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Rosam31
Niveau 3

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par Rosam31 05.11.11 14:26
I’m a poor lonesome TZR



Je m’en souviens comme si c’était hier…Le brouhaha des chaises, les rires, les cahiers et les livres qu’ils tiraient des cartables…C’est qu’ils étaient nombreux, parfois, oui, jusqu’à 35 par classe. J’ai gardé quelques « carnets de bords » où s’étalent les cinq ou six classes, et tous ces noms…
Oui, c’était avant, quand j’étais prof. Professeur d’allemand. Dans un des plus grands lycées d’Auvergne, le Henri IV local. Et si j’avais su comment se déroulerait le reste de ma « carrière », je n’aurais sans doute jamais demandé ma mutation pour cette académie du sud.
Mais de toutes manières, il paraît qu’aujourd’hui, la situation de la langue de Goethe est la même partout, sauf dans l’est.
Aujourd’hui, je suis TZR. Titulaire sur Zone de Remplacement.
En fait, un TZR, ça a l’odeur d’un prof, la couleur d’un prof, mais c’est juste du Canada Dry. Oui, nous, les remplaçants, sommes les sodas de l’EN : on grossit les rangs des intermittents de l’éducation et on nous sucre nos primes. Ben oui, un TZR, ce n’est jamais prof principal, puisqu’on nous change quasiment chaque année d’établissement…-pour devenir « pp », il faut le demander gentiment sur la petite fiche navette de fin d’année ; hors, nous, les TZR, nous apprenons notre affectation définitive en été, pendant les vacances, alors les vœux, pensez donc…De même qu’un TZR a rarement en charge des stagiaires. Vu qu’il a pratiquement un statut de stagiaire lui-même, précaire, en route, entre deux chaises…
Par contre, l’ancienne prime des débuts, vous savez, celle de l’époque bénie où un TZR était payé pour rester chez lui, un peu comme une courtisane, et arrivait ensuite ventre à terre au bon vouloir des collègues absents, tout en touchant de belles indemnités kilométriques, ça, c’est fini.
Parce que nous sommes à présents affectés « à l’année » sur des « BMP » - Blocs de Moyens Provisoires -, sur des bouts d’heures, sur des trognons de postes, et que les remplacements de courtes durées sont, eux, effectués par de vagues contractuels, vous savez, ces étudiants qui, L3 en poche, préfèrent encore donner quelques heures de cours au lieu de bosser au Mac Do, ou ces mères de famille germanophones qui, sous prétexte qu’elles sont nées de l’autre côté de la ligne Maginot, se prennent pour L’Instit alors que leur enthousiasme pédagogique a le rythme d’un épisode de Derrick…
Oh, n’allez pas croire que je ne raisonne qu’en termes financiers, loin de là. Je vous parle des fondamentaux de l’enseignement, de l’ontologie éducative. Car même si les TZR sont bien entendu des profs, il y a autant de différences entre ces « néo remplaçants » là et un professeur en poste fixe qu’entre une jeune intérimaire et une secrétaire indéboulonnable, qui sait exactement à quelle heure le patron prend son café, et quels fournisseurs il convient de bichonner…
Quelques jours avant la rentrée, un TZR reçoit sa « feuille de route », son affectation à l’année. Enfin plutôt « ses affectations »…Oui, dans ma discipline, en allemand, il n’est pas rare qu’un collègue travaille sur deux, voire trois établissements différents, parfois situées dans deux villes distinctes, et, la plupart du temps, en dehors de sa résidence privée.
Et nous voilà, chaque année - moi, ce sera la seizième fois, je suis presque certaine de pouvoir bientôt entrer dans le Guinness Book des records - prêts à découvrir notre nouveau lieu de travail. Il conviendra donc de se présenter dans ses fonctions, de signer un PV d’installation, d’assister au sempiternel discours du chef d’établissement - bon, là, on commence déjà à se sentir comme un cheveu sur la soupe, la plupart des autres collègues se racontant leurs vacances et/ou ricanant sous cape tandis que nous nous efforçons de faire bonne figure -, de rougir légèrement en nous levant au moment des présentations des nouveaux (on nous case la plupart du temps entre mademoiselle Spountz, la nouvelle ATOS-cuisine-, et le petit stagiaire de bio, encore plus rougissant que nous), avant de courir faire la deuxième pré rentrée dans le second établissement, où le chef d’établissement nous jettera d’emblée un regard noir pour avoir manqué son discours…
Ah, comme c’était doux, autrefois, lorsque nous étions « en poste », de retrouver ce bon vieux casier où nous attendaient parfois même quelques cartes postales d’élèves - « Madame je suis à la plage et vous me manqué tro ! Tchouss !» (oui, que les élèves d’aujourd’hui ne s’imaginent pas avoir l’apanage des fautes d’orthographe…Même avant le langage SMS, une carte d’élève se repérait de loin…)-, et puis le concierge qui nous faisait la bise, et les collègues, immuables, le prof d’anglais qui semblait sortir d’un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir, le prof de philo et sa coupe à la BHL, le proviseur qui venait frapper dans les mains quand nous bavardions trop à la récré…
Bon, trêve de nostalgie, il faut voir le bon côté des choses. Un TZR d’allemand ne croule pas sous les copies. On aurait même presque l’impression de travailler chez Acadomia. C’est sûr, à deux élèves en seconde et trois en terminale, c’est de l’individualisé, du sur-mesure, de la maison de maçon !! Par contre, à nous de devenir les rois de l’impro…Parce que ça, on ne nous l’a pas encore appris en stage. A nous de nous débrouiller pour faire du ‘travail de groupe’ avec deux élèves, de trouver une ‘dynamique de classe’ avec trois. J’en profite pour embrasser tous mes « nombreux » élèves de l’an dernier : vous me manquez déjà !!Camille, tiens-toi droite ! Haily et Romain, arrêtez de bavarder ! Maxime, lâche la main de Jeanne !
Parce que voyez-vous, à moins d’un miracle, que j’espère encore, puisque j’ai demandé un rendez-vous en urgence à Dieu, là haut, au Rectorat, mes têtes blondes de l’an passé vont encore être confiées à un autre…TZR, au gré des arbitraires administratifs et des « nécessités du service »…
Je vais encore jouer les anciens combattants, mais autrefois, lorsque j’avais un poste fixe, je « suivais » mes élèves… Je tiens à saluer nommément Thomas P., que j’ai eu je crois six bonnes années de suite ou presque - il a eu le bac vers 21 ans - , et qui est devenu un garçon extraordinaire. Il y avait aussi les fratries, les cousins, parfois même, pour les plus anciens des collègues, ces enfants d’anciens élèves - et ce petit pincement au cœur qui nous rapprochait de la retraite…- et puis ce concept un peu magique qui a disparu aujourd’hui, qu’on appelait « continuité pédagogique ».
Oui, car même si on ne suivait pas systématiquement les élèves, on s’échangeait des infos entre collègues, on parlait d’un tel, dont le frère était en prison, d’une telle, dont la maman avait un cancer, bref, je ne vais pas vous dire qu’on se la jouait « Plus belle la vie » à chaque récré, mais nous connaissions les élèves, leurs histoires, leurs parcours…Et il y avait aussi quelque chose de rassurant pour les élèves de savoir qu’ils retrouveraient tel ou tel collègue.
En fait, nous nous faisions confiance. Nous étions en terrain connu, balisé, familier. Un TZR, lui, a toujours un peu l’impression d’avoir été qualifié pour Koh Lanta, avec aussi un petit quelque chose de Pékin Express, côté course contre la montre pour jongler entre ses deux établissements…
Aujourd’hui, en tous cas, quand j’arrive en terre inconnue, c’est toujours la même chose. Je suis accueillie par un « Oh, vous êtes au moins la sixième prof d’allemand en sept ans », et par l’air désabusé des collègues, mais aussi des élèves, qui ne comprennent pas cette valse à mille temps.
Il convient bien sûr aussi de s’adapter aux habitudes de chacun, de se familiariser avec les codes de l’établissement, de récupérer non seulement des clefs, mais les mots de passe pour aller sur le net, de débusquer la machine à café, le self, le CDI, d’apprendre une cinquantaine de nouveaux prénoms chaque année, de se présenter en permanence. Je vous fais la salle des profs : dans le meilleur cas, les bons jours, quand vous êtes motivée et maquillée, on vous prend pour la nouvelle stagiaire - cool, à cinquante ans. Mais parfois, un collègue se lève, suspicieux, vous voyant, hagarde, vous diriger vers les casiers, et demande, comme s’il s’apprêtait à intercepter quelque clandestin tunisien : « Vous désirez ? »
En fait, nous nous sentons, nous, les TZR, un peu comme ces médecins roumains que les maires font venir pour ouvrir des centres de santé au fin fond de la Corrèze. Les villageois nous regardent d’un œil méfiant, nous ne parlons pas encore très bien la langue du pays, et puis qui sait si nous sommes assez qualifiés…
Au fil des mois, des liens se tissent, des sympathies, des amitiés…Il arrive que nous ayons assez de temps pour aller quelquefois à la cantine, les jours où nous ne mangeons pas dans le train ou dans la voiture. On monte parfois même un petit projet à court terme, même s’il est évident que, pour les linguistes, il est impossible par exemple d’organiser un voyage, ou de lancer un échange…Nos horaires et nos disponibilités nous empêchent de faire partie du CA, mais on essaye de s’intégrer. Moi, j’ai ma recette, immuable : j’apporte des petits gâteaux allemands à la salle des profs, je papote avec les ATOS, j’apprends les prénoms des enfants des jeunes collègues. Il est même arrivé que je sois invitée au repas de fin d’année, celui qui se fait hors les murs et où on découvre, à quelques jours des vacances, que l’adorable TZR de physique, arrivé vers Pâques, est en fait célibataire. Damned. Trop tard.
Car voilà.
Tout comme les assistants de langue, qui repartent en mai après leurs sept mois d’auberge espagnole, nous, les TZR, nous repartirons en juin, seuls, pour de nouvelles aventures…
I’m a poor lonsome TZR…Allez viens, Jolly Jumper. Comme ils ont de la chance, nos Daltons…Au moins, eux, ils restent dans le même pénitencier…

Sabine Aussenac, professeur d’allemand depuis 1984, certifiée bi admissible, auteur d’un mémoire de DEA sur la poésie de la Shoah et écrivain.
-et qui vient de passer le concours de CPE...


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Ma tête ce n'est pas après une manif pour tous, non, c'est juste après mon AT (accident de trajet) du 18 avril. Après 4 h de trajets, chute, double trauma facial-crânien, double fracture du nez, éclatement labial, écrasement du trijumeau, et j'en passe. Mes lunettes? En ce 7 juin, pas remboursées encore? Mon dossier médical déjà en cours? Pas validé, non, pensez, je ne suis pas COTOREP, alors je n'existe pas.
Sabine, 20 ans TZR.
vinvin
vinvin
Niveau 8

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par vinvin 05.11.11 14:32
Il y a un espace dédié aux TZR et à tous les remplaçants sur le forum.
Il s'agit de "remplacements" juste en dessous "carrieres, salaires, mutations".

Les profs d'allemand sont très mal lotis aujourd'hui. Évidemment lorsqu'on a un poste on essaie de s'y accrocher et de se battre pour conserver ses heures et puis il y a aussi toutes les incohérences du système.

Dans mon lycée, on a une collègue qui fait 3 h et qui vient d'un collège ou elle a 15h. Puis une autre qui fait 9h et a 9h dans le lycée voisin. Et ça tourne comme ça chaque année, c'est rarement les mêmes profs alors qu'elles sont titulaires en poste fixe.
En plus avec la diminution des horaires de langues, ça ne va aller qu'en empirant.
titeprof
titeprof
Expert

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par titeprof 05.11.11 14:36
Que dire...
tes écrits me touchent et me rappellent de forts mauvais souvenirs... je n'ai été TZR que 4ans, 4 années qui ont suffi à me ruiner à tous les sens du terme, alors 16ans.. je n'ose imaginer... Te souhaiter bon courage serait il déplacé? que peut on dire d'autre après tout, si ce n'est croiser les doigts avec toi pour que cela change ...

au fait...tu parles d'un grand lycée en Auvergne... à clermont? J d'A ou BP? tu peux me répondre en mp si tu veux... si je te demande cela c'est que j'y étais élève et les dates...collent en fait...
Adri
Adri
Grand Maître

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par Adri 05.11.11 15:38
Comme je te comprends, Rosam31, pour les profs d'allemand, il ne fait pas bon muter No
Nous sommes une espèce en voie de disparition. Je ne peux qu'imaginer ce que tu as enduré (après 5 années de TZRiat, je viens de trouver le St Graal, un poste fixe cheers ). Ce que tu évoques m'est familier ... 16 ans, chapeau veneration , je n'aurais pas tenu si longtemps je crois ! No
JEMS
JEMS
Grand Maître

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par JEMS 05.11.11 15:50
Ce texte résume très bien notre situation ! La salle des profs résonne encore de mon "bon week-end" de vendredi soir ! Je suis plus fin que la tapisserie !
Nita
Nita
Empereur

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par Nita 05.11.11 16:41
You're not so lonesome, my dear...

Et ce que tu décris n'est pas l'apanage des germanistes, puisque je vis la même chose en lettres.

Cela dit, c'est épouvantable, cet effritement de l'allemand 😢

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A clean house is a sign of a broken computer.
Finrod
Finrod
Expert

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par Finrod 05.11.11 17:16
Il y a même un mini-syndicat qui s'occupe beaucoup des TZR et plus généralement de questions administratives.

http://www.snsfp.org/plan_site.html

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cinders
Niveau 2

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par cinders 05.11.11 17:42
J'adhère à fond, je me reconnais dans tout ça (sauf les 16 ans, je n'en suis qu'à 10, mais 16 établissements!!). C'est socialement et pédagogiquement et moralement et toutcequevousvoulezment inhumain!!!
Adri
Adri
Grand Maître

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par Adri 05.11.11 17:53
Finrod a écrit:Il y a même un mini-syndicat qui s'occupe beaucoup des TZR et plus généralement de questions administratives.

http://www.snsfp.org/plan_site.html


ah oui, ils sont géniaux ! veneration Une mine d'infos !
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Rosam31
Niveau 3

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par Rosam31 05.11.11 20:59
Bonsoir,
merci à tous de votre accueil et des petits messages, chouette!

Un lien un peu moins positif encore sur le fil de "Lise"...

https://www.neoprofs.org/t39220p105-j-ecris-pour-les-profs-qui-petent-les-plombs-tu-enseigneras-dans-la-douleur-a-lise-je-le-fais-pour-vous-et-in-memoriam#1093406

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Ma tête ce n'est pas après une manif pour tous, non, c'est juste après mon AT (accident de trajet) du 18 avril. Après 4 h de trajets, chute, double trauma facial-crânien, double fracture du nez, éclatement labial, écrasement du trijumeau, et j'en passe. Mes lunettes? En ce 7 juin, pas remboursées encore? Mon dossier médical déjà en cours? Pas validé, non, pensez, je ne suis pas COTOREP, alors je n'existe pas.
Sabine, 20 ans TZR.
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Rosam31
Niveau 3

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par Rosam31 05.11.11 21:11
PS: Titeprof, c'était BP!!
Ton nom en mp?
Very Happy

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Ma tête ce n'est pas après une manif pour tous, non, c'est juste après mon AT (accident de trajet) du 18 avril. Après 4 h de trajets, chute, double trauma facial-crânien, double fracture du nez, éclatement labial, écrasement du trijumeau, et j'en passe. Mes lunettes? En ce 7 juin, pas remboursées encore? Mon dossier médical déjà en cours? Pas validé, non, pensez, je ne suis pas COTOREP, alors je n'existe pas.
Sabine, 20 ans TZR.
piesco
piesco
Modérateur

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par piesco 05.11.11 21:13
Je crois que la meilleurs chose qu'on puisse te souhaiter est a réussite au concours.
trefle

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Nos han quitado tanto, nos quitaron el miedo.
https://www.youtube.com/watch?v=oeU7rb-dBow&t=277s
titeprof
titeprof
Expert

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par titeprof 06.11.11 8:54
Rosam : je ne pense pas qu'on se soit croisé, j'étais à JdA et ... j'y suis toujours! mais de l'autre coté du bureau maintenant.
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