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La France s'apprête à étendre les droits d'auteur "voisins" de 20 ans supplémentaires. Empty La France s'apprête à étendre les droits d'auteur "voisins" de 20 ans supplémentaires.

par John Mar 11 Nov 2014, 17:52
Mercredi prochain, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale examinera un projet de loi visant à transposer trois directives parmi lesquelles celle allongeant les droits voisins des interprètes et des producteurs de 50 à 70 ans. Prenant prétexte de l’allongement de la durée de vie, ce texte va une nouvelle fois porter atteinte au domaine public et restreindre les droits fondamentaux du public sur la culture. Les études contradictoires menées à l’occasion du vote de la directive en 2011 avaient pourtant montré que cet allongement ne profiterait que de manière marginale aux artistes. 90% des sommes engendrées tomberont directement dans la poche des labels et pour la grande majorité des artistes le passage de 50 à 70 ans de protection ne représentera en moyenne que 30 euros par an.

Quasiment inutile pour les artistes, ce nouvel allongement des droits de propriété intellectuelle écornera encore un domaine public déjà malmené à plusieurs reprises au niveau européen. Il n’existe hélas quasiment aucune chance que l’Etat français s’oppose à cet allongement en refusant cette transposition au niveau national, alors même que la France ne s’est pourtant pas parfois privée de faire obstacle à une directive européenne. Néanmoins, il reste possible à l’occasion de la transposition de ce texte d’agir en faveur du domaine public et c’est ce que propose la députée Nouvelle Donne Isabelle Attard par une série d’amendements.

A titre de compensation face à ce nouvel allongement de la durée de protection, Isabelle Attard propose d’introduire dans le Code de Propriété Intellectuelle une définition positive du domaine public, afin que cette notion soit davantage reconnue juridiquement et mieux garantie. Elle s’appuie pour cela sur les termes d’une proposition de loi déposée par ses soins en décembre 2013, à laquelle SavoirsCom1 avait déjà apporté son soutien.

Isabelle Attard propose également de compenser le nouvel allongement des droits voisins en procédant à une diminution de la durée du droit d’auteur, que la France aurait déjà dû acter depuis longtemps. En effet, une directive européenne intervenue en 1993 a augmenté la durée du droit d’auteur de 50 à 70 ans, en visant l’objectif d’une harmonisation au sein de l’Union européenne. La France a transposé cette directive, mais en laissant persister le mécanisme des prorogations de guerre, adoptées afin de « compenser » pour les auteurs les pertes subies du fait des difficultés d’exploitation de leurs oeuvres durant les deux guerres mondiales.

La Cour de Cassation en 2007 a eu l’occasion de supprimer ces prorogations, en estimant qu’elles avaient été « absorbées » par l’allongement du droit d’auteur à 70 ans. Mais elle les a laissé persister pour les oeuvres musicales, pour lesquelles la durée des droits était déjà de 70 ans après la mort de l’auteur, au moment de l’adoption de la directive et pour les autres oeuvres, quand l’auteur est mort pour la France. Il en résulte actuellement un régime juridique byzantin et aberrant, en vertu duquel la durée de protection des oeuvres musicales peut se trouver augmentée de 14 ans et 272 jours. Non content de rendre le calcul de la durée des droits effroyablement complexe, ces règles profitent essentiellement à des oeuvres déjà rentabilisées depuis longtemps.

Le Boléro de Ravel se trouve par exemple dans cette situation. Composé en 1928 par Maurice Ravel disparu sans descendance, les droits sur cette oeuvre ont connu ensuite un destin qui résume à lui seul toutes les pathologies les plus graves du droit d’auteur. Alors que le frère de Ravel avait l’intention de faire don des droits à la ville de Paris afin d’organiser un prix Nobel de musique, ils furent finalement captés dans des circonstances douteuses par une infirmière lui ayant prodigué des soins, avant de faire l’objet pendant des années d’un invraisemblable feuilleton judiciaire impliquant un ancien responsable des affaires juridiques de la SACEM. En supprimant les prorogations de guerre, cette oeuvre majeure, ayant déjà généré des dizaines de millions de droits, serait soustraite à la prédation et rendue au domaine public auquel elle devrait appartenir depuis longtemps.
http://www.savoirscom1.info/2014/11/rendons-le-petit-prince-et-le-bolero-de-ravel-au-domaine-public/

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