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Ajonc35
Grand sage

Le mépris - Page 2 Empty Re: Le mépris

par Ajonc35 Lun 6 Jan 2025 - 8:08
roxanne a écrit:Ah, le fameux "Les profs ( ou tel ou tel prof) m'ont toujours dit que j'étais nul et que je ne ferai rien de ma vie." Ca fleurit partout sur les réseaux, les interviews d'acteurs ou autres. Dans les faits, concrètement, je ne nie pas que parfois le mot a dû être prononcé, notamment pour les plus âgés. Mais, le plus souvent, non, ce n'est pas dit, c'est un ressenti, qui d'ailleurs arrange bien parfois les élèves et les laisse dans le déni. Quand je pense à X en seconde qui a, en redoublant, royalement 5.5 de moyenne générale, je ne me dis pas qu'il est nul, ni qu'il ne fera rien de sa vie mais que là, oui, il n'est pas à sa place et qu(il serait mieux dans une formation où il serait en réussite. Mais, non, les parents "Il fera une générale." Et on l'a tous X. Alors, comme il a redoublé, il finira en STMG (là je parie plutôt pour STI2D car on a du mal à les remplir et son copain veut faire ça, sauf que le copain assure en maths). Bref, pendant ce temps, mon neveu qui a testé la seconde générale s'éclate en bac pro industriel en alternance tout en ayant compris très vite en bossant que ce sera mieux pour lui d'avoir un BTS voire une licence pro. Sans être grand clerc, il y en a quand même un des deux qui me semble mieux parti que l'autre. Mais, franchir le cap bac pro, qui plus est en alternance, n'a pas été facile pour ma sœur et son mari et dernièrement une cousine (dont les petits enfants sont "brillants" parce que "quand on veut on peut") à qui j'en parlais me disait d'un air navré "Mais, là quand même, il pourra retourner en général à un moment? " . Tant que ça, ça n'aura pas évolué, oui, il y aura des X dans nos classes.
Je suis bien s'accord avec toi. 
Sauf que... Le bac pro a été très dévalorisé surtout avec la réforme de 2009 qu'il se vide petit à petit. C'est vraiment dommage. Mais dans dans l'industrie, il y a de vraies et belles opportunités et avec un BTS voire plus, chacun peut avoir un bel avenir. 
Je trouve dommage ce mépris pour les diplômes pro, qui depuis 2009, ont subi comme les autres le mépris de la classe politique et des ministres de l'EN.
Iphigénie
Iphigénie
Prophète

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par Iphigénie Lun 6 Jan 2025 - 8:38
Ce n’est pas l’école qui crée les problèmes de la société mais l’inverse: l’école a bon dos pour éviter de faire évoluer le reste, comme par exemple, le monde du travail, et entre autre, quand on y est parent: plus simple de décréter une éducation à l’empathie en maternelle ou de supprimer les allocs des enfants livrés à eux-mêmes …Alors dans tout ça, la dictée ou les accents régionaux ( quand tout le monde migre d’une région à l’autre, que les familles sont éclatées du Nord au sud, pour plein de raisons), hein….
Reine Margot
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Demi-dieu

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par Reine Margot Lun 6 Jan 2025 - 9:27

La critique du "tri scolaire" masque mal la réalité du délabrement progressif de l'école et des autres services publics. On n'entend pas beaucoup les Dubet, Winckler et consorts se plaindre de la crise du recrutement des enseignants (et encore moins proposer des solutions) ou des classes surchargées. On aura bien du mal à aider les classes populaires en continuant à faire avec toujours moins de moyens. Les faits sont pourtant là, comme le montrent les enquêtes internationales PISA et autres, oui, le niveau baisse, et oui les classes populaires en font les frais car les autres s'en sortent (un peu) mieux. La rhétorique du mépris a ses limites, on n'est plus à l'époque des héritiers de Bourdieu.

Sur le mépris, lire Pierre Rosanvallon qui parle bien du sentiment de dignité et du ressentiment, qui sapent nos démocraties.


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Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
X.Y.U.
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par X.Y.U. Lun 6 Jan 2025 - 9:33
Vous relevez que le qualificatif «nul» nous est renvoyé à la figure dès le plus jeune âge.

Vous êtes «nul» en maths ou «nul» en musique, et vous avez vite fait de vous sentir nul tout court. Je souffrais beaucoup qu’on me voie comme une personne de moindre valeur parce que je n’avais pas un bon niveau sportif.
Depuis que je bosse au sein de l'éducation nationale - plus de 20 ans - je n'ai jamais entendu quelque collègue que ce soit qualifier sérieusement un élève de "nul"... A chaque fois que j'entends ce mot (et ça me navre systématiquement), il sort de la bouche de l'élève lui-même, ou de ses parents (ah ben moi aussi j'étais nul en maths hein, c'est de famille Laughing ), ou des autres élèves... Systématiquement je rectifie, je reformule, je recadre, je pousse à réfléchir... Selon moi cette sensation d'être "nul" dans un domaine ou dans sa scolarité toute entière ne vient pas des enseignants (ou plus depuis plusieurs décennies en tout cas). Elle peut encore s'expliquer par le système maltraitant qui permet (ou pousse) certains enfants à se retrouver en échec car passage systématique dans la classe supérieure sans avoir les bases ; par un refus des parents malgré un profil segpa avéré ; par l'ajout de cas compliqués et de plus en plus nombreux qui nécessiteraient un encadrement adapté avec du personnel spécialisé plutôt que d'être noyés dans les classes déjà chargées ; par un placement dans une classe d'âge alors que l'élève serait bien mieux dans une classe en-dessous voire deux (je pense notamment aux primo-arrivants qui ne parlent pas un mot de français et qui cumulent de grosses lacunes scolaires même dans leur langue d'origine, et qu'on continue à mettre systématiquement dans leur classe d'âge sans réfléchir davantage à l'intérêt d'un tel positionnement...).
Prezbo
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par Prezbo Lun 6 Jan 2025 - 9:40
roxanne a écrit:Ah, le fameux "Les profs ( ou tel ou tel prof) m'ont toujours dit que j'étais nul et que je ne ferai rien de ma vie." Ca fleurit partout sur les réseaux, les interviews d'acteurs ou autres. Dans les faits, concrètement, je ne nie pas que parfois le mot a dû être prononcé, notamment pour les plus âgés. Mais, le plus souvent, non, ce n'est pas dit, c'est un ressenti, qui d'ailleurs arrange bien parfois les élèves et les laisse dans le déni. Quand je pense à X en seconde qui a, en redoublant, royalement 5.5 de moyenne générale, je ne me dis pas qu'il est nul, ni qu'il ne fera rien de sa vie mais que là, oui, il n'est pas à sa place et qu(il serait mieux dans une formation où il serait en réussite. Mais, non, les parents "Il fera une générale." Et on l'a tous X. Alors, comme il a redoublé, il finira en STMG (là je parie plutôt pour STI2D car on a du mal à les remplir et son copain veut faire ça, sauf que le copain assure en maths). Bref, pendant ce temps, mon neveu qui a testé la seconde générale s'éclate en bac pro industriel en alternance tout en ayant compris très vite en bossant que ce sera mieux pour lui d'avoir un BTS voire une licence pro. Sans être grand clerc, il y en a quand même un des deux qui me semble mieux parti que l'autre. Mais, franchir le cap bac pro, qui plus est en alternance, n'a pas été facile pour ma sœur et son mari et dernièrement une cousine (dont les petits enfants sont "brillants" parce que "quand on veut on peut") à qui j'en parlais me disait d'un air navré "Mais, là quand même, il pourra retourner en général à un moment? " . Tant que ça, ça n'aura pas évolué, oui, il y aura des X dans nos classes.

Moui, le "les profs m'ont toujours dit que j'étais nul(les)" cache souvent le "j'étais embarqué dans un cursus où je ne captais rien, et accuser les profs était la solution de facilité". Je ne dis pas qu'il ne puisse pas y avoir des profs blessants par tempérament, par mal-être ou par maladresse (Qui peut jurer de n'avoir jamais eu une réaction maladroite dans une carrière ?), mais on peut reconnaître que c'est aussi un point sur lequel la pratique majoritaire s'est inversée. Je vois plus souvent maintenant des élèves dont on souligne en conseil de classe les progrès ou les résultats satisfaisants alors qu'ils traînent des lacunes béantes (et parfois s'effondrent lorsqu'ils partent dans le niveau supérieur) que des élèves que l'on casse par plaisir en ignorant leur potentiel caché.
Prezbo
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par Prezbo Lun 6 Jan 2025 - 9:41
X.Y.U. a écrit:
Vous relevez que le qualificatif «nul» nous est renvoyé à la figure dès le plus jeune âge.

Vous êtes «nul» en maths ou «nul» en musique, et vous avez vite fait de vous sentir nul tout court. Je souffrais beaucoup qu’on me voie comme une personne de moindre valeur parce que je n’avais pas un bon niveau sportif.
Depuis que je bosse au sein de l'éducation nationale - plus de 20 ans - je n'ai jamais entendu quelque collègue que ce soit qualifier sérieusement un élève de "nul"... A chaque fois que j'entends ce mot (et ça me navre systématiquement), il sort de la bouche de l'élève lui-même, ou de ses parents (ah ben moi aussi j'étais nul en maths hein, c'est de famille Laughing ), ou des autres élèves... Systématiquement je rectifie, je reformule, je recadre, je pousse à réfléchir... Selon moi cette sensation d'être "nul" dans un domaine ou dans sa scolarité toute entière ne vient pas des enseignants (ou plus depuis plusieurs décennies en tout cas). Elle peut encore s'expliquer par le système maltraitant qui permet (ou pousse) certains enfants à se retrouver en échec car passage systématique dans la classe supérieure sans avoir les bases ; par un refus des parents malgré un profil segpa avéré ; par l'ajout de cas compliqués et de plus en plus nombreux qui nécessiteraient un encadrement adapté avec du personnel spécialisé plutôt que d'être noyés dans les classes déjà chargées ; par un placement dans une classe d'âge alors que l'élève serait bien mieux dans une classe en-dessous voire deux (je pense notamment aux primo-arrivants qui ne parlent pas un mot de français et qui cumulent de grosses lacunes scolaires même dans leur langue d'origine, et qu'on continue à mettre systématiquement dans leur classe d'âge sans réfléchir davantage à l'intérêt d'un tel positionnement...).

Voilà.
Marie Aigre Douce
Marie Aigre Douce
Niveau 1

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par Marie Aigre Douce Lun 6 Jan 2025 - 10:20
Pour le coup, je n'ai pas lu Winkler et son témoignage ressemble à une espèce de comparaison sans même chercher à aller plus loin. A lire en tant qu'auto-biographie, c'est sans doute intéressant (bien que l'exercice de l'auto-biographie montre une certaine estime de soi) mais je trouve que les citations sont au mieux de l'ordre de l'expérience personnelle. A ce tarif-là, je pourrais écrire en étant provocatrice que le mépris n'existe pas en France puisque mes enseignants m'ont toujours valorisé, que j'ai pu accéder à des études supérieures malgré mon milieu et que le système méritocratique fonctionne. Or, sans être sociologue, je constate bien que mon expérience est assez différente de ce qu'il se passe et j'avoue avoir du mal avec l'utilisation de la comparaison pour penser les systèmes.

Que ce soit l'Amérique du Nord avec le Canada et les États-Unis ou la Grande-Bretagne, relever des dysfonctionnements est intéressant mais peut-être que le fond du problème réside dans la place qu'occuper l'école et dans ce qu'on en fait. Les politiques publiques qui suppriment des postes, le mépris des gens qui ratent ( exacerbé aux États-Unis notamment par la valorisation de la réussite chez les personnes favorisées, l'échec ce n'est pas une fin en soi) et l'individualisme qui empêche de penser le collectif sont peut-être intéressants aussi à étudier.

J'ai bien conscience que la personne ne se livre pas à un essai de sociologie mais le souci que je pointe c'est que si cette personne a de l'audience, une forme de pouvoir, pourrait-elle aussi s'en servir pour poser des questions plus générales plutôt que de ne se limiter qu'un énième témoignage. En tant que témoignage, il a sa place mais c'est dommage de se limiter à ça.

Pour les filières, l'arrogance et le mépris viennent assez souvent des parents de mon expérience, j'ose espérer que cela changera avec le temps.
Jenny
Jenny
Médiateur

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par Jenny Lun 6 Jan 2025 - 10:24
Marie Aigre Douce a écrit:Pour les filières, l'arrogance et le mépris viennent assez souvent des parents de mon expérience, j'ose espérer que cela changera avec le temps.

Certains collègues ont aussi une opinion très négative des filières technologiques et professionnelles. Quand un bon élève a un projet solide et veut passer par le lycée pro ou par une orientation manuelle après le bac, il est souvent découragé par des collègues qui disent que quand même, c'est du gâchis, même pour d'excellentes formations. Le mépris - Page 2 1665347707
epekeina.tes.ousias
epekeina.tes.ousias
Modérateur

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par epekeina.tes.ousias Lun 6 Jan 2025 - 10:34
Baldred a écrit:Il me semble qu'il y a beaucoup de vrai dans notre société extrêmement classante en général, et dans le système scolaire en particulier. Pour connaitre un peu le Canada, je partage le point de vue de Winckler depuis le Québec. Le mépris social et scolaire est ce que j'appellerai faute de mieux une culture inutile. "Nul" ou "ridicule"  "âne" témoigne d'un trait de culture dont on pourrait faire l'histoire en France, et à l'école, tout en se demandant quel bénéfice on peut bien en retirer.

J'ai lu cet article sur lequel tu attires l'attention — mais je ne me fais peut-être pas les mêmes réflexions.
J'aime bien les livres de M. Winckler — La Maladie de Sachs, Vacation et Légendes. Mais je ne suis pas certain qu'il ait saisi quelque chose. Il a sans doute raison en disant que ce qui est “méprisé” en France ne l'est pas au Québec : c'est assez attendu, puisque ce ne sont pas les mêmes sociétés. Toute société emporte avec elle (entre autres) un ensemble de représentations imaginaires symboliques qui “classe” un ensemble d'objets constitutifs d'une réalité, la réalité symbolique (imaginaire, axiologique, “pensée” et non pas “concrète) d'une société. L'autre manière de le dire (mais qui ne dit pas la parenté avec ce que l'on appelle aussi des “mythes”) est d'employer l'expression de “système de valeurs”.

Dès que l'on adhère à une “valeur” (ou plutôt : dès que celle-ci met en ordre une pensée, mettons la mienne), on valorise ce qu'elle valorise — et par conséquent, on méprise ce qu'elle méprise. L'idée suivant laquelle on pourrait tout valoriser et ne rien mépriser (ou l'inverse) est, en elle-même, auto-contradictoire, ce qui signifie impossible (et non, ce n'est pas la même chose que de cultiver deux valeurs contraires et incompatibles, par ex. la valorisation d'une certaine image des femmes et la valorisation de comportements agressifs et dévalorisant vis-à-vis des femmes — cas qui est au contraire extrêmement courant) : dès qu'il y a de telles représentations, il y a nécessairement ce couple. Pas de valorisation sans dévalorisation, donc mépris, ne serait-ce que celui de la dévalorisation de ce qui nie la valorisation.

Autrement dit, qu'en France et au Québec on ne valorise/méprise pas les mêmes choses, c'est une évidence. Et c'est ce qui explique que Winckler n'a pas tort de désigner un certain nombre de structures — comme celles consistant à classer les gens via le diplôme — comme potentiellement excessives. Évidemment, il en donne une représentation qui est en partie faussée : au lieu d'y voir un élément (parmi d'autres, qui lui sont aussi parfois contraires) d'un imaginaire collectif, il semble y voir une réalité. Or, effectivement, des profs qui insultent leurs élèves, les traitent de nuls, etc., ce n'est pas courant — loin de là. Ne serait-ce que parce que cela scandalise beaucoup (ce qui indique la présence d'un élément contraire). Mais à titre d'élément imaginaire ou mythologique, cela existe : les profs font partie de “ceux qui jugent” — un niveau scolaire, des résultats, des notes, un examen (etc.). À ce titre ils valorisent/dévalorisent : le leur reprocher, c'est exprimer de manière imaginaire et mythologique un certain fonctionnement — que l'on ne perçoit pas dans son fonctionnement réel — qui a effectivement des effets délétères : l'exclusion, le ratage, l'insertion économique et sociale rendue difficile, voire impossible — bref, la veste étendue des phénomènes que les sociologues ont l'habitude de mettre en lumière.

Il oublie simplement que (par ex.) la valorisation du “self made man”, au Québec, comme au Canada, comme aux États-Unis, pourrait faire l'objet d'une critique analogue. Et, d'autre part, il semble ne pas connaître le phénomène corollaire : celui des valeurs — ne serait-ce que celles au nom desquelles on fustige le mépris, et donc de ce que ces valeurs méprisent à leur tour. Pour le dire platement : il ne voit pas ce qu'il y a de critiquable dans les sociétés d'Amérique du nord — au Québec, où il réside. Il ne voit pas non plus que l'anti-intellectualisme peut accompagner cette critique : des élites réputées opprimer les minorités, lorsqu'elles sont assimilées à la position des “discours savants”, peuvent aussi bien être rejetées et vilipendées. C'est aussi ce qui arrive aux profs en cas d'examen — comme aux médecins en cas d'épidémie…

Autrement dit, comme on voit mal comment éviter de mépriser le mépris, son propos reste aveugle à son implicite propre et manque de réflexivité. Cela ne veut pas dire que c'est dénué d'intérêt, mais seulement que, comme on dit, cela ne casse peut-être pas trois pattes à un canard.

Car, évidemment, passer de ce phénomène collectif — en réalité aussi d'ordre ethnologique et du ressort d'une anthropologie sociale et politique (pour parler comme Lévi-Strauss, Castoriadis, Lefort, Clastres, F. Hériter etc.) — à la dénonciation de comportements individuels est tout simplement une erreur. Erreur qui est assez générale : beaucoup se trompent en imaginant que les “lois” (ou plutôt les régularités) que l'on peut mettre en lumière concernant l'ordre — l'ordre imaginaire et symbolique — d'une société (la nôtre y compris) — seraient comme des sortes de théorèmes dont on pourrait et devrait déduire les cas particuliers, c'est-à-dire les actions. C'est bien plutôt un cadre général dans lequel on s'inscrit toujours — ce qui n'interdit pas de pouvoir le faire de manière critique (c'est même, du moins c'était même le pouvoir que l'on prêtait jadis à ce que l'on appelait les “sciences humaines”, que l'on ne confondait ni avec les sciences, ni avec les “sciences sociales”).

Nombre de profs, je pense, sont parfaitement au courant de ce que les examens et la manie de tout noter, lorsqu'ils deviennent exclusifs, sont peu compatibles avec l'enseignement : c'est par ex., depuis le XIXè s., la critique du “bachotage”. De même, beaucoup savent aussi faire la différence entre l'évaluation d'un travail, d'une copie d'examen, etc. et un jugement de valeur portant sur son auteur — ce qui ne les empêche pourtant pas de critiquer aussi tel ou tel comportement de tel ou tel élève, et à raison dans l'immense majorité des cas, sans pour autant prononcer des discours définitifs et méprisants.

Pour ces raisons, Winckler me semble beaucoup plus fin dans ses romans que dans l'exercice consistant à “commenter” la vie sociale. Mais c'est assez fréquent.

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Si tu vales valeo. Wink
Baldred
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par Baldred Lun 6 Jan 2025 - 10:38
Prezbo a écrit:
X.Y.U. a écrit:
Vous relevez que le qualificatif «nul» nous est renvoyé à la figure dès le plus jeune âge.

Vous êtes «nul» en maths ou «nul» en musique, et vous avez vite fait de vous sentir nul tout court. Je souffrais beaucoup qu’on me voie comme une personne de moindre valeur parce que je n’avais pas un bon niveau sportif.
Depuis que je bosse au sein de l'éducation nationale - plus de 20 ans - je n'ai jamais entendu quelque collègue que ce soit qualifier sérieusement un élève de "nul"... A chaque fois que j'entends ce mot (et ça me navre systématiquement), il sort de la bouche de l'élève lui-même, ou de ses parents (ah ben moi aussi j'étais nul en maths hein, c'est de famille Laughing ), ou des autres élèves... Systématiquement je rectifie, je reformule, je recadre, je pousse à réfléchir... Selon moi cette sensation d'être "nul" dans un domaine ou dans sa scolarité toute entière ne vient pas des enseignants (ou plus depuis plusieurs décennies en tout cas). Elle peut encore s'expliquer par le système maltraitant qui permet (ou pousse) certains enfants à se retrouver en échec car passage systématique dans la classe supérieure sans avoir les bases ; par un refus des parents malgré un profil segpa avéré ; par l'ajout de cas compliqués et de plus en plus nombreux qui nécessiteraient un encadrement adapté avec du personnel spécialisé plutôt que d'être noyés dans les classes déjà chargées ; par un placement dans une classe d'âge alors que l'élève serait bien mieux dans une classe en-dessous voire deux (je pense notamment aux primo-arrivants qui ne parlent pas un mot de français et qui cumulent de grosses lacunes scolaires même dans leur langue d'origine, et qu'on continue à mettre systématiquement dans leur classe d'âge sans réfléchir davantage à l'intérêt d'un tel positionnement...).

Voilà.

L'extrait que tu cites ne dit pas que les profs utilisent le mot face à  l'élève mais du sentiment de nullité de l'élève en échec. Tu parles avec raison d'un système maltraitant mais qui le serait récemment à  cause de mauvaises politiques, c'est juste aussi et le le système maltraite tout le monde au point que les profs eux-mêmes peuvent se trouver nuls sans qu'on leur dise le mot. Il me semble que ce n'est qu'une partie du problème.
Je peux redonner le lien vers cette expérience sur l'impuissance apprise qui fait se considérer comme nuls en moins de 3 minutes la moitié d'une classe d'étudiants.
Au primaire et au collège, ne pas réussir, c'est être nul. Les profs peuvent atténuer ou aggraver ce sentiment qui ne tient pas à leur manière de faire cours mais au cadre scolaire qui est le lieu de l'échec et de la réussite, de la honte ou du triomphe, de la construction ou de l'éviction sociale.
L'ignorer ou botter en touche est surprenant au moment où les profs eux-mêmes ressentent comme jamais le mépris et la perversité du système. De cela, ils ne sont pas responsables. Mais ils sont responsables de feindre de l'ignorer.
Prezbo
Prezbo
Grand Maître

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par Prezbo Lun 6 Jan 2025 - 10:55
Baldred a écrit:
Prezbo a écrit:
X.Y.U. a écrit:
Vous relevez que le qualificatif «nul» nous est renvoyé à la figure dès le plus jeune âge.

Vous êtes «nul» en maths ou «nul» en musique, et vous avez vite fait de vous sentir nul tout court. Je souffrais beaucoup qu’on me voie comme une personne de moindre valeur parce que je n’avais pas un bon niveau sportif.
Depuis que je bosse au sein de l'éducation nationale - plus de 20 ans - je n'ai jamais entendu quelque collègue que ce soit qualifier sérieusement un élève de "nul"... A chaque fois que j'entends ce mot (et ça me navre systématiquement), il sort de la bouche de l'élève lui-même, ou de ses parents (ah ben moi aussi j'étais nul en maths hein, c'est de famille Laughing ), ou des autres élèves... Systématiquement je rectifie, je reformule, je recadre, je pousse à réfléchir... Selon moi cette sensation d'être "nul" dans un domaine ou dans sa scolarité toute entière ne vient pas des enseignants (ou plus depuis plusieurs décennies en tout cas). Elle peut encore s'expliquer par le système maltraitant qui permet (ou pousse) certains enfants à se retrouver en échec car passage systématique dans la classe supérieure sans avoir les bases ; par un refus des parents malgré un profil segpa avéré ; par l'ajout de cas compliqués et de plus en plus nombreux qui nécessiteraient un encadrement adapté avec du personnel spécialisé plutôt que d'être noyés dans les classes déjà chargées ; par un placement dans une classe d'âge alors que l'élève serait bien mieux dans une classe en-dessous voire deux (je pense notamment aux primo-arrivants qui ne parlent pas un mot de français et qui cumulent de grosses lacunes scolaires même dans leur langue d'origine, et qu'on continue à mettre systématiquement dans leur classe d'âge sans réfléchir davantage à l'intérêt d'un tel positionnement...).

Voilà.

L'extrait que tu cites ne dit pas que les profs utilisent le mot face à  l'élève mais du sentiment de nullité de l'élève en échec. Tu parles avec raison d'un système maltraitant mais qui le serait récemment à  cause de mauvaises politiques, c'est juste aussi et le le système maltraite tout le monde au point que les profs eux-mêmes peuvent se trouver nuls sans qu'on leur dise le mot. Il me semble que ce n'est qu'une partie du problème.
Je peux redonner le lien vers cette expérience sur l'impuissance apprise qui fait se considérer comme nuls en moins de 3 minutes la moitié d'une classe d'étudiants.
Au primaire et au collège, ne pas réussir, c'est être nul. Les profs peuvent atténuer ou aggraver ce sentiment qui ne tient pas à leur manière de faire cours mais au cadre scolaire qui est le lieu de l'échec et de la réussite, de la honte ou du triomphe, de la construction ou de l'éviction sociale.
L'ignorer ou botter en touche est surprenant au moment où les profs eux-mêmes ressentent comme jamais le mépris et la perversité du système. De cela, ils ne sont pas responsables. Mais ils sont responsables de feindre de l'ignorer.

Je ne dis pas le contraire. Mais sans avoir lu le  Winckler, lorsqu'on en reste au niveau du témoignage et ressenti individuel, le résumé médiatique qui reste risque bien d'être "les profs m'ont dit que j'étais nul". Lorsque cela vient de quelqu'un qui a par ailleurs réussi de études longues et prestigieuses, cela peut aussi être ressenti comme comportant une part de snobisme agaçante. Lorsque cela s'accompagne de sous-entendu du type c'est mieux ailleurs (souvent donc, en Amérique du nord), encore plus. Sur ce point, le message d'ETO sur le fait que des systèmes de valeurs différents impliquent des objets de mépris différents, mais pas forcément l'absence de mépris (Fait-il bon être pauvre ou déclassé au Quebec ?) est à lire. Enfin, le fait que Winckler, comme beaucoup de gens maintenant un discours critique après un certain âge, parle d'une école qui n'existe plus, ou pas sous la même forme, me semble aussi à rappeler pour savoir de quoi on parle.


Dernière édition par Prezbo le Lun 6 Jan 2025 - 11:30, édité 1 fois
Clecle78
Clecle78
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par Clecle78 Lun 6 Jan 2025 - 10:59
Finalement Winkler, si empathique et subtil pour parler des médecins et de la médecine ne montre pas ces mêmes qualités en parlant des enseignants  et de l'enseignement.
Quant au Québec, les expériences de français là bas sont assez contrastées et tout est loin et en effet d'être rose, y compris dans l'enseignement qui connait une assez grave crise de recrutement actuellement. Ça me fait penser aux exilés à Dubaï qui te vantent cette vie fantastique où tout est mieux qu'en France.
Prezbo
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Grand Maître

Le mépris - Page 2 Empty Re: Le mépris

par Prezbo Lun 6 Jan 2025 - 11:01
Clecle78 a écrit:Finalement Winkler, si empathique et subtil pour parler des médecins et de la médecine ne montre pas ces mêmes qualités en parlant des enseignants  et de l'enseignement.
Quant au Québec, les expériences de français là bas sont assez contrastées et tout est loin et en effet d'être rose, y compris dans l'enseignement qui connait une assez grave crise de recrutement actuellement. Ça me fait penser aux exilés à Dubaï qui te vantent cette vie fantastique où tout est mieux qu'en France.

Et les exilés en Chine ? Tu as déjà parlé à des exilés en Chine ? (C'est mieux, tout est moderne et tu peux oublier un sac sur un banc sans que personne ne le vole.)
Clecle78
Clecle78
Bon génie

Le mépris - Page 2 Empty Re: Le mépris

par Clecle78 Lun 6 Jan 2025 - 11:26
Figure toi que je suis tombée sur un post Instagram qui expliquait effectivement combien la vie y est formidable !
Concernant le Québec je suis plusieurs expatriés sur Instagram qui expliquent qu'il faut des années pour trouver un médecin référent là bas et une famille s'est vu refuser un visa de travail parce que son enfant a été découvert porteur de handicap et que ce serait une charge trop lourde pour le Canada. Je ne dis pas que la France fait forcément mieux mais c'est énervant ce frensh bashing constant et sans nuance.


Dernière édition par Clecle78 le Lun 6 Jan 2025 - 11:31, édité 1 fois
Lord Steven
Lord Steven
Expert

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par Lord Steven Lun 6 Jan 2025 - 11:28
Jenny a écrit:
Marie Aigre Douce a écrit:Pour les filières, l'arrogance et le mépris viennent assez souvent des parents de mon expérience, j'ose espérer que cela changera avec le temps.

Certains collègues ont aussi une opinion très négative des filières technologiques et professionnelles. Quand un bon élève a un projet solide et veut passer par le lycée pro ou par une orientation manuelle après le bac, il est souvent découragé par des collègues qui disent que quand même, c'est du gâchis, même pour d'excellentes formations. Le mépris - Page 2 1665347707

Voire pour le supérieur. Combien de fois n'ai-je pas entendu en conseil de classe de terminale: "pourquoi demande-t-il une fac? Avec un tel niveau il peut aller en classe prépa il faut lui en parler". Ce que ça m'agace... A chaque fois je dois jeter un pavé dans la mare: non la classe prépa n'est pas une voie royale, c'est juste un choix d'orientation comme un autre.

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If you play with a cat, you should mind his scratch Le mépris - Page 2 929169480
Baldred
Baldred
Grand sage

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par Baldred Lun 6 Jan 2025 - 11:33
epekeina.tes.ousias a écrit:
Baldred a écrit:Il me semble qu'il y a beaucoup de vrai dans notre société extrêmement classante en général, et dans le système scolaire en particulier. Pour connaitre un peu le Canada, je partage le point de vue de Winckler depuis le Québec. Le mépris social et scolaire est ce que j'appellerai faute de mieux une culture inutile. "Nul" ou "ridicule"  "âne" témoigne d'un trait de culture dont on pourrait faire l'histoire en France, et à l'école, tout en se demandant quel bénéfice on peut bien en retirer.

J'ai lu cet article sur lequel tu attires l'attention — mais je ne me fais peut-être pas les mêmes réflexions.
J'aime bien les livres de M. Winckler — La Maladie de Sachs, Vacation et Légendes. Mais je ne suis pas certain qu'il ait saisi quelque chose. Il a sans doute raison en disant que ce qui est “méprisé” en France ne l'est pas au Québec : c'est assez attendu, puisque ce ne sont pas les mêmes sociétés. Toute société emporte avec elle (entre autres) un ensemble de représentations imaginaires symboliques qui “classe” un ensemble d'objets constitutifs d'une réalité, la réalité symbolique (imaginaire, axiologique, “pensée” et non pas “concrète) d'une société. L'autre manière de le dire (mais qui ne dit pas la parenté avec ce que l'on appelle aussi des “mythes”) est d'employer l'expression de “système de valeurs”.

Dès que l'on adhère à une “valeur” (ou plutôt : dès que celle-ci met en ordre une pensée, mettons la mienne), on valorise ce qu'elle valorise — et par conséquent, on méprise ce qu'elle méprise. L'idée suivant laquelle on pourrait tout valoriser et ne rien mépriser (ou l'inverse) est, en elle-même, auto-contradictoire, ce qui signifie impossible (et non, ce n'est pas la même chose que de cultiver deux valeurs contraires et incompatibles, par ex. la valorisation d'une certaine image des femmes et la valorisation de comportements agressifs et dévalorisant vis-à-vis des femmes — cas qui est au contraire extrêmement courant) : dès qu'il y a de telles représentations, il y a nécessairement ce couple. Pas de valorisation sans dévalorisation, donc mépris, ne serait-ce que celui de la dévalorisation de ce qui nie la valorisation.

Autrement dit, qu'en France et au Québec on ne valorise/méprise pas les mêmes choses, c'est une évidence. Et c'est ce qui explique que Winckler n'a pas tort de désigner un certain nombre de structures — comme celles consistant à classer les gens via le diplôme — comme potentiellement excessives. Évidemment, il en donne une représentation qui est en partie faussée : au lieu d'y voir un élément (parmi d'autres, qui lui sont aussi parfois contraires) d'un imaginaire collectif, il semble y voir une réalité. Or, effectivement, des profs qui insultent leurs élèves, les traitent de nuls, etc., ce n'est pas courant — loin de là. Ne serait-ce que parce que cela scandalise beaucoup (ce qui indique la présence d'un élément contraire). Mais à titre d'élément imaginaire ou mythologique, cela existe : les profs font partie de “ceux qui jugent” — un niveau scolaire, des résultats, des notes, un examen (etc.). À ce titre ils valorisent/dévalorisent : le leur reprocher, c'est exprimer de manière imaginaire et mythologique un certain fonctionnement — que l'on ne perçoit pas dans son fonctionnement réel — qui a effectivement des effets délétères : l'exclusion, le ratage, l'insertion économique et sociale rendue difficile, voire impossible — bref, la veste étendue des phénomènes que les sociologues ont l'habitude de mettre en lumière.

Il oublie simplement que (par ex.) la valorisation du “self made man”, au Québec, comme au Canada, comme aux États-Unis, pourrait faire l'objet d'une critique analogue. Et, d'autre part, il semble ne pas connaître le phénomène corollaire : celui des valeurs — ne serait-ce que celles au nom desquelles on fustige le mépris, et donc de ce que ces valeurs méprisent à leur tour. Pour le dire platement : il ne voit pas ce qu'il y a de critiquable dans les sociétés d'Amérique du nord — au Québec, où il réside. Il ne voit pas non plus que l'anti-intellectualisme peut accompagner cette critique : des élites réputées opprimer les minorités, lorsqu'elles sont assimilées à la position des “discours savants”, peuvent aussi bien être rejetées et vilipendées. C'est aussi ce qui arrive aux profs en cas d'examen — comme aux médecins en cas d'épidémie…

Autrement dit, comme on voit mal comment éviter de mépriser le mépris, son propos reste aveugle à son implicite propre et manque de réflexivité. Cela ne veut pas dire que c'est dénué d'intérêt, mais seulement que, comme on dit, cela ne casse peut-être pas trois pattes à un canard.

Car, évidemment, passer de ce phénomène collectif — en réalité aussi d'ordre ethnologique et du ressort d'une anthropologie sociale et politique (pour parler comme Lévi-Strauss, Castoriadis, Lefort, Clastres, F. Hériter etc.) — à la dénonciation de comportements individuels est tout simplement une erreur. Erreur qui est assez générale : beaucoup se trompent en imaginant que les “lois” (ou plutôt les régularités) que l'on peut mettre en lumière concernant l'ordre — l'ordre imaginaire et symbolique — d'une société (la nôtre y compris) — seraient comme des sortes de théorèmes dont on pourrait et devrait déduire les cas particuliers, c'est-à-dire les actions. C'est bien plutôt un cadre général dans lequel on s'inscrit toujours — ce qui n'interdit pas de pouvoir le faire de manière critique (c'est même, du moins c'était même le pouvoir que l'on prêtait jadis à ce que l'on appelait les “sciences humaines”, que l'on ne confondait ni avec les sciences, ni avec les “sciences sociales”).

Nombre de profs, je pense, sont parfaitement au courant de ce que les examens et la manie de tout noter, lorsqu'ils deviennent exclusifs, sont peu compatibles avec l'enseignement : c'est par ex., depuis le XIXè s., la critique du “bachotage”. De même, beaucoup savent aussi faire la différence entre l'évaluation d'un travail, d'une copie d'examen, etc. et un jugement de valeur portant sur son auteur — ce qui ne les empêche pourtant pas de critiquer aussi tel ou tel comportement de tel ou tel élève, et à raison dans l'immense majorité des cas, sans pour autant prononcer des discours définitifs et méprisants.

Pour ces raisons, Winckler me semble beaucoup plus fin dans ses romans que dans l'exercice consistant à “commenter” la vie sociale. Mais c'est assez fréquent.


J'entends bien, mais il s'agit de l'interview dans Libé d'un écrivain en promo, pas de l'article d'un philo-sociologue.
Ce qu'on peut reconnaitre à la parole de l'écrivain (en général) c'est son talent ou pas à explorer ce qu'il choisit d'explorer.
Winckler quitte le roman pour l'essai sur un sentiment, ou un trait du caractère national ou personnel, qui ne me semble pas aujourd'hui complètement à côté de la plaque : le mépris, et pour ce qui nous intéresse, sa partie scolaire.
Utiliser un point de vue extérieur pour parler de son propre pays est un procédé bien ancien et on ne rétorque pas à Voltaire ou à Montesquieu d'aller se faire voir chez les Hurons ou les Perses. Je ne lirai pas Winckler pour comprendre le Québec, mais je ne me formalise pas pas que la rencontre de l'étrange étranger soit peut-être d'abord un exercice réflexif. Sur l'école, son propos est intéressant dans le contexte actuel. Je m'occupe de ces fameux groupes de niveaux qu'on-ne-dit-surtout-pas-faibles et qu'on a déguisé en groupes de besoins dont la ministre de l'EN est bien incapable de décrire le principe et le fonctionnement. J'ai les groupes " faibles". La contestation de ces groupes par les profs eux-mêmes me parait très ambiguë dans un pays ou sélection scolaire comme sélection sociale parait "naturelle" dans le fond, même si bien sûr nous travaillons à la réussite de tous.
Réfléchir à la "nullité" et au mépris ne me parait pas si choquant, à l'école comme dans la société, française pour ce qui nous intéresse.

Sylvain de Saint-Sylvain
Sylvain de Saint-Sylvain
Grand sage

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par Sylvain de Saint-Sylvain Lun 6 Jan 2025 - 12:09
Lord Steven a écrit:
Jenny a écrit:
Marie Aigre Douce a écrit:Pour les filières, l'arrogance et le mépris viennent assez souvent des parents de mon expérience, j'ose espérer que cela changera avec le temps.

Certains collègues ont aussi une opinion très négative des filières technologiques et professionnelles. Quand un bon élève a un projet solide et veut passer par le lycée pro ou par une orientation manuelle après le bac, il est souvent découragé par des collègues qui disent que quand même, c'est du gâchis, même pour d'excellentes formations. Le mépris - Page 2 1665347707

Voire pour le supérieur. Combien de fois n'ai-je pas entendu en conseil de classe de terminale: "pourquoi demande-t-il une fac? Avec un tel niveau il peut aller en classe prépa il faut lui en parler". Ce que ça m'agace... A chaque fois je dois jeter un pavé dans la mare: non la classe prépa n'est pas une voie royale, c'est juste un choix d'orientation comme un autre.

Je suis ce prof relou qui dit : "Et la prépa ?" Parce que les élèves ne savent pas toujours ce que c'est, et parce que ce n'est pas les servir que de leur laisser croire que faire des études, en France, c'est par excellence aller à l'université, alors que notre système valorise davantage ceux qui passent pas les grandes écoles -- et même à l'université, puisque, dans certaines disciplines, pour y enseigner, il vaut mieux ne pas y avoir trop mis les pieds.

Ce qui me frappait, dans mon université québécoise, c'est que les étudiants y parlaient beaucoup littérature. En France, j'avais l'impression d'une obsession pour les prépas, les écoles, les concours. Vrai normalien, faux normalien, ah mais il n'a que le Capes et pas l'agreg, ah oui mais ça c'est une petite prépa... Notre système a peut-être ses vertus, mais j'ai l'impression qu'il produit aussi un grand gaspillage d'énergie, une forme d'appauvrissement intellectuel chez beaucoup de jeunes, et une série infinie d'humiliations qui peuvent marquer à vie même ceux qui ont "réussi". Il y avait par exemple un professeur dans ma fac qui continuait de regretter, malgré son poste et son âge, de ne pas être normalien.
Prezbo
Prezbo
Grand Maître

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par Prezbo Lun 6 Jan 2025 - 12:18
Baldred a écrit:


J'entends bien, mais il s'agit de l'interview dans Libé d'un écrivain en promo, pas de l'article d'un philo-sociologue.
Ce qu'on peut reconnaitre à la parole de l'écrivain (en général) c'est son talent ou pas à explorer ce qu'il choisit d'explorer.
Winckler quitte le roman pour l'essai sur un sentiment, ou un trait du caractère national ou personnel, qui ne me semble pas aujourd'hui complètement à côté de la plaque : le mépris, et pour ce qui nous intéresse, sa partie scolaire.
Utiliser un point de vue extérieur pour parler de son propre pays est un procédé bien ancien et on ne rétorque  pas à Voltaire ou à Montesquieu d'aller se faire voir chez les Hurons ou les Perses. Je ne lirai pas Winckler pour comprendre le Québec, mais je ne me formalise pas pas que la rencontre de l'étrange étranger soit peut-être d'abord un exercice réflexif. Sur l'école, son propos est intéressant dans le contexte actuel. Je m'occupe de ces fameux groupes de niveaux qu'on-ne-dit-surtout-pas-faibles et qu'on a déguisé en groupes de besoins dont la ministre de l'EN est bien incapable de décrire le principe et le fonctionnement. J'ai les groupes " faibles". La contestation de ces groupes par les profs eux-mêmes me parait très ambiguë dans un pays ou sélection scolaire comme sélection sociale parait "naturelle" dans le fond, même si bien sûr nous travaillons à la réussite de tous.
Réfléchir à la "nullité" et au mépris ne me parait pas si choquant, à l'école comme dans la société, française pour ce qui nous intéresse.


Voltaire et Montesquieu n'avaient jamais vu les Hurons ni les Perses, dont ils donnaient une vision folklorique et qui nous paraîtrait ethnocentrée à l'époque des études post-coloniales. Ils les utilisaient par commodité et ne parlaient au fond que de leur pays. Winkler vit effectivement au Québec, plus précisément y mène l'existence, que l'on suppose privilégiée, d'un professeur d'université invité, après avoir pu y passer un an d'études après me bac. Il se place effectivement dans le registre de la comparaison, ce qui ne peut que provoquer des réactions négatives, au mieux mal faire comprendre son propos. D'une certaine manière, il est le pendant de l'américain installé à Montmartre et qui met ses enfants dans une école internationale bilingue, celui qui trouve que Paris est so romantic et que le système scolaire français est excellent.
epekeina.tes.ousias
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par epekeina.tes.ousias Lun 6 Jan 2025 - 12:26
Baldred a écrit:J'entends bien, mais il s'agit de l'interview dans Libé d'un écrivain en promo, pas de l'article d'un philo-sociologue.
Ce qu'on peut reconnaitre à la parole de l'écrivain (en général) c'est son talent ou pas à explorer ce qu'il choisit d'explorer.
Winckler quitte le roman pour l'essai sur un sentiment, ou un trait du caractère national ou personnel, qui ne me semble pas aujourd'hui complètement à côté de la plaque : le mépris, et pour ce qui nous intéresse, sa partie scolaire.
Utiliser un point de vue extérieur pour parler de son propre pays est un procédé bien ancien et on ne rétorque  pas à Voltaire ou à Montesquieu d'aller se faire voir chez les Hurons ou les Perses. Je ne lirai pas Winckler pour comprendre le Québec, mais je ne me formalise pas pas que la rencontre de l'étrange étranger soit peut-être d'abord un exercice réflexif. Sur l'école, son propos est intéressant dans le contexte actuel. Je m'occupe de ces fameux groupes de niveaux qu'on-ne-dit-surtout-pas-faibles et qu'on a déguisé en groupes de besoins dont la ministre de l'EN est bien incapable de décrire le principe et le fonctionnement. J'ai les groupes " faibles". La contestation de ces groupes par les profs eux-mêmes me parait très ambiguë dans un pays ou sélection scolaire comme sélection sociale parait "naturelle" dans le fond, même si bien sûr nous travaillons à la réussite de tous.
Réfléchir à la "nullité" et au mépris ne me parait pas si choquant, à l'école comme dans la société, française pour ce qui nous intéresse.


Oui… et non.

Je n'ai pas refusé à Winckler d'exprimer son opinion. Il me semble seulement qu'elle ne vaut pas forcément plus qu'une pure et simple opinion : et le fait d'être un écrivain (dont j'apprécie les livres) ne change pas grand-chose à l'affaire. J'en dirais autant de n'importe quel autre écrivain sur n'importe quel autre sujet. Il y a quelque chose de faux dans la manière qu'ont les journalistes d'aller interroger ces écrivains sur des sujets généraux — comme si leur opinion avait par essence plus de probabilité d'être vraie… Et quoi qu'il en soit, grand écrivain ou non, il me semble que la critique reste permise tant qu'elle avance un ou deux arguments.

Car en l'occurrence, de plus, mon point de vue n'est pas de lui dire d'aller se faire voir (même s'il ne me paraît pas du tout au même niveau qu'un Montesquieu, ou un Montaigne, et pas même d'un Voltaire, et pas non plus d'un Clastres) je ne sais où. Mais d'y opposer une critique — qui de plus n'est pas de l'ordre du rejet pur et simple.

Il est tout à fait exact qu'en France les diplômes sont très fortement valorisés. Et aussi pour une raison très évidente que je n'ai pas rappelée : ils sont censés être obtenus par des individus placés à l'abri de certaines formes d'inégalités. Et le problème est d'autant plus lourd, que quand bien même les inégalités pèsent fortement — pour dire le moins — sur le système éducatif en France, éliminer entièrement les diplômes sous prétexte de “lutter contre les inégalités” serait en réalité adopter une position très réactionnaire : que resterait-il sinon les différences économiques et sociales ? La contrepartie de cela, c'est à la fois la large surestimation des diplômes et, puisque les inégalités ne font que se renforcer depuis 50 ans (à raison quasi directe du délitement de l'enseignement public), le renforcement des rancunes et des ressentiments — et d'autant plus que le développement d'une minorité détenant des richesses de plus en plus considérables accroît le contraste (on appelle cela : une oligarchie de l'argent…). C'est une rancune contre une institution qui ne tient pas la promesse qu'elle serait censée tenir : elle n'est sans doute pas illégitime, quand bien même l'habitude prise depuis une trentaine d'années d'en imputer l'existence aux profs est, disons, bien commode de la part de ceux qui nous gouvernent et qui se dédouanent à bon compte.

Bref, c'est le genre d'analyse que je ne trouve pas chez Winckler — qui ne fait au fond que “réagir” viscéralement (ce qu'il a parfaitement le droit de faire : le système éducatif français n'est pas une vache sacrée). Pour ma part, je n'en impute pas la responsabilité aux profs, mais bien plutôt à ceux qui dirigent cette institution ainsi qu'à une structure économique et sociale déterminée, ce que ne fait pas Winckler dans cet article, raison pour laquelle son point de vue me paraît faible. Par ex. que vaut son propos contre “les profs” qui diraient “c'est nul” ? C'est tout de même quelque peu caricatural, non ? Il existe peut-être ça et là des cas de ce genre, mais est-ce si fréquent, cela est-il le lot commun ?

Et pourtant je dis bien que cela exprime probablement quelque chose de l'ordre de l'expérience, mais dans une expression déformée et déformante. En gros : on se dit que “ce n'est pas faux”, qu'il y a “quelque chose de vrai dans ce qu'il dit” : mais quoi exactement ? Les français seraient culturellement plus méprisants que les québécois ? Je n'ai rien contre, remarque, ça ne me dérangerait pas plus qu'autre chose. Mais je vois mal, tant cela ressemble à la notion d'“esprit d'un peuple”, comment on pourrait ne pas tenir ce genre de généralisation pour une manière d'hypostasier un aspect de la vie sociale (perçue quotidiennement) pour l'ériger en cause explicative. Autrement dit : ce que je perçois explique ce que je perçois… — ce qui n'est rien d'autre qu'une erreur complète qui fait le propre de la pétition de principe et le contraire d'une hypothèse rationnelle.

C'est cela qui, à mon avis, manque chez Winckler. Ce qui est, somme toute, bien normal : ce n'est après pas du tout son métier, et ce n'est pas non plus d'ailleurs les études qu'il a faites.


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par Iridiane Lun 6 Jan 2025 - 12:50
Prezbo a écrit:
Baldred a écrit:


J'entends bien, mais il s'agit de l'interview dans Libé d'un écrivain en promo, pas de l'article d'un philo-sociologue.
Ce qu'on peut reconnaitre à la parole de l'écrivain (en général) c'est son talent ou pas à explorer ce qu'il choisit d'explorer.
Winckler quitte le roman pour l'essai sur un sentiment, ou un trait du caractère national ou personnel, qui ne me semble pas aujourd'hui complètement à côté de la plaque : le mépris, et pour ce qui nous intéresse, sa partie scolaire.
Utiliser un point de vue extérieur pour parler de son propre pays est un procédé bien ancien et on ne rétorque  pas à Voltaire ou à Montesquieu d'aller se faire voir chez les Hurons ou les Perses. Je ne lirai pas Winckler pour comprendre le Québec, mais je ne me formalise pas pas que la rencontre de l'étrange étranger soit peut-être d'abord un exercice réflexif. Sur l'école, son propos est intéressant dans le contexte actuel. Je m'occupe de ces fameux groupes de niveaux qu'on-ne-dit-surtout-pas-faibles et qu'on a déguisé en groupes de besoins dont la ministre de l'EN est bien incapable de décrire le principe et le fonctionnement. J'ai les groupes " faibles". La contestation de ces groupes par les profs eux-mêmes me parait très ambiguë dans un pays ou sélection scolaire comme sélection sociale parait "naturelle" dans le fond, même si bien sûr nous travaillons à la réussite de tous.
Réfléchir à la "nullité" et au mépris ne me parait pas si choquant, à l'école comme dans la société, française pour ce qui nous intéresse.


Voltaire et Montesquieu n'avaient jamais vu les Hurons ni les Perses, dont ils donnaient une vision folklorique et qui nous paraîtrait ethnocentrée à l'époque des études post-coloniales. Ils les utilisaient par commodité et ne parlaient au fond que de leur pays. Winkler vit effectivement au Québec, plus précisément y mène l'existence, que l'on suppose privilégiée, d'un professeur d'université invité, après avoir pu y passer un an d'études après me bac. Il se place effectivement dans le registre de la comparaison, ce qui ne peut que provoquer des réactions négatives, au mieux mal faire comprendre son propos. D'une certaine manière, il est le pendant de l'américain installé à Montmartre et qui met ses enfants dans une école internationale bilingue, celui qui trouve que Paris est so romantic et que le système scolaire français est excellent.

C'est très bien dit, et ça résume effectivement l'état d'esprit de Winckler. Et cette situation explique très bien pourquoi il s'accommode parfaitement du système ultra-libéral et de promotion de l'individu dans le système nord-américain, tout en prétendant donner des leçons de gauche.
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par Iridiane Lun 6 Jan 2025 - 12:58
epekeina.tes.ousias a écrit:
Baldred a écrit:Il me semble qu'il y a beaucoup de vrai dans notre société extrêmement classante en général, et dans le système scolaire en particulier. Pour connaitre un peu le Canada, je partage le point de vue de Winckler depuis le Québec. Le mépris social et scolaire est ce que j'appellerai faute de mieux une culture inutile. "Nul" ou "ridicule"  "âne" témoigne d'un trait de culture dont on pourrait faire l'histoire en France, et à l'école, tout en se demandant quel bénéfice on peut bien en retirer.

J'ai lu cet article sur lequel tu attires l'attention — mais je ne me fais peut-être pas les mêmes réflexions.
J'aime bien les livres de M. Winckler — La Maladie de Sachs, Vacation et Légendes. Mais je ne suis pas certain qu'il ait saisi quelque chose. Il a sans doute raison en disant que ce qui est “méprisé” en France ne l'est pas au Québec : c'est assez attendu, puisque ce ne sont pas les mêmes sociétés. Toute société emporte avec elle (entre autres) un ensemble de représentations imaginaires symboliques qui “classe” un ensemble d'objets constitutifs d'une réalité, la réalité symbolique (imaginaire, axiologique, “pensée” et non pas “concrète) d'une société. L'autre manière de le dire (mais qui ne dit pas la parenté avec ce que l'on appelle aussi des “mythes”) est d'employer l'expression de “système de valeurs”.

Dès que l'on adhère à une “valeur” (ou plutôt : dès que celle-ci met en ordre une pensée, mettons la mienne), on valorise ce qu'elle valorise — et par conséquent, on méprise ce qu'elle méprise. L'idée suivant laquelle on pourrait tout valoriser et ne rien mépriser (ou l'inverse) est, en elle-même, auto-contradictoire, ce qui signifie impossible (et non, ce n'est pas la même chose que de cultiver deux valeurs contraires et incompatibles, par ex. la valorisation d'une certaine image des femmes et la valorisation de comportements agressifs et dévalorisant vis-à-vis des femmes — cas qui est au contraire extrêmement courant) : dès qu'il y a de telles représentations, il y a nécessairement ce couple. Pas de valorisation sans dévalorisation, donc mépris, ne serait-ce que celui de la dévalorisation de ce qui nie la valorisation.

Autrement dit, qu'en France et au Québec on ne valorise/méprise pas les mêmes choses, c'est une évidence. Et c'est ce qui explique que Winckler n'a pas tort de désigner un certain nombre de structures — comme celles consistant à classer les gens via le diplôme — comme potentiellement excessives. Évidemment, il en donne une représentation qui est en partie faussée : au lieu d'y voir un élément (parmi d'autres, qui lui sont aussi parfois contraires) d'un imaginaire collectif, il semble y voir une réalité. Or, effectivement, des profs qui insultent leurs élèves, les traitent de nuls, etc., ce n'est pas courant — loin de là. Ne serait-ce que parce que cela scandalise beaucoup (ce qui indique la présence d'un élément contraire). Mais à titre d'élément imaginaire ou mythologique, cela existe : les profs font partie de “ceux qui jugent” — un niveau scolaire, des résultats, des notes, un examen (etc.). À ce titre ils valorisent/dévalorisent : le leur reprocher, c'est exprimer de manière imaginaire et mythologique un certain fonctionnement — que l'on ne perçoit pas dans son fonctionnement réel — qui a effectivement des effets délétères : l'exclusion, le ratage, l'insertion économique et sociale rendue difficile, voire impossible — bref, la veste étendue des phénomènes que les sociologues ont l'habitude de mettre en lumière.

Il oublie simplement que (par ex.) la valorisation du “self made man”, au Québec, comme au Canada, comme aux États-Unis, pourrait faire l'objet d'une critique analogue. Et, d'autre part, il semble ne pas connaître le phénomène corollaire : celui des valeurs — ne serait-ce que celles au nom desquelles on fustige le mépris, et donc de ce que ces valeurs méprisent à leur tour. Pour le dire platement : il ne voit pas ce qu'il y a de critiquable dans les sociétés d'Amérique du nord — au Québec, où il réside. Il ne voit pas non plus que l'anti-intellectualisme peut accompagner cette critique : des élites réputées opprimer les minorités, lorsqu'elles sont assimilées à la position des “discours savants”, peuvent aussi bien être rejetées et vilipendées. C'est aussi ce qui arrive aux profs en cas d'examen — comme aux médecins en cas d'épidémie…

Autrement dit, comme on voit mal comment éviter de mépriser le mépris, son propos reste aveugle à son implicite propre et manque de réflexivité. Cela ne veut pas dire que c'est dénué d'intérêt, mais seulement que, comme on dit, cela ne casse peut-être pas trois pattes à un canard.

Car, évidemment, passer de ce phénomène collectif — en réalité aussi d'ordre ethnologique et du ressort d'une anthropologie sociale et politique (pour parler comme Lévi-Strauss, Castoriadis, Lefort, Clastres, F. Hériter etc.) — à la dénonciation de comportements individuels est tout simplement une erreur. Erreur qui est assez générale : beaucoup se trompent en imaginant que les “lois” (ou plutôt les régularités) que l'on peut mettre en lumière concernant l'ordre — l'ordre imaginaire et symbolique — d'une société (la nôtre y compris) — seraient comme des sortes de théorèmes dont on pourrait et devrait déduire les cas particuliers, c'est-à-dire les actions. C'est bien plutôt un cadre général dans lequel on s'inscrit toujours — ce qui n'interdit pas de pouvoir le faire de manière critique (c'est même, du moins c'était même le pouvoir que l'on prêtait jadis à ce que l'on appelait les “sciences humaines”, que l'on ne confondait ni avec les sciences, ni avec les “sciences sociales”).

Nombre de profs, je pense, sont parfaitement au courant de ce que les examens et la manie de tout noter, lorsqu'ils deviennent exclusifs, sont peu compatibles avec l'enseignement : c'est par ex., depuis le XIXè s., la critique du “bachotage”. De même, beaucoup savent aussi faire la différence entre l'évaluation d'un travail, d'une copie d'examen, etc. et un jugement de valeur portant sur son auteur — ce qui ne les empêche pourtant pas de critiquer aussi tel ou tel comportement de tel ou tel élève, et à raison dans l'immense majorité des cas, sans pour autant prononcer des discours définitifs et méprisants.

Pour ces raisons, Winckler me semble beaucoup plus fin dans ses romans que dans l'exercice consistant à “commenter” la vie sociale. Mais c'est assez fréquent.

Je suis d'accord avec l'ensemble de ce message, sur lequel je ne reviens pas, mais juste sur ce que j'ai graissé : oui, c'est en effet fréquent que des gens connus pour x ou y raison (en l'occurrence les romans et ouvrages sur la médecine concernant Winckler) se mettent à commenter la vie sociale et / ou l'actualité, et généralement c'est désastreux car leur avis n'a souvent guère plus de valeur sur ces sujets que celui de Madame Michu du café du commerce (aucun mépris pour Madame Michu, qui a bien le droit d'avoir les avis qu'elle veut du moment qu'elle ne s'arroge pas d'autorité pour les clamer dans l'espace public comme des vérités absolues).
Le problème de ces personnalités publiques ("intellectuels" autoproclamés ou artistes), c'est qu'elles ont en fait un melon phénoménal qui les conduit à penser très sérieusement que leur opinion a une quelconque valeur, au nom de leur notoriété. Winckler parlant de l'école et des valeurs comparées de telle ou telle société, c'est un peu comme si je me mettais d'un seul coup à parler de physique quantique: why not, hein, mais bon voilà quoi.
PS : mais encore une fois, j'aime beaucoup ce que fait Winckler sur la médecine. J'ai adoré La Maladie de Sachs et son manuel C'est mon corps est aussi très bien.
Clecle78
Clecle78
Bon génie

Le mépris - Page 2 Empty Re: Le mépris

par Clecle78 Lun 6 Jan 2025 - 13:42
C'est décevant malgré tout parce que moi aussi j'aimais bien Winckler et ses bouquins sur le monde médical. Mais il est passé à autre chose, maintenant.
epekeina.tes.ousias
epekeina.tes.ousias
Modérateur

Le mépris - Page 2 Empty Re: Le mépris

par epekeina.tes.ousias Lun 6 Jan 2025 - 13:49
Mais il continue à écrire, je crois — son dernier roman chez POL date de quoi ? Deux ans ?
Et puis, il y a pire que les propos qu'il tient. Je trouve ça seulement quelque par entre plat et peu réfléchi, mais rien de scandaleux, d'autant que je peux fort bien avoir tort.

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par Marie Aigre Douce Lun 6 Jan 2025 - 15:46
Jenny a écrit:
Marie Aigre Douce a écrit:Pour les filières, l'arrogance et le mépris viennent assez souvent des parents de mon expérience, j'ose espérer que cela changera avec le temps.

Certains collègues ont aussi une opinion très négative des filières technologiques et professionnelles. Quand un bon élève a un projet solide et veut passer par le lycée pro ou par une orientation manuelle après le bac, il est souvent découragé par des collègues qui disent que quand même, c'est du gâchis, même pour d'excellentes formations. Le mépris - Page 2 1665347707

Je trouve ça assez incroyable, je veux dire par là que le but c'est pas que l'élève trouve la voie qu'il lui correspond en état de cause ( débouchés, etc).
guz
guz
Niveau 6

Le mépris - Page 2 Empty Re: Le mépris

par guz Lun 6 Jan 2025 - 17:17
Je suis assez surpris par les propos de Winckler que ce fil m'a incité à découvrir.

Le Canada fait face à d'énormes problèmes que la France me semble-t-il traitent un peu mieux, au premier rang l'environnement (pour vous donner une idée : https://reporterre.net/Petrole-les-sables-bitumineux-bien-plus-polluants ).

S'il y a un mépris affiché et revendiqué au sommet de l'État, je n'ai vraiment pas le sentiment que ça concerne l'école en général et les enseignants en particulier, et exhiber quelques cas pathologiques d'il y a 40 ou 50 ans n'apporte pas grand chose ... Le supposé d'un ruissellement me semble inexact.
Baldred
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Grand sage

Le mépris - Page 2 Empty Re: Le mépris

par Baldred Lun 6 Jan 2025 - 17:34
Iridiane a écrit:
Prezbo a écrit:
Baldred a écrit:


J'entends bien, mais il s'agit de l'interview dans Libé d'un écrivain en promo, pas de l'article d'un philo-sociologue.
Ce qu'on peut reconnaitre à la parole de l'écrivain (en général) c'est son talent ou pas à explorer ce qu'il choisit d'explorer.
Winckler quitte le roman pour l'essai sur un sentiment, ou un trait du caractère national ou personnel, qui ne me semble pas aujourd'hui complètement à côté de la plaque : le mépris, et pour ce qui nous intéresse, sa partie scolaire.
Utiliser un point de vue extérieur pour parler de son propre pays est un procédé bien ancien et on ne rétorque  pas à Voltaire ou à Montesquieu d'aller se faire voir chez les Hurons ou les Perses. Je ne lirai pas Winckler pour comprendre le Québec, mais je ne me formalise pas pas que la rencontre de l'étrange étranger soit peut-être d'abord un exercice réflexif. Sur l'école, son propos est intéressant dans le contexte actuel. Je m'occupe de ces fameux groupes de niveaux qu'on-ne-dit-surtout-pas-faibles et qu'on a déguisé en groupes de besoins dont la ministre de l'EN est bien incapable de décrire le principe et le fonctionnement. J'ai les groupes " faibles". La contestation de ces groupes par les profs eux-mêmes me parait très ambiguë dans un pays ou sélection scolaire comme sélection sociale parait "naturelle" dans le fond, même si bien sûr nous travaillons à la réussite de tous.
Réfléchir à la "nullité" et au mépris ne me parait pas si choquant, à l'école comme dans la société, française pour ce qui nous intéresse.


Voltaire et Montesquieu n'avaient jamais vu les Hurons ni les Perses, dont ils donnaient une vision folklorique et qui nous paraîtrait ethnocentrée à l'époque des études post-coloniales. Ils les utilisaient par commodité et ne parlaient au fond que de leur pays. Winkler vit effectivement au Québec, plus précisément y mène l'existence, que l'on suppose privilégiée, d'un professeur d'université invité, après avoir pu y passer un an d'études après me bac. Il se place effectivement dans le registre de la comparaison, ce qui ne peut que provoquer des réactions négatives, au mieux mal faire comprendre son propos. D'une certaine manière, il est le pendant de l'américain installé à Montmartre et qui met ses enfants dans une école internationale bilingue, celui qui trouve que Paris est so romantic et que le système scolaire français est excellent.

C'est très bien dit, et ça résume effectivement l'état d'esprit de Winckler. Et cette situation explique très bien pourquoi il s'accommode parfaitement du système ultra-libéral et de promotion de l'individu dans le système nord-américain, tout en prétendant donner des leçons de gauche.

Pourquoi aller chercher les études post-coloniales pour finalement confirmer ce que je dis ? Le procédé du pseudo regard étranger, plus ou moins renseigné ( les Lettres anglaises de Voltaire l'étaient plutôt) est assez classique. Comme si on ne faisait pas ça tout le temps, comparer. Je comprends très bien, et c'est le point intéressant, qu'on discute ici sur ce qu'il dit de l'école, mais le renvoyer dans les cordes au prétexte qu'il parle depuis le Canada est une manière de ne pas en parler. Ton exemple de l' Américain à Paris est à prendre à l'inverse, le French is beautiful n'est pas à destination des Français mais des américains, il ne dit rien d'intéressant sur le système français mais sans doute beaucoup sur le système américain.
Aller dans une sorte de mouvement de défense chercher tout ce qui ne va pas au Canada me parait de la même façon hors sujet.
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