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Paul Dedalus
Paul Dedalus
Neoprof expérimenté

Les manuscrits de 1844 (Marx et l'être générique) Empty Les manuscrits de 1844 (Marx et l'être générique)

par Paul Dedalus Jeu 14 Jan - 23:04
« En produisant pratiquement un monde d'objets, en façonnant la nature non organique, l'homme s'affirme comme un être générique conscient, c'est-à-dire un être qui se rapporte à l'espèce comme à sa propre nature, ou à lui-même comme être générique. Certes, l'animal aussi produit. Il construit son nid, son habitation, tels l'abeille, le castor, la fourmi, etc. Mais il produit seulement ce dont il a immédiatement besoin pour lui et pour sa progéniture ; il produit d'une façon partielle, quand l'homme produit d'une façon universelle ; il ne produit que sous l'empire du besoin physique immédiat, tandis que l'homme produit alors même qu'il est libéré du besoin physique, et il ne produit vraiment que lorsqu'il en est libéré.
L'animal ne produit que lui-même, tandis que l'homme reproduit toute la nature.
     
Le produit de l'animal fait, comme tel, partie de son corps physique, tandis que l'homme se dresse librement face à son produit. L'animal ne crée qu'à la mesure et selon les besoins de son espèce, tandis que l'homme sait produire à la mesure de toutes les espèces, il sait appliquer à tout objet sa mesure inhérente ; aussi sait-il créer selon les lois de la beauté. C'est précisément en façonnant le monde des objets que l'homme commence à s'affirmer comme un être générique. Cette production est sa vie générique créatrice. Grâce à cette production, la nature apparaît comme son œuvre et sa réalité. L'objet du travail est donc la réalisation de la vie générique de l'homme. L'homme ne se recrée pas seulement d'une façon intellectuelle, dans sa conscience, mais activement, réellement, et il se contemple lui-même dans un monde de sa création.
»
MARX
Manuscrits de 1844



Bonsoir, j'aimerais faire ce texte la semaine prochaine avec mon élève en cours particulier parce qu'il reprend énormément de thèmes du programme de terminale (la conscience, le travail, la technique, l'art...) mais j'ai un doute sur le terme "être générique" et j'aurais aimé une explication à la fois claire et simple de ce recouvre le terme "générique" chez Marx.

Merci par avance pour les éclaircissements.


Dernière édition par Paul Dedalus le Ven 15 Jan - 22:13, édité 1 fois

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«Primus ego in patriam mecum, modo uita supersit. »
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« Ma science ne peut être qu’une science de pointillés. Je n’ai ni le temps ni les moyens de tracer une ligne continue. »
Marcel Jousse
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Solal des Solal
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par Solal des Solal Ven 15 Jan - 7:04
"Être générique" s'oppose à "être organique". L'être organique, c'est l'être produit selon le procès de la nature avec ses seuls déterminismes biologiques. L'être générique, en revanche, c'est l'être qui se produit lui-même ou, plus exactement, qui produit lui-même ses conditions matérielles d'existence (c'est là ce qui le distingue de l'animal), ce qui suppose et implique des déterminismes sociaux et historiques.


Dernière édition par Solal des Solal le Ven 15 Jan - 13:32, édité 1 fois
Paul Dedalus
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par Paul Dedalus Ven 15 Jan - 12:06
Wahouh! C'est parfait, merci pour votre immense concision et clarté.
Grâce à vous, mon cours est prêt.

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par Paul Dedalus Sam 16 Jan - 7:58
Autre question sur ce texte : est-il possible d'expliciter la différence d'attitude de l'être organique de celle de l'être générique par la distinction immédiat/médiat?
Le premier a un rapport immédiat aux choses de son environnement tandis que le second est capable, par la conception, de réaliser des médiations (qui l'élève à l'universel, c'est-à-dire à l'esprit ou à l'idée).

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User17706
Bon génie

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par User17706 Sam 16 Jan - 11:32
D'autant plus que l'expression « être générique » (Gattungswesen) est un emprunt direct à Feuerbach. Un « être générique » est un être qui entretient un rapport (conscient) à son propre genre (l'humanité) ─ ce que rappelle la première phrase du passage. La thèse propre de Marx, dans ces pages, c'est que c'est dans le travail que l'être générique de l'homme commence à prendre réalité.
Paul Dedalus
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par Paul Dedalus Sam 16 Jan - 11:57
C'est donc encore un Marx très hégélien qui transparaît ici et loin du Capital.
L'être générique "prend réalité" en même temps qu'il prend conscience de lui-même donc - comme "genre".
Comment peut-on définir précisément le genre ici?
Peut-on faire jouer la distinction être/genre telle qu'elle apparaît chez Aristote?

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Solal des Solal
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par Solal des Solal Dim 17 Jan - 6:38
On est encore loin du Capital, mais prenez garde quand même à ne pas trop hégélianiser Marx. "Dire que l’homme est un être générique, c’est donc dire que l’homme s’élève au-dessus de son individualité subjective, qu’il reconnaît en lui l’universel objectif et se dépasse ainsi en tant qu’être fini. Autrement dit, il est individuellement le représentant de l’Homme. [...] L’homme est un être générique. Non seulement parce que, sur le plan pratique et théorique, il fait du genre, tant du sien propre que de celui des autres choses, son objet, mais encore – et ceci n’est qu’une autre façon d’exprimer la même chose – parce qu’il se comporte vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis du genre actuel vivant, parce qu’il se comporte vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis d’un être universel, donc libre. [...] L’animal s’identifie directement avec son activité vitale. Il ne se distingue pas d’elle. Il est cette activité. L’homme fait de son activité vitale elle-même l’objet de sa volonté et de sa conscience. Il a une activité vitale consciente. Ce n’est pas une détermination avec laquelle il se confond directement. L’activité vitale consciente distingue directement l’homme de l’activité vitale de l’animal. C’est précisément par là, et par là seulement qu’il est un être générique . [...] C’est précisément dans le fait d’élaborer le monde objectif que l’homme commence donc à faire réellement ses preuves d’être générique. Cette production est sa vie générique active. Grâce à cette production, la nature apparaît comme son œuvre et sa réalité. L’objet du travail est donc l’objectivation de la vie générique de l’homme : car celui-ci ne se double pas lui-même d’une façon seulement intellectuelle, comme c’est le cas dans la conscience mais activement, réellement, et il se contemple donc lui-même dans un monde qu’il a créé. Donc, tandis que le travail aliéné arrache à l’homme l’objet de sa production, il lui arrache sa vie générique, sa véritable objectivité générique, et il transforme l’avantage que l’homme a sur l’animal en ce désavantage que son corps non-organique, la nature, lui est dérobé"(Marx, Manuscrits de 1844, souligné par moi). Ne vous laissez pas abuser par les termes "conscience", "liberté", "objectivation", etc. Il y a déjà la problématique qu'il développera un an plus tard dans l'Idéologie Allemande, à savoir que "ce n’est pas la conscience qui détermine l’existence, c’est l’existence sociale qui détermine la conscience. Les hommes commencent à se distinguer des ani­maux dès qu’ils se mettent à pro­duire leurs moyens d’existence […] ; la produc­tion des idées, des représentations, de la conscience, est ensuite directement mêlée à leurs relations maté­rielles […] et à la division du travail qui y cor­respond. [Celle-ci] n’acquiert son caractère définitif que lorsqu’intervient une divi­sion du travail matériel et du travail intellectuel […] impliquant une répar­tition du tra­vail et de ses pro­duits, inégale en quantité comme en qualité […]. D'où l’existence de classes sociales dont l’une domine l’autre"(Marx-Engels, l’Idéologie Alle­mande).
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