel qu'il est pratiqué dans les SMS) mais ne peut en rien postuler ce qui est "nécessaire". Présenter l'enseignement de l'écrit tel qu'il est dispensé à l'école comme "non nécessaire" relève - disons-le - d'un certain goût de la provocation.

Une démarche descriptive est par ailleurs tout à fait bienvenue, même si je suis bien peu convaincu par l'analyse des "autres modèles de syntaxe" de l'écriture des SMS par Nom d'utilisateur. Le problème est que l'étude dont nous parlons, par ses commanditaires et par les conclusions, vise explicitement à faire entrer les SMS dans l'école, comme je l'ai signalé dans mon premier post sur ce fil : la démarche n'est donc pas descriptive, mais bien prescriptive.

Nom d'utilisateur a écrit:Mais la linguistique n'est ici qu'un prétexte : Luigi_B a eu un échange similaire avec Gunthert (http://culturevisuelle.org/icones/2572, commentaire 13), et d'autres encore du même canon, moins faciles à retrouver d'un clic.
Oui ce monsieur, professeur à l'EHESS en "histoire visuelle, visual culture, media studies", est bien aimable puisqu'il m'accuse d"'ignorance, de conformisme et de préjugé". Il porte sur l'école un regard très sympathique et assez peu "descriptif". Ainsi défendant Michel Serres contre Alain Finkielkraut :

André Gunthert a écrit:Un prof qui regrette l’affaissement de son autorité tout en continuant à imposer le miroir d’une société disparue n’a pas compris grand chose à l’histoire de la culture depuis un demi-siècle. Dans cette évolution, le numérique n’est que la cerise sur le gâteau, qui a confirmé aux jeunes l’autonomie de pratiques de plus en plus impénétrables pour les maîtres. C’est parce que l’école a refusé depuis longtemps de s’adapter à la culture des nouveaux médias (à commencer par le disque et la télévision dès les années 1960) qu’elle a perdu progressivement le prestige et l’autorité qui fondent l’efficacité d’une prescription. Dans cette histoire, avant de devenir la victime du désintérêt des élèves, le livre est d’abord celle de l’inconséquence des maîtres.

Notez la logique imparable : pour promouvoir la culture du livre, il fallait "s’adapter à la culture des nouveaux médias".  Orthographe et SMS : un article dans Libé - Page 3 1212985298 

Pour mémoire, André Gunthert avait déjà réagi en termes mesurés au moment de mon expérience amusante, laquelle était pourtant bien innocente mais avait le malheur... de critiquer le web. En réalité il s'en prenait déjà - à travers moi - à l'ensemble du corps enseignant :

André Gunthert a écrit:Le succès rencontré par l’expérience du prof qui a “pourri le web” (pour piéger ses élèves, Loys Bonod a disséminé de fausses informations sur le web) a le goût de la vengeance. Il révèle un monde scolaire qui n’a toujours pas assimilé la révolution numérique, et qui continue de percevoir comme une dangereuse concurrence la diffusion non institutionnelle de la culture, dont Wikipédia reste le symbole honni. Humiliés par leur disqualification technique, de nombreux professeurs savourent le retournement des armes du web (anonymat, libre contribution…) contre lui-même, et apprécient comme de justes représailles la compétence digitale du prof justicier.

Le plagiat a bon dos. Proposer des sujets auxquels on peut répondre par le copier-coller témoigne de l’anachronisme des pratiques évaluatives, qui reposent sur des principes issus d’un monde où l’information était rare et son accès contrôlé. Comme le note Damien Babet, «L’école soumet les élèves à des injonctions contradictoires: pensez par vous-même, répétez ce qu’on dit. Prenez des risques, ne vous trompez pas. Apprenez par cœur, ne plagiez jamais. Ces contradictions sont structurelles, inscrites dans les fonctions ambivalentes de l’institution. D’un côté, on impose aux élèves une culture dominante de pure autorité. De l’autre, on leur demande d’entretenir la fiction selon laquelle cette culture est librement choisie, aimée, appréciée comme supérieure par tous.»

Pourrir le web, comme pourrir la vie, l’arme des vaincus. Qui dit en creux à quel point la nouvelle structure de l’information a déjà gagné. Du coup, l’enthousiasme suscité par cet acte de vandalisme culturel dans une partie de la communauté enseignante (contrebalancé, il faut le souligner, par de nombreux témoignages en sens contraire) fait peur. Il ne suffira pas de remettre 60000 emplois dans l’éducation pour modifier son statut de citadelle assiégée. Il faut l’admettre, rien, dans les dynamiques actuelles, ne laisse entrevoir ce qui enrayera le lent suicide de l’école, institution malade de la disparition du contrat républicain.

Croire qu'on peut répondre à un exercice comme le commentaire de texte par le copier-coller, c'est n'avoir pas compris que le faire, ce n'est pas réussir, mais échouer.

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par Luigi_B Mer 2 Avr 2014 - 10:13
Pour ceux que le sujet intéresse, on s'aperçoit qu'il y a d'autres enjeux derrière cette étude très médiatisée sur les SMS et l'orthographe : "Que les SMS essaiment ! Quand une étude scientifique dispense la bonne parole pédago-numérique".

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Cath
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par Cath Mer 2 Avr 2014 - 10:24
Affligeant...

Très bon article, Luigi !


Luigi à l'Education Nationale !
Iphigénie
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par Iphigénie Mer 2 Avr 2014 - 10:26
Hors-sujet:Le drame du numérique c'est aussi qu'il est défendu par de vieux croutons qui veulent à tout prix croire qu'ils sont jeunes en jetant à tous les vents l'anathème contre "ceux qui n'ont pas compris la modernité".
Et qui n'ont pas compris qu'il en est du numérique exactement comme de la langue d'Esope.
On n'a pas avancé d'un iota dans la résolution des problèmes. Même en tapant le iota sur un clavier numérique, au lieu de le graver dans la cire: le cerveau reste le même. C'est comme les élèves qui pensent être plus intelligents que Platon parce qu'ils vivent 2400 ans après lui et qu'ils ont un I-phone-fin du off
Eh oui, bravo Luigi!
egomet
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par egomet Mer 2 Avr 2014 - 11:37
Excellent article.

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par gilthoniel Mer 2 Avr 2014 - 12:25
Il y a un problème qui n'est pas abordé dans la discussion, qui est le rôle social de discrimination par le langage. Ce rôle me semble fondamental, et ce d'autant plus que nos élèves viennent de milieux populaires (si en plus ils sont de couleurs, ont des noms africains et sont des femmes on a la totale). Je dis en rigolant à mes élèves que si je suis exigeant avec eux concernant leur niveau de langage, c'est que je n'ai pas d'enfants et donc je n'ai pas peur qu'ils soient plus "compétitifs" que mes enfants sur le marché du travail.

Un certains nombre de nos élèves connaitront des discriminations, ce n'est pas la peine de leur en rajouter. On peut avoir une approche relativiste de la culture, mais il n'empêche que la culture "légitime" (pour reprendre Bourdieu) est encore et toujours celle qui sera valorisée dans la société où nos élèves ont le plus de chance d'évoluer plus tard. La difficulté est donc d'arriver à la fois à ne pas dénigrer la culture populaire (dont certains éléments sont riches) mais apprendre à nos élèves qu'ils doivent se parer des attributs de la culture légitime et savoir quand utiliser l'une et l'autre.
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par Luigi_B Mer 2 Avr 2014 - 14:02
Réduire le français, langue de la République (article II de la Constitution), à une culture relative, même "légitime", c'est renoncer à notre mission et établir de fait - pour les meilleures raisons du monde - une discrimination qui ne peut que conduire à perpétuer les inégalités.

Les travaux de Bourdieu ont conduit à cette extrémité que même la langue française est conçue comme un capital culturel arbitraire et relatif, source de "distinction" sociale et de violence symbolique. Au lieu de combattre cette distinction en faisant tout pour porter ce capital à tous, nos grands pédagogues en ont appelé à combattre le capital lui-même (cette étude en est un bon exemple).

Résultat, malgré le cursus scolaire généralisé jusqu'au lycée : jamais la distinction n'a été si criante.  :|

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par Nom d'utilisateur Ven 4 Avr 2014 - 15:06
Luigi_B a écrit:Réduire le français, langue de la République (article II de la Constitution), à une culture relative

Aïe-aïe-aïe.
Vite :
S'il y a réduction, c'est bien lorsqu'on suggère/pose que "le français" serait - seulement? essentiellement ? avant tout ? -  ce dont il s'agit dans l'art. II de la Constitution ! Autrement dit : que "le français" serait surtout... ce qu'il doit être du point de vue institutionnel.

Ce qui fait de vous, paradoxalement, un adepte de Bourdieu qui s'ignore. Un adepte, en particulier, des thèses "conventionnalistes" du Bourdieu de Ce que parler veut dire. Pour vous deux, il n'existe pas de réel de la langue. Ce que confirme votre article, par exemple avec le thème de la "dégradation".

Pour échapper au paradoxe, une suggestion. Plutôt que l'incise citée ci-dessus, vous pourriez dire explicitement : "le français en tant que langue de la République", "le français tel qu'il doit être enseigné [... dans l'école de la République, si l'on tient à cette expression, pourquoi pas]".

Mais je n'insisterai plus.
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par Luigi_B Ven 4 Avr 2014 - 22:38
Le code SMS est un mode dégradé (au sens diminué... ce qui est exactement son cas puisque son but est de réduire le nombre d'appuis et de caractères) du français écrit institutionnel. Comme dit dans l'article, sans jugement moral de ma part.

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