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NLM76
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par NLM76 Lun 09 Oct 2017, 17:14
Cette formule médiévale, qui définit, d'après ce que j'en entends, la science, me tourne dans la tête sans cesse ces temps-ci. Vous avez des objections philosophiques majeures contre cette définition, qui me semble lumineuse, et essentielle face à certaines prétentions erronées de la linguistique ?

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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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par Sirgab Lun 09 Oct 2017, 17:46
La formule se trouve chez Thomas d'Aquin, et définit la vérité. C'est la définition la plus simple de la vérité, et en même temps il n'est pas sûr que l'on trouve mieux. Les objections sont nombreuses. La plus simple consiste à dire que pour juger de la conformité du réel à l'intellect, il faut un critère. Mais on le trouve où? On régresse alors à l'infini. Une autre critique consiste à dire que cette définition de la vérité s'applique aussi bien à des connaissances sans intérêt (du type: y a-t-il des tortues roses, etc.) qu'à des connaissances fondamentales.
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User17706
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par User17706 Lun 09 Oct 2017, 18:15
Effectivement, définition de la vérité et non de la connaissance, chez Thomas (sous la forme adæquatio rei et intellectus, voir notamment Quæst. disp. de Veritate, q. 1, assez nombreuses occurrences).

Deux remarques (on peut trouver que l'objection de la vérité sans intérêt n'est pas du tout une objection) :

  1. la définition suppose qu'on a d'un côté res et de l'autre intellectus, ce qui, pour certaines vérités, ne va pas de soi. (Autrement dit, la définition n'a de sens qu'à condition que la chose intelligée soit distincte et indépendante de l'intellection « vraie » que l'on en a ; pour certains objets comme p. ex. les objets mathématiques, on peut légitimement hésiter à se prononcer sur cette indépendance.)
  2. comme vient de le rappeler Sirgab, le fait de disposer de cette définition n'implique pas que l'on ait les moyens de l'appliquer. (« Cette tortue est rose » est vrai si, et seulement si, cette tortue est rose, mais du coup, pour tester la vérité de l'affirmation, il faut que j'aie des moyens de vérifier que cette tortue est rose qui soient suffisamment indépendants de l'affirmation elle-même pour éliminer tout soupçon de circularité ou de pétition de principe.)

Personnellement je ne doute pas du fait que cette définition exprime, aussi bien que possible, le cœur du concept de vérité.
Sirgab
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par Sirgab Lun 09 Oct 2017, 19:10
Pour la tortue rose, je suis d'accord, ce n'est pas une objection qui porte à atteinte à la validité de la définition. Je pensais à la distinction que fait Heidegger entre exact et vrai. Il y a des propositions exactes, mais qui ne touchent pas à l'essentiel.
Sans doute qu'on trouverait aussi des critiques chez Deleuze, avec l'idée que le sens prime sur le vrai. Mais je ne connais pas bien l'auteur.

Euthyphron
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par Euthyphron Lun 09 Oct 2017, 21:19
Si cette définition de la vérité paraît lumineuse à nlm76, et d'ailleurs à moi aussi, c'est probablement parce qu'elle n'est pas polémique. Il ne s'agit pas de prendre parti pour une conception de la vérité contre une autre, mais plutôt de dire avec précision ce que nous entendons tous par vérité.
Mais chassez les problèmes théoriques ils reviennent au galop. On peut se demander comment s'opère cette adéquation.
D'abord, dans quel sens? Est-ce l'intellect qui se règle sur les choses, ou les choses qui se règlent sur l'intellect, comme a osé le penser Kant?
Et puis, d'où provient cette adéquation? D'une harmonie préétablie par le créateur, ou d'un hasard biologique? Comment se fait-il que l'intellect entre en adéquation avec ce qui n'est pas lui? On le voit, il y a encore de quoi couper les cheveux en quatre si on aime ça! Very Happy
Zagara
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par Zagara Lun 09 Oct 2017, 21:35
Question naïve : ça implique qu'il y aurait des "choses" dont l'essence attendrait d'être "révélée" par l' "intellect" humain, ou je ne comprends pas ?

Mettons que je prenne un métal comme le cuivre. Je dis : "ce bout de cuivre est orangé". Un scientifique me répondrait immédiatement que je le vois orangé mais que c'est du fait de l’œil humain. Il me faudrait donc un autre énoncé qui ferait abstraction de ce medium spécifique. Mais un physicien quantique m'expliquerait qu'en fait c'est une combinaison à l'échelle atomique qui crée cette "couleur". Et alors il me faudrait énoncer la théorie quantique de l'émergence de la couleur du cuivre. Là peut-être que j'aurais un début d'énoncé "vrai"... jusqu'au prochain physicien qui passerait par là... donc à quelle échelle se trouve la "chose" ?

Par ailleurs, j'ai toujours trouvé stupéfiant qu'il existe des lois intelligibles de la physique. Même si je sais qu'on ne cherche que "le modèle le plus conforme aux observations" et non "le réel", par définition inaccessible, je trouve incroyable qu'on puisse établir des règles prédictives grâce à la logique humaine. Je ne comprends pas ce saut vertigineux entre la logique interne du cerveau et la logique de l'univers. Les deux devraient être découplés, et pourtant ça marche bon an mal an...
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par Euthyphron Lun 09 Oct 2017, 21:40
Je crois que tu as tout à fait compris le problème!
Y a-t-il des choses en attente d'un intellect pour les révéler, ou bien un intellect qui attend que les choses le révèlent à lui-même?
C'est une vraie belle question, selon moi.
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par Zagara Lun 09 Oct 2017, 21:55
Le concept de "chose" pose quand même problème au vu du fait qu'une grande partie des qualités des objets qu'on peut voir à l’œil nu (couleur, masse, conductivité, rigidité, chaleur...) dépend du comportement de ses atomes. La "chose" est-elle la conceptualisation humaine d'un ensemble de fonctions émergentes et peut-être indépendantes ? Mais du coup elle serait si mêlée d'intellect, puisque inventée par lui, que sa "vérité" serait inaccessible.
NLM76
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par NLM76 Lun 09 Oct 2017, 22:00
Ah voilà; je me disais bien que j'avais tordu quelque chose, en transformant "vérité" en "connaissance vraie" ou plutôt "connaissance valable".
Il me semble que son caractère efficace s'avère assez facilement: si un concept, une théorie me permet de mieux comprendre, de saisir une réalité qui m'est extérieure, elle me permet d'améliorer ma connaissance du monde.
Ainsi l'hypothèse du proto-indo-européen, avec le corpus de règles établies par les indoeuropéanistes permet de mieux saisir les différents systèmes linguistiques en cause (grec, latin, sanskrit, germanique, etc.). Donc elle relève de la connaissance... en attendant qu'un autre système l'explique mieux.
De même, on peut prendre comme origine d'un repère dans l'espace le centre de la terre et décrire le mouvement du soleil et des planètes du système solaire avec ce point O-là. Mais la description sera extraordinairement compliquée, et prendre le soleil comme origine donne un système beaucoup plus intelligible, donc plus "vrai". De sorte que d'une certaine façon la théorie la plus vraie est la théorie la plus simple.
Ainsi, si j'ai compris quelque chose à cette histoire de rasoir d'Ockham, en y entendant "ce qui est plus simple est plus vrai" — ce qui est peu vraisemblable —, elle se tient parce que la vérité tient au moins autant de l'intellectus que de la res.
Autrement dit, tout science qui se tient est intrinsèquement une didactique, et il ne saurait exister de "transposition didactique".

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User17706
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par User17706 Lun 09 Oct 2017, 22:05
Zagara a écrit: Mettons que je prenne un métal comme le cuivre. Je dis : "ce bout de cuivre est orangé". Un scientifique me répondrait immédiatement que je le vois orangé mais que c'est du fait de l’œil humain. Il me faudrait donc un autre énoncé qui ferait abstraction de ce medium spécifique.
Pourquoi ce "donc" ?

Autrement dit : qu'y a-t-il d'insatisfaisant dans le premier énoncé "ce bout de cuivre est orangé" ?

Les conditions de vérité d'un énoncé donné sont multiples: dans ton énoncé, tu as un déictique ("ce"), un nom de couleur ("orangé"), et d'autres termes dont le fonctionnement précis peut être assez délicat à préciser ("bout", par exemple). Il y a des conditions implicites, aussi (par exemple, le concept "orangé" suppose qu'il existe un appareil visuel apte à discriminer non seulement le rouge du jaune mais plusieurs couleurs situées "entre" le rouge et le jaune; donc qu'il existe aussi un appareil visuel tout court, suffisamment répandu pour laisser des traces dans une langue). On suppose aussi que le mot "cuivre" a une dénotation (c'est-à-dire, grossièrement, que le cuivre existe). Etc.

Il n'est pas dit qu'un énoncé qui ferait abstraction de cet aspect de la physiologie humaine qu'est la vision des couleurs serait plus vrai que l'énoncé donné en exemple. Peut-être aurait-il des conditions de vérité moins complexes ou moins nombreuses, je ne sais; ce ne seraient pas exactement les mêmes, pour sûr.

Il n'est pas évident qu'en changeant d'échelle ou de mode de description on se rapproche ou s'éloigne de "la chose". On peut aussi, à la faveur de reformulations multiples, changer de chose sans bien s'en rendre compte.

Bon, on s'éloigne peut-être fortement de la discussion initiale.
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User17706
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par User17706 Lun 09 Oct 2017, 22:09
nlm76 a écrit:Ah voilà; je me disais bien que j'avais tordu quelque chose, en transformant "vérité" en "connaissance vraie" ou plutôt "connaissance valable".
Il me semble que son caractère efficace s'avère assez facilement: si un concept, une théorie me permet de mieux comprendre, de saisir une réalité qui m'est extérieure, elle me permet d'améliorer ma connaissance du monde.
Ainsi l'hypothèse du proto-indo-européen, avec le corpus de règles établies par les indoeuropéanistes permet de mieux saisir les différents systèmes linguistiques en cause (grec, latin, sanskrit, germanique, etc.). Donc elle relève de la connaissance... en attendant qu'un autre système l'explique mieux.
De même, on peut prendre comme origine d'un repère dans l'espace le centre de la terre et décrire le mouvement du soleil et des planètes du système solaire avec ce point O-là. Mais la description sera extraordinairement compliquée, et prendre le soleil comme origine donne un système beaucoup plus intelligible, donc plus "vrai". De sorte que d'une certaine façon la théorie la plus vraie est la théorie la plus simple.
Ainsi, si j'ai compris quelque chose à cette histoire de rasoir d'Ockham, en y entendant "ce qui est plus simple est plus vrai" — ce qui est peu vraisemblable —, elle se tient parce que la vérité tient au moins autant de l'intellectus que de la res.
Autrement dit, tout science qui se tient est intrinsèquement une didactique, et il ne saurait exister de "transposition didactique".
On s'éloigne, me semble-t-il, de l'intention première de la définition de la vérité (qui ne peut pas passer pour une définition de la connaissance, tout au plus pour l'une de ses conditions). Pour mettre les choses très grossièrement, si le bouzin est compliqué, la proposition qui le décrit avec vérité doit l'être aussi, et si une proposition vraie est compliquée, c'est probablement parce que le bouzin qu'elle concerne est lui-même compliqué. Et pour rester dans l'orbe des intentions thomasiennes vraisemblables, cf. Aristote, Theta 10: ce n'est pas parce que nous disons avec vérité que tu es blanc, que tu es blanc; mais c'est parce que tu es blanc que nous sommes dans le vrai en disant que tu l'es. Il y a donc asymétrie, profonde, essentielle, entre la res et l'intellectus ici: il me semble d'ailleurs que gommer cette asymétrie, c'est quitter le régime de l'explicitation du concept naïf et fondamental de vérité pour accoucher d'une thèse (contestable comme toute thèse).
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par Zagara Lun 09 Oct 2017, 22:11
Mais qu'appelles-tu "vérité" alors ? Le consensus de tous sur l'énoncé ?
Parce que je ne vois pas comment qualifier "ce bout de cuivre est orangé" de "vrai" sinon sans consciences qui acquiescent à ce vrai parce qu'elles ont les mêmes outils oculaires que le locuteur. Mais si on accepte cette définition, quelle différence avec l'opinion ? [Philo] Adæquatio intellectūs cum rē 3795679266

Par exemple, si on reste sur les couleurs : chaque culture a différentes manières de dire, et donc de voir, les couleurs, et certaines ne sont visibles que par certaines cultures. Faute de mot pour la dire, cette "réalité" n'existe pas. Donc, est-ce que tu dis que l'énoncé "cet objet est [nuance de rouge uniquement dicible en chinois]" est plus ou moins vrai que "cet objet est rouge" ? Si les deux sont vrais, alors le vrai est relatif ?

Je croyais que tout énoncé reposant sur des media humains relatifs (sens, langage usuel, culture) ne pouvait être dit "vrai" puisque nos sens, cultures, langages, modifiaient sensiblement la réalité en la voyant, pensant, disant. C'était Hume qui disait ça, non ? (vague souvenir)


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User17706
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par User17706 Lun 09 Oct 2017, 22:19
Zagara a écrit:Mais qu'appelles-tu "vérité" alors ? Le consensus de tous sur l'énoncé ?
Non, j'appelle vérité la même chose que tout le monde: l'adéquation de l'énoncé avec la chose dont il parle Razz

C'est seulement qu'il peut être délicat de préciser de quelle chose on parle, et ce que veut vraiment dire ce qu'on en dit Smile
Zagara a écrit:Parce que je ne vois pas comment qualifier "ce bout de cuivre est orangé" de "vrai" sinon sans consciences qui acquiescent à ce vrai parce qu'ils ont les mêmes outils oculaires que le locuteur. Mais si on accepte cette définition, quelle différence avec l'opinion ? [Philo] Adæquatio intellectūs cum rē 3795679266
Typiquement, si on garde les couleurs : chaque culture a différentes manières de dire, et donc de voir, les couleurs, et certaines ne sont visibles que par certaines cultures. Faute de mot pour la dire, cette "réalité" n'existe pas. Donc, est-ce que tu dis que l'énoncé "cet objet est [couleur rouge uniquement dicible en chinois]" est plus ou moins vrai que "cet objet est rouge" ? Si les deux sont vrais, alors le vrai est relatif ?
Tu as pris un exemple classiquement hérissé de difficultés en prenant un nom de couleur. Du coup, une partie des difficultés que tu soulèves sont propres à ce type d'exemple (attention d'ailleurs à certaines affirmations qui circulent dans la littérature mais sont mal étayées, comme celle de la visibilité relative à une culture: ce n'est pas parce le mot est absent de la langue que la perception de ses locuteurs diffère).

Admettons toutefois qu'une nuance de rouge spécifique n'ait de nom qu'en chinois, et appelons cette nuance le bling-bling (qui ne peut guère passer pour un mot chinois, mais bon, on pare au plus pressé). Dire d'un objet de couleur bling-bling qu'il est rouge n'est pas moins vrai que de dire qu'il est bling-bling, puisque par hypothèse le bling-bling est une nuance de rouge. C'est sûrement moins précis. Mais la différence ne me paraît pas énorme entre ce cas, et celui où l'on dirait d'un cheval tantôt que c'est un mammifère et tantôt que c'est un cordé. Les deux sont vrais. Mais quiconque sait que tous les mammifères sont des cordés (et qu'ils ne constituent qu'une toute petite partie des cordés) admettra qu'on a plus précisément décrit un cheval en disant que c'est un mammifère qu'en se contentant de dire que c'est un cordé.

Quant à la différence avec l'opinion, eh bien il n'y a pas à en chercher: une opinion peut être vraie, elle peut être fausse. Il n'y a pas plus de différence entre vérité et opinion qu'il n'y en a entre, par exemple, sphéricité et courgette.
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par Zagara Lun 09 Oct 2017, 22:24
D'accord, donc les 3 définitions de la couleur du cuivre que je donnais sont trois niveaux de précision d'une même "vérité" selon les outils intellectuels dont on dispose ? Il y a donc une progressivité de la qualité des intellects ? Ou c'est non-hiérarchisé ?


Dernière édition par Zagara le Lun 09 Oct 2017, 22:24, édité 1 fois
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User17706
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par User17706 Lun 09 Oct 2017, 22:24
Zagara a écrit: Je croyais que tout énoncé reposant sur des media humains relatifs (sens, langage usuel, culture) ne pouvait être dit "vrai" puisque nos sens, cultures, langages, modifiaient sensiblement la réalité en la voyant, pensant, disant. C'était Hume qui disait ça, non ? (vague souvenir)
On trouve dans la tradition sceptique des tentatives de ruiner le concept de vérité avec ce genre d'arguments; la source est plutôt Sextus, la plupart des auteurs modernes ne faisant pour l'essentiel que s'y abreuver. Mais il ne me semble pas que ces arguments soient le moins du monde sains.
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User17706
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par User17706 Lun 09 Oct 2017, 22:33
Zagara a écrit:D'accord, donc les 3 définitions de la couleur du cuivre que je donnais sont trois niveaux de précision d'une même "vérité" selon les outils intellectuels dont on dispose ? Il y a donc une progressivité des intellects ?
Il y a probablement des intellections d'une précision différente, oui, mais tu as choisi un exemple très compliqué dans la mesure où on peut pinailler sur presque chacun de ses composants.

On imagine assez aisément, par exemple, qu'un type vienne demander si le morceau de métal est bien à 100% du cuivre. Potentiellement tu as là aussi quelque chose, sans même descendre au niveau subatomique, qui peut encourager à ce demander ce que signifie au juste "ce bout de cuivre".

Tu as le nez creux en parlant de consensus: il y a bien une sorte de consensus qui est requis pour l'analyse des conditions de vérité d'un énoncé comme celui que tu as pris en exemple, mais c'est plutôt, c'est en tout cas ainsi que je l'analyserais, le consensus linguistique qui est requis pour donner un sens à des expressions courantes comme "ce bout de cuivre" et "orangé". Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas leur associer des concepts précis (un numéro atomique, une longueur d'onde), mais à prendre l'énoncé tel qu'il se livre et dans sa signification obvie, il n'est pas tout à fait glosable dans les termes de "la substance de numéro atomique 29" / "600 nanomètres", ne serait-ce que parce qu'il est intelligible à quelqu'un qui ignorerait l'existence des atomes et des ondes.

(Autrement dit, quand on passe d'un énoncé courant à un énoncé scientifique, il est fréquent non seulement qu'on change de degré de précision, mais que littéralement ce ne soit plus exactement de la même chose qu'on parle.)
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par Anaxagore Lun 09 Oct 2017, 22:49
Zagara a écrit:Le concept de "chose" pose quand même problème au vu du fait qu'une grande partie des qualités des objets qu'on peut voir à l’œil nu (couleur, masse, conductivité, rigidité, chaleur...) dépend du comportement de ses atomes. La "chose" est-elle la conceptualisation humaine d'un ensemble de fonctions émergentes et peut-être indépendantes ? Mais du coup elle serait si mêlée d'intellect, puisque inventée par lui, que sa "vérité" serait inaccessible.

Cette idée me plaît bien, l'idée que nous forgeons des idées pour appréhender la réalité à partir de ce que nous en percevons, sans pouvoir prétendre que ces idées décrivent ce qui fait la réalité, ni même que la description de la réalité nous est accessible ou soit dans nos capacités.

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par Euthyphron Mar 10 Oct 2017, 10:42
Anaxagore a écrit:Cette idée me plaît bien, l'idée que nous forgeons des idées pour appréhender la réalité à partir de ce que nous en percevons, sans pouvoir prétendre que ces idées décrivent ce qui fait la réalité, ni même que la description de la réalité nous est accessible ou soit dans nos capacités.
Il me semble que ton message peut être considéré comme un résumé (certes très résumé Very Happy ) de la Critique de la Raison pure de Kant.
Une variante serait, en termes kantiens : on ne connaît que les phénomènes, pas les choses en soi.
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par Mezziaz Mar 10 Oct 2017, 17:15
Cette maxime décrit une théorie correspondantiste de la verité; et il me semble bien qu'avant Kant, tout les philosophes étaient tributaires d'une telle conception.

Après lui, cependant, s'est d'abord développée la théorie cohérentiste, puis minimaliste, puis pragmatiste ..

Je crois qu'après Putnam, défendre une telle compréhension de la verité est impossible. Les coups qu'il lui assène dans Raison, Verité et Histoire sont dévastateurs. Non pas tant par les objections déjà mentionnées plus haut, mais aussi par le lourd présupposé du réalisme métaphysique.

Cependant, il a bien raison de pointer du doigt la façon dont une telle compréhension de la verité est, chez l'homme, hautement naturelle et intuitive.
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par Zagara Mar 10 Oct 2017, 17:21
Pourrais-tu expliquer la position de Putnam pour ceux (dont moi) qui ne la connaissent pas ?
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par User17706 Mar 10 Oct 2017, 17:23
Mezziaz a écrit:Cette maxime décrit une théorie correspondantiste de la verité; et il me semble bien qu'avant Kant, tout les philosophes étaient tributaires d'une telle conception.
C'est un peu vite dit. Ça ne marche pas très bien avec Leibniz, par exemple.

Après, c'est tout à fait juste que les critiques de Putnam sont sérieuses.

(C'est rigolo : ce fil va tourner à de la préparation d'agreg', Leibniz comme Reason, Truth & History étant au programme.)
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par Mezziaz Mar 10 Oct 2017, 17:48
Zagara a écrit:Pourrais-tu expliquer la position de Putnam pour ceux (dont moi) qui ne la connaissent pas ?

Dans son ouvrage, Putnam attaque un ensemble de présupposés qu'il subsume sous le terme "réalisme métaphysique", et dont le contenu serait les propositions suivantes :

  • Le monde est constitué d'un ensemble fixe d'objets indépendants de notre esprit
  • Il n'existe qu'une seule description vraie de comment est fait le monde
  • La vérité est une sorte de relation de correspondance entre les mots (ou les symboles de pensée) et les choses (ou des ensembles de choses) extérieures.


Il porte trois coups majeurs :

  • L'expérience de pensée des Cerveaux dans une Cuve (brains in a vat). En voici le texte. Cette expérience est d'une complexité plus subtile qu'elle n'en a l'air. Elle attaque certaines distinctions et dichotomies qui sont pourtant tenaces dans la tradition.
  • L’indéterminisme de la référence, et la proposition d'une théorie causale de la référence. C'est une critique qui s'inscrit dans la lignée de celles de Kripke, par exemple, ou des expériences de pensées de Frege au sujet de la substitution de l'identité. Putnam arrive a la conclusion que le lien entre le terme et le monde se fait par une sorte de causalité, et que le sens d'un mot (ou d'un signe) ne saurait être réduit au jugement mental qui lui est associé (un argument qui rappelle, celui, analogue, de Wittgenstein au sujet du langage privé).
  • La relativité conceptuelle de nos jugements. Putnam défends la notion selon laquelle nos concepts sont des cadres a travers lequel le monde passe -- et c'est a l'occasion de ce passage que notre compréhension du monde se teinte des scories du relativisme et de la subjectivité. Pour autant, Putnam refuse l'existence d'un point de vue "objectif" (la vision de Dieu). Il n'y a pas de "point de vue de l'univers", car il faut, pour voir, un sujet. Malgré cela, Putnam ne défends pas un relativisme.


Je ne sais pas si mon modeste résumé est bien utile ... Mais l'ouvrage est traduit en français et très clair. Je le recommande vivement.

Leodagan
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Fidèle du forum

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par Leodagan Mar 10 Oct 2017, 19:02
Cela dit, ce Gypaète barbu me semble trop pivoine pour un individu sortant d'un bain fuligineux.
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User17706
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par User17706 Mer 11 Oct 2017, 10:13
En tout cas, si ce fil se transforme en fil Putnam (c'est tout sauf hors-sujet), ça sera très intéressant Smile
Sirgab
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par Sirgab Mer 11 Oct 2017, 15:39
Une question un peu naïve. Je ne connais pas Putnam. Comment peut-il affirmer que la théorie de la vérité correspondance repose sur, tiens, cette affirmation : "le monde est constitué d'un ensemble fixe d'objets indépendants de notre esprit" ?
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