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NLM76
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Les euphémismes dans La princesse de Clèves Empty Les euphémismes dans La princesse de Clèves

par NLM76 Lun 20 Avr 2020, 23:56
Je voudrais vérifier que je ne délire pas... On est bien d'accord que la Princesse de Clèves est un livre plein d'euphémismes ? Ainsi, "quelques soins" dans "Il avait tant de douceur et tant de disposition à la galanterie, qu’il ne pouvait refuser quelques soins à celles qui tâchaient de lui plaire", c'est tout à fait dégueulasse, n'est-ce pas ? De même, par exemple, quand le vidame de Chartres évoque ses galanteries, à la fin de la deuxième partie, dans "les lieux particuliers à la voir", il ne s'agit pas seulement de voir avec les yeux? "J’étais amoureux de madame de Thémines ; mais quoiqu’elle m’aimât, je n’étais pas assez heureux pour avoir des lieux particuliers à la voir, et pour craindre d’y être surpris ; et ainsi je vis bien que ce ne pouvait être elle dont la reine voulait parler. Je savais bien aussi que j’avais un commerce de galanterie avec une autre femme moins belle et moins sévère que madame de Thémines, et qu’il n’était pas impossible que l’on eût découvert le lieu où je la voyais."

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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
Écusette de Noireuil
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par Écusette de Noireuil Mar 21 Avr 2020, 01:02
Je suis assez d'accord. Litote et euphémisme sont les deux mamelles de ce roman !

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yranoh
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par yranoh Mar 21 Avr 2020, 05:54
On y trouve aussi des ellipses qui sont à mon sens des tromperies du narrateur. Je pense notamment à l'absence de réponse de Mme de Clèves à la dauphine dans la scène du portrait dérobé :

texte avec des passages en gras:

L'absence de réponse est, j'en suis convaincu, une ellipse, et Madame de La Fayette joue avec cette ellipse sur l'ensemble du passage (tout ce que j'ai mis en gras, à mon avis, mais en tout cas le passage central).
On a d'abord une ellipse par changement de thème ("elle lui demanda ce qu'elle regardait" / Monsieur de Nemours, puis le passage de la voix au regard, etc) puis dans le paragraphe suivant l'ellipse est redoublée : on peut avoir une hésitation sur l'embarras de Madame de Clèves. On peut penser d'abord qu'elle est embarrassée pour répondre à la question, mais ce moment de la réponse s'éloigne de plus en plus : "la raison voulait qu'elle demandât son portrait" peut encore être interprété comme une réponse possible, mais quand le narrateur propose l'alternative "en le lui demandant en particulier", ce moment est tout à fait éloigné, et passé subrepticement sous silence. Je crois même que la suite poursuit ce jeu (équivoque de "n'attendit point sa réponse", qui fait que le passage au paragraphe suivant peut se lire comme le triplement de l'ellipse : "n'attendit point sa réponse" / "Madame la dauphine sortit").
Le narrateur joue sur les effets dramatiques d'attente ("parlait bas" et "demanda tout haut"), puis sur les équivoques, des référents ("sa réponse" par exemple) et du temps (moment précis de la réponse, ou temps un peu plus distendu ?), elle joue aussi avec la richesse des détails, pour en même temps mettre en valeur et faire complètement oublier un élément essentiel : la réponse de Mme de Clèves à la daupine. C'est essentiel parce que cette réponse changerait tout à l' esthétique morale, pour ainsi dire, du personnage. Madame de Clèves ne peut pas se taire, elle a forcément répondu, menti donc. C'est le narrateur qui se tait.

Il y a ici une tromperie du narrateur par l'agencement du récit, mais dans l'ensemble du roman c'est la langue du narrateur qui me parait volontairement trompeuse.
Illiane
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par Illiane Mar 21 Avr 2020, 11:22
De manière générale la langue classique a tendance à jouer de la litote et de l'euphémisme il me semble.
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par Iphigénie Mar 21 Avr 2020, 11:30
C'est Gide qui définissait le classicisme comme l'art de la litote. Wink

Sur le passage d'Yranoh je me demande si c'est l absence de réponse ou au contraire une reponse explicite : en meme temps qu'elle demande ce qu'elle regarde, elle la voit regarder Nemours: dès lors la réponse est inutile et c'est  la sortie de la Dauphine qui lui évite de sembler attendre une réponse qui l'embarrasserait elle....ou peut-être l'irrite?
Cf:
"La reine les interrompit pour faire continuer le bal : M. de Nemours prit la reine dauphine. Cette princesse était d’une parfaite beauté, et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu’il allât en Flandres ; mais, de tout le soir, il ne put admirer que madame de Clèves."
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par NLM76 Mar 21 Avr 2020, 13:46
Tiens, à propos de litote. L'évolution du sens de ce mot me paraît être assez rigolote, fondée une espèce de contresens. λιτότης, en grec, c'est la simplicité, le style lisse, donc sans figures. Aujourd'hui, on entend sous "litote" une façon de dire les choses des plus alambiquées...

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par NLM76 Mar 21 Avr 2020, 13:48
En quelque sorte, la figure dominante, ce serait l'emberlificotage...

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par Iphigénie Mar 21 Avr 2020, 14:39
NLM76 a écrit:En quelque sorte, la figure dominante, ce serait l'emberlificotage...
Figure dominante de la vie de cour , oui en effet!
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par NLM76 Mar 21 Avr 2020, 22:52
Du coup, dans mon cours sur la négation, je présente les choses ainsi :

Pas trop délirant ?
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par Iphigénie Mer 22 Avr 2020, 08:29
Je trouve cela très intéressant!
Par contre pour la phrase 76 je ne suis pas sûre de voir un irréel ? Et je m'interroge plutôt sur le " elle crut le reconnaître": non? ( alors que les hypothèses précédentes expliquent pourquoi elle le voit? Enfin je n'ai pas le contexte de la phrase)
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par NLM76 Mer 22 Avr 2020, 13:40
Oui. En fait, c'est quelque chose comme un éventuel du passé. On aurait sans doute un optatif en grec. Je n'ai pas suffisamment réfléchi à la façon de présenter les valeurs fondamentales du subjonctif en français, entre éventuel, potentiel et irréel. Les grammaires contemporaines veulent insister sur le "possible", c'est-à-dire sur le potentiel. Elles ont peut-être raison.

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