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Réflexion de Henry Rousso sur les nouveaux programmes d'histoire - Page 2 Empty Re: Réflexion de Henry Rousso sur les nouveaux programmes d'histoire

par Docteur OX Lun 4 Mai 2015 - 19:20
kensington a écrit:
philbog a écrit:Ça fait du bien de lire une analyse objective et intelligente de ce projet de programme . Ça nous change d'un alarmisme ridicule où les programmes assassinent la France,  égorgent l’éducation, tuent l'enseignement etc... Le site internet  "réformeducollège" nous montre d’ailleurs qu'en fait de reforme il s'agit souvent de changement mineur tant dans les contenus programmes disciplinaires comme dans les horaires qui varient finalement peu. Vraiment pas de quoi à s'alarmer autant mais simplement réfléchir aux détails qu'il reste à améliorer comme le fait cet article.

Cette réforme va tout de même un peu plus loin que cela. Déjà les changements dans le contenu des programmes n'est pas si anodin. Après il y a cours supprimés, les EPI et leur évaluation, les nouveaux cycles (et après le brevet...). Cette réforme n'est malheureusement pas qu'un ravalement de façade. On n'en mesure pas encore les conséquences.

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par Feuchtwanger Lun 4 Mai 2015 - 19:44
Elyas a écrit:
Guillaume le Grand a écrit:Et heureusement que tout n'est pas chronologique! Je me vois mal faire la rédaction de la Bible hébraïque entre la période grecque archaïque et la période classique. En revanche, il est plus intéressant de le faire avant les débuts du christianisme


C'est là que la compétence "situer dans le temps et l'espace" est pertinente dans les projets de programme car nous avons dès lors l'autorisation de faire plusieurs heures de cours à autre chose qu'enchaîner les chapitres.

Prenons le programme actuel de 6e. Tu prépares à l'échelle une carte de la Mer Méditerranée en y plaçant les villes étudiées (Ur, Alexandrie, Athènes, Delphes, Olympie, Rome, Nîmes, Jérusalem, Carthage, Massalia, Aix-la-Chapelle, Constantinople et Sparte pour ma part). La carte fera un format 5,94 mètres sur 4,2 mètres. A côté, tu mets une longue série de feuilles de télécopie de 4,3 mètres où est tracée une flèche sur laquelle 1 cm = 10 ans.
Tu prépares des calibres de couleur correspondant aux territoires étudiés dans l'année.

Tu demandes à tes élèves de mettre sur la frise chronologique une série de dates correspondant aux repères et aux récits demandés par les capacités du programme. Tu leur demandes de résumer en 5 lignes sur la frise ce qui s'est passé à ce moment. Tu leur demandes aussi sur la carte de trouver les lieux correspondant aux repères/récits et de mettre une image y correspondant accompagné d'un récit résumant ce qu'on y a étudié. Tu demandes aussi une légende liée aux calibres de couleur. Ils peuvent rajouter des choses. Tu les laisses relire leurs cahiers, se triturer la tête et compléter tout cela sur deux heures.

Là, tu travailles la chronologie et la compétence "situer dans le temps et l'espace".
Problème : ça prend 2h. Et la lourdeur des programmes et leur chronométrage fait que si on opte pour travailler ainsi, on sacrifie quelque chose.

Sauf si tu leur donnes uniquement la méthodologie en cours et que tu leur donnes à faire à la maison quatre/cinq fois dans l'année. Personnellement c'est ce que je fais sur les frises avec les élèves.
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par Elyas Lun 4 Mai 2015 - 19:49
Feuchtwanger a écrit:
Elyas a écrit:
Guillaume le Grand a écrit:Et heureusement que tout n'est pas chronologique! Je me vois mal faire la rédaction de la Bible hébraïque entre la période grecque archaïque et la période classique. En revanche, il est plus intéressant de le faire avant les débuts du christianisme


C'est là que la compétence "situer dans le temps et l'espace" est pertinente dans les projets de programme car nous avons dès lors l'autorisation de faire plusieurs heures de cours à autre chose qu'enchaîner les chapitres.

Prenons le programme actuel de 6e. Tu prépares à l'échelle une carte de la Mer Méditerranée en y plaçant les villes étudiées (Ur, Alexandrie, Athènes, Delphes, Olympie, Rome, Nîmes, Jérusalem, Carthage, Massalia, Aix-la-Chapelle, Constantinople et Sparte pour ma part). La carte fera un format 5,94 mètres sur 4,2 mètres. A côté, tu mets une longue série de feuilles de télécopie de 4,3 mètres où est tracée une flèche sur laquelle 1 cm = 10 ans.
Tu prépares des calibres de couleur correspondant aux territoires étudiés dans l'année.

Tu demandes à tes élèves de mettre sur la frise chronologique une série de dates correspondant aux repères et aux récits demandés par les capacités du programme. Tu leur demandes de résumer en 5 lignes sur la frise ce qui s'est passé à ce moment. Tu leur demandes aussi sur la carte de trouver les lieux correspondant aux repères/récits et de mettre une image y correspondant accompagné d'un récit résumant ce qu'on y a étudié. Tu demandes aussi une légende liée aux calibres de couleur. Ils peuvent rajouter des choses. Tu les laisses relire leurs cahiers, se triturer la tête et compléter tout cela sur deux heures.

Là, tu travailles la chronologie et la compétence "situer dans le temps et l'espace".
Problème : ça prend 2h. Et la lourdeur des programmes et leur chronométrage fait que si on opte pour travailler ainsi, on sacrifie quelque chose.

Sauf si tu leur donnes uniquement la méthodologie en cours et que tu leur donnes à faire à la maison quatre/cinq fois dans l'année. Personnellement c'est ce que je fais sur les frises avec les élèves.


Je fais pareil et cela ne suffit pas. Lier la carte gigantesque, la chronologie gigantesque tout en demandant de remobiliser les connaissances de l'année en élaborant des textes est plus efficace. Mais, cela entre dans mon approche didactique (mes élèves ont fait 30 rédactions et 11 croquis en autonomie rien que pour mes 6e). C'est juste le point d'orgue d'une démarche explicite et langagière.
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par Feuchtwanger Lun 4 Mai 2015 - 20:13
Balthazaard a écrit:
Condorcet a écrit:Je l'ai lu avant de poster et son argumentaire ne m'a pas entièrement convaincu.

je suis un peu comme toi...cela dit je n'enseigne pas l'histoire. Pour la chronologie, quand ma belle fille (à plus de 20 ans) me demande si le débarquement c'était en 14, je me dis quand même que quelque chose cloche. Je vois qu'il y a les mêmes problèmes élémentaires en maths et, c'est là où je serai critique, de brillants argumentaires (car je trouve en effet le texte, intelligent et bien construit) pour défendre l'enseignement des maths tel qu'on nous l'impose existent aussi en dépit des résultats que l'on constate.

Le texte de Rousso est intéressant, mais en réalité il masque plusieurs problèmes (qui d'ailleurs ne datent pas de la réforme) et qui sont en réalité à la source des difficultés que les critiques comme Brighelli ressentent intuitivement mais pointent mal du fait de leur manque de formation d'historien.

Problème 1: Le déclassement de l'histoire en tant que discipline à l'université et son décrochage par rapport à la recherche à l'étranger. Du coup, les thématiques soit-disant "à la page" dans les programmes sont en réalité de pauvres succédanés de ce qui se fait au niveau de la recherche. Elles en ont souvent la couleur (ce qui fait pousser des cris d'orfraie à leurs contempteurs) mais sont repassés dans un moule idéologique et des pratiques très datées (par exemple, je trouve que même en France il y a un retour important à la microchronologie que l'on ne retrouve pas dans les programmes et qui permettrait de dépasser le débat puéril chronologie/thématique).

Problème 2 : Prenons une thématique qui est chère à Rousso, la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale (cf son livre "La dernière catastrophe" paru il y a deux ans). Sur le papier, il y a progression dans les ambitions puisque l'on on introduit en Terminale un objet nouveau sur lequel travaillent les universitaires. Le problème, c'est que pour faire rentrer ce thème, on a élagué en amont les connaissances sur la Seconde Guerre Mondiale et Vichy (alors que des travaux extrêmement intéressants sont parus ces dernières années qui ont totalement appelé à repenser Vichy, que ce soit avec Dard, Yagil, Michel, etc...). Du coup, les élèves n'ont pas le bagage culturel pour aborder cette thématique d'un point de vue constructif et cela donne la récitation du cours et un phénomène de paxtonite qui bloque paradoxalement la compréhension sociale de la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale que Rousso défend comme importante. Cella laisse par conséquent le champ libre à toutes les dérives ahistoriques (qu'il déplorait lui-même dans son ouvrage alors qu'elles prennent leur source dans l'incapacité de donner un bagage commun et un sens aux enseignements).

Problème 3 : Je trouve qu'il témoigne d'une croyance assez étonnante selon laquelle la science doit épouser les transformations sociales dans une logique de progrès. Or, les évolutions culturelles des dernières années ont une particularité intéressante c'est qu'elles sont imprégnées du paradigme de la déconstruction chère à Derrida, qui est radicalement autre que les paradigmes scientifiques qui l'ont précédé jusqu'alors. Or, la pensée de la déconstruction aboutit à une dévolution sociale sans précédent. A ce niveau, le rôle de la science (ou de l'acte gratuit d'apprentissage et de construction que défend Rousso) est justement d'aller à l'encontre de cette tendance (notamment en recréant du lien et en travaillant la notion d'héritage). Ici, on sent le problème de génération qui se joue et qui explique pourquoi intellectuellement le texte de Rousso apparait comme juste alors que c'est surtout une dissertation qui aurait épousé l'épure des années 70.

Problème 4 : Diviser artificiellement les intervenants sur la Réforme en Histoire en deux camps opposés et irréconciliables avec d'un côté le camp des sachant (profs, universitaires) et de l'autre le camp des "populistes" (Casali et co...) (il n'emploie pas le terme, mais il me semble y penser très fort). Le problème, c'est que si l'on accepte que l'histoire doit s'inscrire dans l'évolution de la société (par exemple avec l'enseignement des Traites) (et je n'y suis pas opposé), et bien que répond-il par rapport à une demande sociale qui est de passer PLUS de temps sur Napoléon. A ce titre, Casali dispose d'une légitimité qui n'est pas nulle même si elle est autre. D'autant qu'il y a le risque (comme l'avait montré Heers d'une médiatisation de l'enseignement de l'histoire) : personnellement, pour comprendre le monde contemporain, Napoléon me semble beaucoup plus pertinent que la traité négrière, contrairement à ce qu'on entend souvent, à condition bien sûr de le faire intelligemment et effectuer la synthèse entre les exigences scientifiques et les exigences sociales et culturelles.

Pour employer une formule un peu provocatrice, Rousso me fait un peu penser à Déat tel qu'il est présenté dans la biographie de Cointet qui pense qu'on va résoudre la crise de la conscience européenne à coup de dissertations équilibrées clamant le progrès et arrivant à faire ressurgir l'utilité dialectique du totalitarisme pour construire les deuxième parties ( cette remarque compare les deux intellectuels en terme de posture intellectuelle et pas en terme de positionnement politique).

Désolé pour le long message.
Marcel Khrouchtchev
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par Marcel Khrouchtchev Lun 4 Mai 2015 - 20:25
Feuchtwanger a écrit:Problème 1: Le déclassement de l'histoire en tant que discipline à l'université et son décrochage par rapport à la recherche à l'étranger. Du coup, les thématiques soit-disant "à la page" dans les programmes sont en réalité de pauvres succédanés de ce qui se fait au niveau de la recherche. Elles en ont souvent la couleur (ce qui fait pousser des cris d'orfraie à leurs contempteurs) mais sont repassés dans un moule idéologique et des pratiques très datées (par exemple, je trouve que même en France il y a un retour important à la microchronologie que l'on ne retrouve pas dans les programmes et qui permettrait de dépasser le débat puéril chronologie/thématique).

Intéressant de voir qu'on peut en même temps faire ce constat et demander un retour à l'histoire de France "pure et dure". Parce que s'il y a bien un truc qui a fait décrocher l'histoire universitaire française, c'est bien le "francocentrisme".
Honchamp
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par Honchamp Lun 4 Mai 2015 - 20:28
Mais non, c'est très bien un long message, celui-ci permet d'alimenter la réflexion. Au contraire, merci.
Qui sont les historiens que vous citez, Feuchtwanger ? (Dard, Yagil, Michel). J'avoue humblement que cela ne me dit rien...

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par Feuchtwanger Lun 4 Mai 2015 - 20:37
Honchamp a écrit:Mais non, c'est très bien un long message, celui-ci permet d'alimenter la réflexion. Au contraire, merci.
Qui sont les historiens que vous citez, Feuchtwanger ? (Dard, Yagil, Michel). J'avoue humblement que cela ne me dit rien...

Dard a beaucoup travaillé sur les mouvements non-conformistes des années 30 et sur l'émergence de la technocratie qui permet de comprendre à quel point Vichy n'est pas réellement un régime d'extrême droite mais beaucoup plus le premier régime "technique"moderne qui cherche à transcender les divisions républicaines par le gouvernement d'experts (et qui trouve d'ailleurs son point d'aboutissement dans la communauté européenne, plus particulièrement sous la forme de la CECA, comme l'a montré Cohen dans son bouquin "De Vichy à la Communauté européenne").

Yagil est une historienne israélienne qui a publié trois énormes volumes de référence sur le phénomène de la désobéissance civile en France pendant la Seconde Guerre Mondiale (département par département) et qui montre à quel point la thèse paxtonienne, notamment sur le rôle des services administratifs, de la Résistance, etc... prend l'eau de toute part, notamment en repensant la question de l'impact de la souveraineté permise par l'arrmistice dans les rapports avec l'occupant.

Michel était le responsable pour l'étude de la France à Yad Vashem et a publié un livre "Vichy et la Shoah" assez passionnant pour repenser le rôle de Vichy et de l'antisémitisme dans le destin des juifs, en travaillant sur le paradoxe français et en dynamitant beaucoup de généralisations hatives (personnellement, les documents de Yad Vashem sont pour moi inestimables pour avoir une version "non édulcorée" des événements, notamment avec tout le travail sur la question du transfert des populations juives (accord havaara passé avec les nazis en 33) et qui permet de bien mieux comprendre la politique vichyssoise, bien plus xénophobe qu'antisémite). Ce sont beaucoup d'aspects qui sont très peu traités dans le monde universitaire car ils cadrent très mal avec le paradigme dominant.
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par Balthazaard Lun 4 Mai 2015 - 20:38
Pour ma part, je suis prêt à te lire d'avantage. Je trouve, même si je me maitrise pas toutes les références ton texte plus argumenté que celui de Rousso. Pour le seul domaine où je pense connaitre quelque chose (j'ai une armoire entière de livres sur 70 , 14-18 et Vichy, même si ma matière est autre l'histoire me fascine...) , à savoir Vichy, je suis d'accord avec toi.
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par Marcel Khrouchtchev Lun 4 Mai 2015 - 20:42
Feuchtwanger a écrit: Ce sont beaucoup d'aspects qui sont très peu traités dans le monde universitaire car ils cadrent très mal avec le paradigme dominant.

Merci beaucoup pour ces références, mais n'exagère pas quand même l'isolement des auteurs que tu cites, Dard a été élu à la Sorbonne l'an dernier et il a un grand rayonnement national et international.
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Réflexion de Henry Rousso sur les nouveaux programmes d'histoire - Page 2 Empty Re: Réflexion de Henry Rousso sur les nouveaux programmes d'histoire

par Feuchtwanger Lun 4 Mai 2015 - 20:48
Marcel Khrouchtchev a écrit:
Feuchtwanger a écrit:Problème 1: Le déclassement de l'histoire en tant que discipline à l'université et son décrochage par rapport à la recherche à l'étranger. Du coup, les thématiques soit-disant "à la page" dans les programmes sont en réalité de pauvres succédanés de ce qui se fait au niveau de la recherche. Elles en ont souvent la couleur (ce qui fait pousser des cris d'orfraie à leurs contempteurs) mais sont repassés dans un moule idéologique et des pratiques très datées (par exemple, je trouve que même en France il y a un retour important à la microchronologie que l'on ne retrouve pas dans les programmes et qui permettrait de dépasser le débat puéril chronologie/thématique).

Intéressant de voir qu'on peut en même temps faire ce constat et demander un retour à l'histoire de France "pure et dure". Parce que s'il y a bien un truc qui a fait décrocher l'histoire universitaire française, c'est bien le "francocentrisme".

Ma philosophie est la suivante : histoire de France pure et dure au collège dans une logique constructiviste.
Au lycée, histoire plus ouverte avec une approche plus déconstructiviste (mais avec la destruction non pas des grands mythes nationaux qui de toute façon sont morts mais des grands mythes libéraux qui leur ont succédé).

Tout dépend de ce qu'on entend par "francocentrisme", notamment à l'université. Prenons l'exemple des femmes et des Lumières : quand on introduit la dimension du gender dans l'étude de la Révolution française, on le fait avec un esprit très francocentré, effectivement, pour montrer que les Lumières, la Révolution, ont amené au progrès (qui est la grande marotte française). Or, si on fait une étude réellement serrée selon la logique du gender telle qu'elle se fait ailleurs, on en arrive à la conclusion que les faits contredisent cette vision intellectuelle provinciale. Dans les deux cas, ce n'est pas l'objet d'étude qui crée le francocentrisme, c'est la grille de lecture appliquée qui est ringarde. On est pas francocentré parce qu'on étudie la France, mais parce qu'on l'étudie en pensant "français" (par exemple, je suis très admiratif des bouquins de Darnton qui me semblent être une voie très intéressante même s'ils portent sur la France).

Personnellement, je suis persuadé que si on étudiait l'histoire de France avec la même rigueur que les universitaires américains étudient leur histoire en se libérant de beaucoup des carcans de nos paradigmes, on ferait à nouveau une histoire qui à travers le cas particulier de la France arriverait à l'universel (pour paraphraser Senghor). C'est en cela que la french theory américaine me semble paradoxalement avoir eu un impact bien plus positif dans le monde anglo-saxon qu'en France (peut-être du fait de la différence de nature de nos pays).
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par Honchamp Lun 4 Mai 2015 - 20:49
Feuchtwanger a écrit:

Yagil est une historienne israélienne qui a publié trois énormes volumes de référence sur le phénomène de la désobéissance civile en France pendant la Seconde Guerre Mondiale (département par département) et qui montre à quel point la thèse paxtonienne, notamment sur le rôle des services administratifs, de la Résistance, etc... prend l'eau de toute part, notamment en repensant la question de l'impact de la souveraineté permise par l'arrmistice dans les rapports avec l'occupant.

.
Est-ce traduit en français ?
En bref, que dit-elle des services administratifs ?
Je fais quelques recherches moi-même, modestement. Ce que je lis dans les documents des Archives va dans le sens d'une aide (euphémisme) aux Allemands, notamment sur les rafles des Juifs en zone Sud.
Mais ne connaissant pas ces chercheurs, je ne peux guère aller plus loin.
Continuez à nous éclairer.




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par Marcel Khrouchtchev Lun 4 Mai 2015 - 20:51
Feuchtwanger a écrit:
Ma philosophie est la suivante : histoire de France pure et dure au collège dans une logique constructiviste.
Au lycée, histoire plus ouverte avec une approche plus déconstructiviste (mais avec la destruction non pas des grands mythes nationaux qui de toute façon sont morts mais des grands mythes libéraux qui leur ont succédé).

Cela a au moins le mérite de la cohérence, je le reconnais très volontiers.
Merci d'avoir pris le temps de me répondre.

Feuchtwanger a écrit:Personnellement, je suis persuadé que si on étudiait l'histoire de France avec la même rigueur que les universitaires américains étudient leur histoire en se libérant de beaucoup des carcans de nos paradigmes, on ferait à nouveau une histoire qui à travers le cas particulier de la France arriverait à l'universel (pour paraphraser Senghor). C'est en cela que la french theory américaine me semble paradoxalement avoir eu un impact bien plus positif dans le monde anglo-saxon qu'en France (peut-être du fait de la différence de nature de nos pays).

En tout cas, pour avoir lu beaucoup de thèses sur l'histoire de France écrites par des Américains, je t'assure qu'il vaut mieux ne pas s'en inspirer (heureusement, il y a de géniales exceptions). Mais je ne veux pas faire dévier le débat.
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par Feuchtwanger Lun 4 Mai 2015 - 20:54
Marcel Khrouchtchev a écrit:
Feuchtwanger a écrit: Ce sont beaucoup d'aspects qui sont très peu traités dans le monde universitaire car ils cadrent très mal avec le paradigme dominant.

Merci beaucoup pour ces références, mais n'exagère pas quand même l'isolement des auteurs que tu cites, Dard a été élu à la Sorbonne l'an dernier et il a un grand rayonnement national et international.

Oui bien sûr, Yagil est aussi maître de conf et Michel est préfacé par Prasquier.
Il y a beaucoup de très bonnes choses dans la recherche française mais malheureusement elles sont très méconnues par les professeurs d'histoire, car peu enseignées dans la préparation des concours.
Je crois de toute façon que le paradigme est en train de craquer avec l'apparition de continents engloutis (je pense par exemple à la manière dont l'Action Française a été revisitée récemment alors que pour prendre une référence comme le Beaupré dans l'histoire de France Belin, elle n'a que cinq citations à l'index de mémoire, toutes assez pauvres et je ne parle pas des mentions qui en sont faites, totalement décontextualisées dans les manuels).

C'est surtout cela que je reproche à l'université, ses difficultés à faire cohabiter les possibles dans l'enseignement et la tête des futurs professeurs d'histoire. Par exemple je donne toujours à mes élèves à lire la préface de "Mes idées politiques" de Maurras, en parallèle avec le bouquin de Clemenceau sur la République et "les réflexions sur la violence" de Sorel et c'est toujours amusant de voir à quel point cela leur ouvre un champ d'analyse bien plus vaste que la vision "classique".
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par Invité Lun 4 Mai 2015 - 20:58
Feuchtwanger a écrit:
C'est surtout cela que je reproche à l'université, ses difficultés à faire cohabiter les possibles dans l'enseignement et la tête des futurs professeurs d'histoire. Par exemple je donne toujours à mes élèves à lire la préface de "Mes idées politiques" de Maurras, en parallèle avec le bouquin de Clemenceau sur la République et "les réflexions sur la violence" de Sorel et c'est toujours amusant de voir à quel point cela leur ouvre un champ d'analyse bien plus vaste que la vision "classique".

C'est une plaisanterie, rassurez-moi ?
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par Isis39 Lun 4 Mai 2015 - 21:03
Tamerlan a écrit:
Feuchtwanger a écrit:
C'est surtout cela que je reproche à l'université, ses difficultés à faire cohabiter les possibles dans l'enseignement et la tête des futurs professeurs d'histoire. Par exemple je donne toujours à mes élèves à lire la préface de "Mes idées politiques" de Maurras, en parallèle avec le bouquin de Clemenceau sur la République et "les réflexions sur la violence" de Sorel et c'est toujours amusant de voir à quel point cela leur ouvre un champ d'analyse bien plus vaste que la vision "classique".

C'est une plaisanterie, rassurez-moi ?

T'as jamais lu ce que Feuchtwanger raconte de ses cours ? Very Happy
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par Invité Lun 4 Mai 2015 - 21:05
Isis39 a écrit:
Tamerlan a écrit:
Feuchtwanger a écrit:
C'est surtout cela que je reproche à l'université, ses difficultés à faire cohabiter les possibles dans l'enseignement et la tête des futurs professeurs d'histoire. Par exemple je donne toujours à mes élèves à lire la préface de "Mes idées politiques" de Maurras, en parallèle avec le bouquin de Clemenceau sur la République et "les réflexions sur la violence" de Sorel et c'est toujours amusant de voir à quel point cela leur ouvre un champ d'analyse bien plus vaste que la vision "classique".

C'est une plaisanterie, rassurez-moi ?

T'as jamais lu ce que Feuchtwanger raconte de ses cours ? Very Happy

Heu non, là je suis assez sidéré par le manque d'ambition du passage précédent.
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par Feuchtwanger Lun 4 Mai 2015 - 21:05
Honchamp a écrit:
Feuchtwanger a écrit:

Yagil est une historienne israélienne qui a publié trois énormes volumes de référence sur le phénomène de la désobéissance civile en France pendant la Seconde Guerre Mondiale (département par département) et qui montre à quel point la thèse paxtonienne, notamment sur le rôle des services administratifs, de la Résistance, etc... prend l'eau de toute part, notamment en repensant la question de l'impact de la souveraineté permise par l'arrmistice dans les rapports avec l'occupant.

.
Est-ce traduit en français ?
En bref, que dit-elle des services administratifs ?
Je fais quelques recherches moi-même, modestement. Ce que je lis dans les documents des Archives va dans le sens d'une aide (euphémisme) aux Allemands, notamment sur les rafles des Juifs en zone Sud.
Mais ne connaissant pas ces chercheurs, je ne peux guère aller plus loin.
Continuez à nous éclairer.




Yagil est traduite en français.
Le meilleur bouquin (contesté en France mais intéressant) est le bouquin de Michel pour voir une alternative à la vision dominante (ùême si je trouve un peu outré dans l'opposition à Paxton, dans la logique du capitaine qui donne un coup de barre trop violent pour éviter un écueil où tout le monde s'échoue).
En bref, il y a un problème majeur d'archives, puisque l'idée est de montrer que si sur le papier (au sens propre) Vichy s'est montré très collaborationiste vis-à-vis des demandes des allemands, dans la pratique, il y avait beaucoup de rouages informels (et fort peu visibles si l'on sent tient aux archives) qui court-circuitaient volontairement ces intentions proclamées.
Il y a bien sûr une grande variété de lieux et de situations, avec des contre-exemples comme la rafle de Marseille qui est très particulière et tout change bien sûr en 42.
Je ne veux pas faire dévier le topic tant le sujet est complexe mais si vous voulez, nous pouvons en ouvrir un autre ailleurs.

Mais pour revenir au sujet, tout cela demanderait bien huit heures supplémentaires pour faire Vichy avant de les dépenser à en faire la mémoire (donc il faut rajouter des heures d'enseignement, madame le ministre va être ravie yesyes ).
Isis39
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par Isis39 Lun 4 Mai 2015 - 21:10
Pourquoi parles-tu de faire la mémoire de Vichy ?
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par Feuchtwanger Lun 4 Mai 2015 - 21:13
Isis39 a écrit:Pourquoi parles-tu de faire la mémoire de Vichy ?

Je fais ce raccourci par rapport au programme de TES/L sur "l'historien et les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale", sachant que l'exemple de Vichy peut être transposé à d'autres aspects de la Seconde GM.
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