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Les caractères (XI), La Bruyère, "Peindre les hommes, examiner la nature humaine" Empty Les caractères (XI), La Bruyère, "Peindre les hommes, examiner la nature humaine"

par NLM76 Mer 22 Sep - 7:35
Je fais un fil séparé pour les technos : il ne s'agit pas de la même portion du livre, et le parcours est différent.
J'ai choisi La Bruyère en techno d'une part parce qu'il m'a semblé que le livre XI ("Des hommes") pouvait leur parler — parce qu'il m'a parlé, et davantage que les livres précédents — et surtout parce que j'ai pensé que je galérerais moins en cherchant des textes pour le résumé-discussion sur ce thème.

Mais je ne sais pas encore quels textes choisir pour les explic. Quelqu'un a déjà fait ce choix ?
En attendant, je vais regarder ce qu'on trouve dans les anthologies.

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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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par NLM76 Mer 22 Sep - 10:28
Je vois, sur le site de Michèle Tillard, qu'elle appelle les textes numérotés par La Bruyère des "remarques", les unes constituant des "maximes", les autres des "développements". Ça me semble pratique ; avez-vous un meilleur usage ?

Bon, je crois que je vais choisir la remarque 3, sur le stoïcisme, et la remarque 35, "Irène", sur l'hygiène de vie et la médecine parce qu'elles me semblent très riches, et peuvent vraiment assez facilement leur parler à tous. D'autres idées ?

P.S. : à la modération : peut-être vaudrait-il mieux fusionner les deux fils concernant La Bruyère au bac : même si le programme est très différent, des questions comme la première que je pose dans ce message concernent les deux topics.

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par NLM76 Jeu 23 Sep - 4:56
Quelqu'un pour relire et critiquer ce document préparatoire pour l'explication de la remarque 3, sur le stoïcisme, à destination d'une première technologique ? En particulier les notes de bas de page ; mais aussi le choix du vocabulaire à faire travailler.

  • https://e.pcloud.link/publink/show?code=XZJU45Zqy0o2KQo79hsLVXVgYXSxXLhCiDk


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Iphigénie
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par Iphigénie Jeu 23 Sep - 11:26
Il faudrait que je retrouve où Montaigne (qui semble inspirer La Bruyère ici, se demande- à peu près de mémoire-: "à quoi servent ces doctrines si pointues que nul ne peut s'y asseoir" Wink
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par NLM76 Jeu 23 Sep - 13:14
On peut aussi penser à la pinguis minerva ("l'épaisse sagesse") que revendique Cicéron, face au sage idéal qui n'existe pas, dans L'amitié.

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par NLM76 Lun 29 Nov - 12:05
Personne ici ? Je réfléchis à des sujets de contraction. Donnez-moi des idées de textes intéressants ! Pour l'instant, je leur ai donné en entraînement une remarque de La Bruyère, et le début du discours de Mukwege pour recevoir le Nobel.

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Tivinou
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par Tivinou Mer 29 Déc - 13:58
Petite question à celles et ceux qui ont choisi Les Caractères cette année: êtes-vous satisfaits de votre choix ? Je suis en congé de formation professionnelle cette année et je vous avoue que j'ai du mal à choisir une œuvre parmi celles proposées.
HasouH
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par HasouH Mer 29 Déc - 14:55
Bonjour, j’ai extrêmement besoin d’aide pour une dissertation. Je dois rédiger une seule partie (partie1) et les autres parties sous forme de plan etc. C’est urgent svp!? 

Dans Le siècle des moralistes (2000) B. Parmentier écrit : "L'univers social est livré au règne des apparences, qui sont réinvesties dans des manoeuvres de domination. L'apparence est le domaine des abus de pouvoir." Qu'en pensez-vous ?
frimoussette77
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par frimoussette77 Mer 29 Déc - 14:58
HasouH a écrit:Bonjour, j’ai extrêmement besoin d’aide pour une dissertation. Je dois rédiger une seule partie (partie1) et les autres parties sous forme de plan etc. C’est urgent svp!? 

Dans Le siècle des moralistes (2000) B. Parmentier écrit : "L'univers social est livré au règne des apparences, qui sont réinvesties dans des manoeuvres de domination. L'apparence est le domaine des abus de pouvoir." Qu'en pensez-vous ?
Si c'est urgent, mets-toi vite au travail.
Courage !
Hermione0908
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par Hermione0908 Mer 29 Déc - 14:59
@HasouH : Ce forum est réservé aux professionnels de l'Education Nationale et n'a pas vocation à faire de l'aide aux devoirs. Ton compte va être désactivé.

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par NLM76 Ven 20 Jan - 16:09
J'ai rédigé une explication de texte, afin de pouvoir travailler un peu pendant les heures de cours en 1re STMG, puisqu'il est impossible d'y mener ni cours dialogué, ni cours magistral, ni activité qui ne serait pas extrêmement dirigée. Je publie, parce que, vu le temps que j'y ai passé, autant que ça puisse servir.
N'hésitez pas à critiquer.
  • https://www.lettresclassiques.fr/2023/01/20/le-stoicisme-est-un-jeu-desprit/

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e-Wanderer
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par e-Wanderer Sam 21 Jan - 11:51
Tu t'attaques à un texte redoutable, à mon avis très difficile pour des élèves du secondaire. Il y a à mon avis un ÉNORME implicite dans ce texte : pour l'époque de La Bruyère, le stoïcisme ne renvoie pas tant à la doctrine philosophique de l'Antiquité qu'à sa relecture moderne lancée par les humanistes, autour de la question de la compatibilité de cette doctrine avec le christianisme. Et là, ça se complique sérieusement, car la question n'est pas encore tranchée à la fin du XVIIe siècle.

On cite souvent comme point de départ Calvin, dont L'institution de la Religion chrestienne (1541) dénonce explicitement l'orgueil un peu fou des stoïciens :
Ce combat, que soustiennent les fideles contre le sentiment naturel de douleur, en suyvant patience & moderation, est tresbien descript par Sainct Paul, en ces parolles <2. Cor. 4>. Nous endurons tribulation en toutes choses : mais nous ne sommes pas en destresse. Nous endurons povreté : mais nous ne sommes point destituez. Nous endurons persecution : mais nous ne sommes point abandonnez : nous sommes comme abatuz: mais nous ne perissons point. Nous voyons que porter patiemment la croix, n'est pas estre du tout stupide, & ne sentir douleur aucune, comme les Philosophes Stoiques ont folement descript le temps passé un homme magnanime, lequel ayant despouillé son humanité, ne feust autrement touché d'adversité que de prosperité, ne autrement de choses tristes que de joyeuses : ou plustost qu'il feust sans sentiment comme une pierre. Et qu'ont-ilz profité avec ceste si haulte sagesse ? C'est qu'ilz ont despaind un Simulacre de patience, lequel n'a jamais esté trouvé entre les hommes, & n'y peut estre du tout : & mesme en voulant avoir une patience trop exquise, ilz ont osté l'usage d'icelle entre les hommes. Il y en a aussi maintenant entre les Chrestiens de semblables : lesquelz pensent que ce soit vice, non seulement de gemir & pleurer, mais aussi de se contrister & estre en solicitude. Ces opinions sauvages procedent quasi de gens oisifz : lesquels s'exercent plustost à speculer, qu'à mettre la main à l'œuvre, ne peuvent engendre autre chose, que telles phantasies. De nostre part, nous n'avons que faire de ceste si dure & rigoureuse Philosophie : laquelle nostre Seigneur Jesus a condamnée, non seulement de parolles, mais aussi par son exemple. Car il a gemy & pleuré tant pour sa propre douleur qu'en ayant pitié des autres : & n'a pas autrement aprins ses disciples de faire. Le monde, dict-il, s'esjoyra : & vous serez en tristesse : il rira, & vous pleurerez. Et à fin qu'on ne tournast cela à vice, il prononce ceux qui pleurent estre bien heureux. Ce qui n'est point de merveille. Car si on reprouve toutes lames : que jugerons-nous du Seigneur Jesus ; du corps duquel sont distilées goustes de sang? Si on taxe d'incredulité tout espouvantement : qu'estimeront-nous de l'horreur, dont il feust si merveilleusement estonné ? Comme approuverons-nous ce qu'il confesse : son ame estre triste jusques à la mort ? J'ay voulu dire ces choses, pour retirer tous bons cœurs de desespoir : à fin qu'ilz ne renoncent point à l'estude de patience : combien qu'ils ne soient du tout à delivre d'affection naturelle de douleur. Or il convient que ceux qui font de patience stupidité, & d'un homme fort & constant un tronc de boys, perdent couraige & se desesperent : quand ilz se vouldront abandonner à patience. L'Escriture au contraire louë les Sainctz de tolerance, quand ilz sont tellement affligez de la dureté de leurs maulx, qu'ilz n'en sont pas rompus pour deffaillir : quand ilz sont tellement poinctz d'amertume, qu'ilz ont une joye spirituelle avec : quand ilz sont tellement pressez d'angoisse, qu'ilz ne laissent point de respirer, se resjoyssantz en la consolation de Dieu. […] De là il adviendra qu'en quelque tribulation que nous soyons, en la plus grande destresse de cœur qu'il sera possible d'avoir, nous ne laisserons point de retenir constamment patience. Car les adversitez auront toujours leur aigreur, laquelle nous mordra. Pour laquelle cause, estans affligez de maladie, nous gemirons, & nous plaindrons, & desirerons santé estant pressez d'indigence, nous sentirons quelques aiguillons de perplexité & solicitude. Pareillement l'ignominie, contemnement, & toutes autres injures nous navreront le cœur. Quand il y aura quelqu'un de noz parens mort, nous rendrons à nature les larmes qui luy sont deües. Mais nous reviendrons tousjours à ceste conclusion. Neantmoins Dieu l'a voulu, suivons donc sa volunté. Mesme il fault que ceste cogitation intervienne parmy les punctions de douleur, & larmes, & gemissemens : à fin de reduire nostre cœur à porter joyeusement les choses, desquelles il est ainsi contristé."
Chapitre XVII, p. 807-809

Je trouve que ce texte dialogue parfaitement avec le texte de La Bruyère, avec cette même idée que les stoïciens élaborent une fiction chimérique ("fantôme" chez LB, "simulacre" chez Calvin) : le chrétien ne doit pas nier ou prétendre ignorer la douleur, mais l'endurer et la surmonter. Ce sont deux conceptions de la "patience", mais qui ont évidemment des points de contact. L'autre volet de la critique, peut-être moins immédiatement apparent, concerne l'orgueil des stoïciens : ils prétendent aller contre les lois de la nature en ignorant la souffrance, mais c'est impossible à faire sans s'en remettre à Dieu : prétendre le contraire, c'est rejoindre de près ou de loin le camp des "esprits forts" et des libertins.

LB, en inventoriant toutes les souffrances ("injures", pertes des biens, des proches ou des parents), pense très probablement à Job. Mais Job ne rit pas (le rire est diabolique, ce serait aussi ici une marque d'orgueil ou de provocation), il endure sa souffrance et s'en remet à Dieu. Même chose pour les souffrances physiques, feu ou fer : on retrouve la configuration des martyrs chrétiens et la théorie paulinienne de la "folie du saint", lequel se précipite en chantant dans le bain d'huile bouillante. ("Il s’élance dans cet étang d’huile fumante et bouillante avec la même promptitude que, dans les ardeurs de l’été, on se jette dans le bain pour se rafraîchir.", Bossuet, Panégyrique de saint Jean, éd. F. Lachat des Œuvres complètes de Bossuet, Paris, Louis Vivès, 1863, vol. XII, p. 26). Le saint accomplit cela non par bravade ou par orgueil, mais parce qu'il a accès à une dimension supérieure de la foi (on peut par exemple faire le parallèle entre saint Laurent sur son gril, et le roi aztèque dont parle Montaigne (III, 6, "des coches", éd. Villey p. 912) qui est exactement dans la même configuration, torturé sur un gril : il fait honte à ses tortionnaires espagnols en ignorant sa douleur et en se payant le luxe d'une saillie méprisante. En bon humaniste, Montaigne admire la constance de ce roi aztèque, mais oblitère soigneusement la double question de l'orgueil et celle de la vraisemblance).

Or le débat ouvert ici par Calvin est constamment repris par les humanistes et au-delà, avec un véritable courant néo-stoïcien lancé par Juste Lipse, et dont on peut suivre le fil chez Montaigne (et plus encore chez son disciple Charron dans De la Sagesse), Guillaume du Vair, ou plus tard autour de Malherbe (traducteur de Sénèque). Il peut s'agir, dans un geste syncrétique typiquement humaniste, de chercher à concilier la philosophie antique à la doctrine chrétienne (et c'est par exemple la leçon des Epistres morales d'Honoré d'Urfé, l'ancien Ligueur peu suspect d'idées hétérodoxes en matière de religion). Mais le néo-stoïcisme est déjà plus trouble avec Montaigne, qui cite Sénèque à tour de bras et parle si peu de religion dans les Essais (sinon pour dire qu'il faut adopter la religion de son pays et de son Prince), et bien davantage du doute sceptique. Il est aussi assez suspect chez Malherbe, qui selon la Vie de Malherbe attribuée à Racan, se laisse volontiers aller à des propos blasphématoires ou mange gras les jours de Carême… Plus on avance dans la chronologie, plus le néo-stoïcisme se rapproche des idées des "esprits forts", et c'est bien ce qui le rend si sulfureux à la fin du siècle.

Selon moi, il y a dans le texte de LB une double critique du (néo-)stoïcisme : celle de créer une fiction peu compatible avec la réalité de la souffrance, et celle de l'orgueil (c'est plus ténu, mais je serais tenté de lire dans un sens chrétien le passage sur le monde qui s'écroule, et de lire le mot "Chute" avec une majuscule). Et parallèlement, la conclusion de la remarque, sur l'homme qui se lamente sur la perte de son chien ou de son vase de porcelaine, peut sans doute facilement être rapprochée du portrait du fleuriste (section "De la mode", XIII, 2) qui s'attache à sa tulipe en oubliant Dieu ("Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point. […] Cet homme raisonnable, qui a une âme, qui a un culte et une religion, revient chez soi fatigué, affamé, mais fort content de sa journée ; il a vu des tulipes.").

Ce sont en somme les deux versants de la misère de l'homme sans Dieu : celui qui pèche par orgueil (le néo-stoïcien), celui qui reste prisonnier de son quotidien futile : il conviendrait d'abaisser l'un et de relever l'autre. La difficulté, c'est que si on prend le texte à la lettre, il n'est à aucun moment question de religion dans cette remarque de LB. Mais je ne pense pas me tromper en disant que c'est une clé de lecture fondamentale. Tu me diras ce que tu penses de mes petites élucubrations…










Dernière édition par e-Wanderer le Sam 21 Jan - 18:59, édité 1 fois

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Les caractères (XI), La Bruyère, "Peindre les hommes, examiner la nature humaine" Empty Re: Les caractères (XI), La Bruyère, "Peindre les hommes, examiner la nature humaine"

par NLM76 Sam 21 Jan - 12:40
Oui. C'est un sacré morceau, et une partie de moi se demande pourquoi j'ai eu idée de proposer cela à mes élèves... Tu as raison sur les résonances chrétiennes qu'il y a là, et en particulier, sur le texte de Calvin - d'ailleurs il conviendrait peut-être de s'interroger sur le caractère fort peu catholique d'une telle référence...
Reste qu'il me semble que la deuxième partie du texte est plus humaniste que bigote, en particulier par les sourires qu'elle implique. L'esprit dont fait preuve La Bruyère ridiculise au fond tous les "esprits forts" qu'ils appartiennent au parti libertin, ou au parti dévot comme ce triste sire de Calvin - comment peut-on être à la fois si talentueux et si pesant !
En tout cas, les quelques linéaments que je leur livre du stoïcisme ne sont pas sans les intéresser... même si c'est pour les ranger dans l'enfer des philosophies païennes qui vouent à la damnation éternelle ! Je vais relire mon truc pour regarder si je ne fais pas trop de non-dits relativement à l'opposition entre paganisme et christianisme qui sous-tend le texte.

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par Iphigénie Sam 21 Jan - 14:15
oui on se demandera toujours quelles idées te passe par la tête pour faire  ce que tu fais Very Happy

Mais c'est bien, ça fait des développements passionnants et  qui participent de la formation continue (ou de l'université du troisième âge, c'est selon).
Donc continue! -et aussi e-Wanderer cheers
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Les caractères (XI), La Bruyère, "Peindre les hommes, examiner la nature humaine" Empty Re: Les caractères (XI), La Bruyère, "Peindre les hommes, examiner la nature humaine"

par e-Wanderer Sam 21 Jan - 18:59
Oui, il faut vraiment remercier Nicolas, qui est formidable dans sa capacité à produire autant de jolis documents qui sont ensuite d'efficaces aiguillons pour nourrir la discussion !

Sur la colique, comme on est à l'heure de l'apéro (bon appétit, bien sûr ! Razz), il faut peut-être rappeler que c'est chez Montaigne (et sans doute chez d'autres, il faudrait faire la recherche) un exemple classique de l'opposition entre les vaines prétentions (des richesses matérielles, de la pensée etc.) et le rappel des urgences du corps. À force, la colique devient sous sa plume un véritable symbole de l'humaine condition (peut-être parce que lui-même, sur ses vieux jours, souffrait de coliques néphrétiques et était soumis au quotidien à ce "vivre coliqueux", voir II, 37). Je signale cette filiation possible, qui sans remettre en cause le ton plaisant de la fin du texte de La Bruyère, nous donne à lire un aspect plus philosophique de ce dérangement corporel – et j'ai été content, dans mon petit relevé, de retrouver le fameux gril. Quelques citations :

I, 42,  "De l'inégalité qui est entre nous" , éd. Villey p. 262 :
Ce ciel de lict tout enflé d’or et de perles, n’a aucune vertu à rappaiser les tranchées d’une verte colique :

Nec calidae citius decedunt corpore febres,
Textilibus si in picturis ostroque rubenti
Jacteris, quam si plebeia in veste cubandum est.


II, 2, "De l’yvrongnerie", éd. Villey p. 345-47

A combien de vanité nous pousse cette bonne opinion que nous avons de nous ! La plus reiglée ame du monde n’a que trop affaire à se tenir en pieds et à se garder de ne s’emporter par terre de sa propre foiblesse. De mille, il n’en est pas une qui soit droite et rassise un instant de sa vie ; et se pourroit mettre en doubte si, selon sa naturelle condition, elle y peut jamais estre. Mais d’y joindre la constance, c’est sa derniere perfection  ; je dis quand rien ne la choquerait, ce que mille accidens peuvent faire. Lucrece, ce grand poëte, a beau Philosopher et se bander, le voylà rendu insensé par un breuvage amoureux. Pensent ils qu’une Apoplexie n’estourdisse aussi bien Socrates qu’un portefaix ? Les uns ont oublié leur nom mesme par la force d’une maladie, et une legiere blessure a renversé le jugement à d’autres. Tant sage qu’il voudra, mais en fin c’est un homme : qu’est il plus caduque, plus miserable et plus de neant  ? La sagesse ne force pas nos conditions naturelles :

Sudores itaque et pallorem existere toto
Corpore, et infringi linguam, vocémque aboriri,
Caligare oculos, sonere aures, succidere artus,
Denique concidere ex animi terrore videmus.


Il faut qu’il sille les yeux au coup qui le menasse ; il faut qu’il fremisse, planté au bord d’un precipice, comme un enfant : Nature ayant voulu se reserver ces legeres marques de son authorité, inexpugnables à nostre raison et à la vertu Stoique, pour luy apprendre sa mortalité et nostre fadeze. Il pallit à la peur, il rougit à la honte ; il se pleint à l'estrette d’une verte colique, sinon d’une voix desesperée et esclatante, au moins d’une voix cassée et enroüée,

Humani a se nihil alienum putet.

Les poëtes qui feignent tout à leur poste, n’osent pas descharger seulement des larmes leurs heros :

Sic fatur lachrymans, classique immittit habenas.

Luy suffise de brider et moderer ses inclinations, car, de les emporter, il n’est pas en luy. Cetuy mesme nostre Plutarque, si parfaict et excellent juge des actions humaines, à voir Brutus et Torquatus tuer leurs enfans, est entré en doubte si la vertu pouvoit donner jusques là, et si ces personnages n’avoyent pas esté plustost agitez par quelque autre passion. Toutes actions hors les bornes ordinaires sont subjectes à sinistre interpretation, d’autant que nostre goust n’advient non plus à ce qui est au dessus de luy, qu’à ce qui est au dessous.
Laissons cette autre secte faisant expresse profession de fierté. Mais quand, en la secte mesme estimée la plus molle, nous oyons ces ventances de Metrodorus :

Occupavi te, Fortuna, atque cepi ; omnesque
aditus tuos interclusi, ut ad me aspirare non posses ;


quand Anaxarchus, par l’ordonnance de Nicocreon, tyran de Cypre, couché dans un vaisseau de pierre et assommé à coups de mail de fer, ne cesse de dire : Frappez rompez, ce n’est pas Anaxarchus, c’est son estuy que vous pilez ; quand nous oyons nos martyrs crier au Tyran au milieu de la flamme : C’est assez rosti de ce costé là, hache le, mange le, il est cuit, recommance de l’autre ; quant nous oyons en Josephe cet enfant tout deschiré des tenailles mordantes et persé des aleines d’Antiochus, le deffier encore, criant d’une voix ferme et asseurée : Tyran, tu pers temps, me voicy tousjours à mon aise ; où est cette douleur, où sont ces tourmens, dequoy tu me menassois ? n’y sçais tu que cecy ? ma constance te donne plus de peine que je n’en sens de ta cruauté ; ô lache belistre, tu te rens, et je me renforce ; fay moy pleindre, fay moy flechir, fay moy rendre, si tu peux ; donne courage à tes satellites et à tes bourreaux  ; les voylà defaillis de cœur, ils n’en peuvent plus ; arme les, acharne les : certes il faut confesser qu’en ces ames là il y a quelque alteration et quelque fureur, tant sainte soit elle. Quand nous arrivons à ces saillies Stoïques : J’ayme mieux estre furieux que voluptueux, […] quand Sextius nous dit qu’il ayme mieux estre enferré de la douleur que de la volupté ; quand Epicurus entreprend de se faire mignarder à la goute, et, refusant le repos et la santé, que de gayeté de cœur il deffie les maux, et, mesprisant les douleurs moins aspres, dedaignant les luiter et les combatre, qu’il en appelle et desire des fortes, poignantes et dignes de luy,

Spumantémque dari pecora inter inertia votis
Optat aprum, aut fulvum descendere monte leonem
,

qui ne juge que ce sont boutées d’un courage eslancé hors de son giste ? Nostre ame ne sçauroit de son siege atteindre si haut. Il faut qu’elle le quitte et s’esleve, et, prenant le frein aux dents, qu’elle emporte et ravisse son homme si loing qu’apres il s’estonne luy-mesme de son faict ; comme, aux exploicts de la guerre, la chaleur du combat pousse les soldats genereux souvent à franchir des pas si hazardeux, qu’estant revenuz à eux ils en transissent d’estonnement les premiers ; comme aussi les poëtes sont espris souvent d’admiration de leurs propres ouvrages et ne reconnoissoient plus la trace par où ils ont passé une si belle carriere. C’est ce qu’on appelle aussi en eux ardeur et manie.

II, 8, "De l'affection des Peres aux enfans", éd. Villey, p. 401 :

Pensons nous qu’Epicurus qui, en mourant, tourmenté, comme il dit, des extremes douleurs de la colique, avoit toute sa consolation en la beauté de sa doctrine qu’il laissoit au monde, eut receu autant de contentement d’un nombre d’enfans bien nais et bien eslevez, s’il en eust eu, comme il faisoit de la production de ses riches escrits ? et que, s’il eust esté au chois de laisser apres luy un enfant contrefaict et mal nay, ou un livre sot et inepte, il ne choisit plustost, et non luy seulement, mais tout homme de pareille suffisance, d’encourir le premier mal'heur que l’autre ?

II, 11, "De la Cuauté", éd. Villey p. 424-425 :

Si je presuppose que la vertu parfaite se connoit à combatre et porter patiemment la douleur, à soustenir les efforts de la goute sans s’esbranler de son assiette ; si je luy donne pour son object necessaire l’aspreté et la difficulté : que deviendra la vertu qui sera montée à tel point que de non seulement mespriser la douleur, mais de s’en esjoüyr et de se faire chatouiller aux pointes d’une forte colique, comme est celle que les Epicuriens ont establie et de laquelle plusieurs d’entre eux nous ont laissé par leurs actions des preuves trescertaines ? Comme ont bien d' autres, que je trouve avoir surpassé par effect les regles mesmes de leur discipline. Tesmoing le jeune Caton. Quand je le voy mourir et se deschirer les entrailles, je ne me puis contenter de croire simplement qu’il eust lors son ame exempte totalement de trouble et d’effroy, je ne puis croire qu’il se maintint seulement en cette démarche que les regles de la secte Stoique luy ordonnoient, rassise, sans émotion et impassible ; il y avoit, ce me semble, en la vertu de cet homme trop de gaillardise et de verdeur pour s’en arrester là. Je croy sans doubte qu’il sentit du plaisir et de la volupté en une si noble action, et qu’il s’y agrea plus qu’en autre de celles de sa vie :

Sic abiit e vita ut causam moriendi nactum se esse gauderet

Je le croy si avant, que j’entre en doubte s’il eust voulu que l’occasion d’un si bel exploit luy fust ostée. Et, si la bonté qui luy faisoit embrasser les commoditez publiques plus que les siennes, ne me tenoit en bride, je tomberois aisément en cette opinion, qu’il sçavoit bon gré à la fortune d’avoir mis sa vertu à une si belle espreuve, et d’avoir favorisé ce brigand à fouler aux pieds l’ancienne liberté de sa patrie. Il me semble lire en cette action je ne sçay quelle esjouissance de son ame, et une émotion de plaisir extraordinaire et d’une volupté virile, lors qu’elle consideroit la noblesse et hauteur de son entreprise :

Deliberata morte ferocior,

non pas esguisée par quelque esperance de gloire, comme les jugemens populaires et effeminez d’aucuns hommes ont jugé, car cette consideration est trop basse pour toucher un coeur si genereux, si hautain et si roide ; mais pour la beauté de la chose mesme en soy : laquelle il voyoit bien plus à clair et en sa perfection, lui qui en manioit les ressorts, que nous ne pouvons faire. La philosophie m’a faict plaisir de juger qu’une si belle action eust esté indecemment logée en toute autre vie qu’en celle de Caton, et qu’à la sienne seule il appartenoit de finir ainsi.

II, 12, Apologie de Raymond Sebon, éd. Villey p. 592-593 :

Car que les sens soyent maintesfois maistres du discours, et le contraignent de recevoir des impressions qu’il sçait et juge estre fauces, il se void à tous coups. Je laisse à part celuy de l’atouchement, qui a ses operations plus voisines, plus vives et substantielles, qui renverse tant de fois, par l’effet de la douleur qu’il apporte au corps, toutes ces belles resolutions Stoïques, et contraint de crier au ventre celuy qui a estably en son ame ce dogme avec toute resolution, que la colique, comme toute autre maladie et douleur, est chose indifferente, n’ayant la force de rien rabatre du souverain bonheur et felicité en laquelle le sage est logé par sa vertu.

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par NLM76 Sam 21 Jan - 22:36
C'est bien Montaigne. Il faudrait que je le lise pour de vrai. Jusque-là, je me suis contenté d'en lire et relire les cinquante premières pages.

Je t'en donnerai, moi, du «joli»:

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par e-Wanderer Dim 22 Jan - 11:12
Mais "joli" n'était pas moqueur, je suis sincèrement très admiratif devant l'énergie que tu déploies (édition des textes latins avec les quantités vocaliques, méthode de latin, commentaires littéraires, maintenant Dante : peu de professeurs se donnent autant de mal !). J'aime beaucoup "Et la pensée dans l'ombre se fracture", c'est vraiment une très belle trouvaille, parfaitement musicale et construite autour d'une métaphore particulièrement juste. Bravo !

Je trouve qu'on a trop tendance à traduire la poésie en prose, et c'est bien dommage : quand j'étais étudiant, j'appréciais en particulier le séminaire de néo-latin de Pierre Laurens, qui faisait l'effort de proposer des traductions versifiées (c'est pour moi l'idéal de ce que devrait être un cours : un peu une causerie mondaine au milieu de la petite bibliothèque de latin de la Sorbonne, un lieu d'échange et de partage de beaux textes, un savoir dispensé sans lourdeur et en mettant toujours le plaisir du texte au premier plan. Et tant pis si ce n'était pas toujours très académique). Dante, heureusement, est mieux servi, mais la traduction de Claude Longeon chez Garnier n'est pas très belle (elle a surtout le mérite d'être précise), et celle de Jacqueline Risset qui a été reprise pour l'édition Ossola de la Pléiade renonce à l'isométrie : en fait, on a un "vers" français pour un vers italien, mais peu importe le nombre de syllabes, c'est plus une allure de traduction versifiée qu'autre chose – mais c'est déjà très appréciable.

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par NLM76 Dim 22 Jan - 12:19
T'inquiète pas; je souriais : j'aime bien l'adjectif "joli".
Moi aussi, c'est mon préféré "Et la pensée dans l'ombre se fracture". Et pourtant c'est sans doute l'un des plus éloignés du sens littéral du texte original. Mais ici il me semble que le décasyllabe rimé écrit lui aussi avec le traducteur, avec l'auteur du texte original, avec la langue française. En quelque sorte, c'est la rime qui a trouvé ce vers ­— avec aussi un peu de Victor Hugo, qui aime à placer "dans l'ombre" après les quatre premières syllabes du vers : "Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit", etc.
On aurait aussi aimer placer une "sylve sauvage" pour la selva selvaggia, dont il semble qu'en italien, l'adjectif est maniéré.

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par NLM76 Lun 13 Fév - 14:57
Une seconde explication, pas rédigée celle-ci, sur "Irène". N'hésitez pas à critiquer.
  • https://www.lettresclassiques.fr/2023/02/13/irene/


P.S. : @e-wanderer. Ne penses-tu pas qu'on est en droit d'interpréter un texte comme "Le stoïcisme est un jeu d'esprit..." en faisant abstraction de ce que tu évoques : il est lisible comme tel par un lecteur moderne, et ce d'autant que l'opposition entre philosophie païenne et christianisme affleure tout de même, même si on n'a pas lu Calvin ? Il y a ici à lire à propos du stoïcisme en général, et de la lecture un peu injuste qu'en fait La Bruyère. Et ce d'autant que mes élèves, très souvent musulmans, sentent bien à la lecture de ce texte et de mon explication qu'il y a quelque chose dans le stoïcisme qui d'une certaine façon pourrait aller contre leurs doctrines religieuses. Et que ce n'est pas si simple !

P.P.S : J'ai trouvé sur le web deux explications intéressantes, une à mon goût très moyenne, et deux autres tout à fait calamiteuses. Où rangerez-vous la mienne ? Wink J'ai peur.

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par Iphigénie Lun 13 Fév - 15:39
Pour ma part je la range dans la série "réjouissante": de nature à bien rendre compte du texte, de son cadre, de sa visée cheers
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par NLM76 Lun 13 Fév - 21:51
Suite. Une traduction en français facile des remarques sur la vie et la mort. N'hésitez pas à critiquer, surtout si vous voyez que le français n'est encore pas assez facile pour nos élèves.
  • https://www.lettresclassiques.fr/2023/02/13/remarques-sur-la-vie-et-la-mort/

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par e-Wanderer Lun 13 Fév - 21:52
Bonsoir Nicolas,
Encore un bravo et un grand merci pour ton travail toujours très stimulant !

Pour rajouter mon grain de sel : tu pourrais peut-être proposer une note de langue sur "d'abord" (deuxième phrase), qui est très souvent un faux ami en langue classique : non pas "en premier lieu", mais "dès l'abord". Car dès l'abord, elle est déjà au paroxysme de sa langueur, cette pauvre Irène, avec sa rythmique quasi-versifiée "D'abord elle se plaint (6) / qu'elle est lasse (3) / et recrue de fatigue (6) : mise en relief géniale, par l'effet de symétrie, de ces trois syllabes qui déstructurent tout.

C'est un beau texte, pas si évident que ça à attraper, et effectivement c'est important de regarder la variété des verbes de parole et la façon dont ils s'enchaînent. De même, comme tu le signales, la progression entre le discours indirect, le discours narrativisé et l'émergence de la parole vive en DD, et le duel d'interrogations rhétoriques à la fin. Ça accompagne bien une progression du plus anodin (en apparence) vers le plus philosophique, et aussi (toujours en apparence) une progression irrégulière vers la parole la plus provocatrice de la part de l'oracle.

Mais en deuxième lecture, je me demande au fond si cette linéarité est si unidirectionnelle qu'il y paraît. Tu parles à bon droit de cruauté, mais on peut se demander quelle est la parole la plus cruelle (en esquissant peut-être une lecture à rebours, ou même circulaire, comme semble nous y inviter la deuxième mention de la longueur du voyage : retour au point de départ !). Le ton polémique de la fin se fait cassant, mais la leçon philosophique livrée sans ambages est-elle forcément plus cruelle que les railleries du début du texte ? Plus je relis ces lignes, plus j'ai l'impression que le début est d'une vacherie terrible car les répliques reposent sur une relation cause-conséquence systématiquement inversée. En somme, Esculape se fiche carrément d'Irène, avec un art consommé de la litote (le "quelquefois" de la l. 7 est absolument redoutable d'ironie). Bref, l'impression d'entendre à chaque fois : "pauvre andouille !", avec cette mécanique inversée qui est d'un effet comique bien connu.
Spoiler:
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par NLM76 Lun 13 Fév - 21:55
Merci pour ces remarques, parfaitement justes. Oui, pour "d'abord", j'y ai pensé, puis j'ai oublié... Je corrige. Pour la vacherie depuis le début, tu as parfaitement raison.
En revanche, j'ai beau relire, je ne vois pas de discours narrativisé.

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par e-Wanderer Lun 13 Fév - 22:11
Oui, on peut hésiter : "l'oracle lui ordonne de dîner peu", qui peut être aussi bien une retranscription exacte des paroles (= "dînez peu !") qu'un résumé d'un propos potentiellement plus long (Genette dit bien d'ailleurs que la frontière est par nature poreuse et que tout DI pourrait tout aussi bien être du DNarr : souvent, on prend la subordination comme indice discriminant, mais si on n'a pas entendu le propos en vrai, on ne peut jamais savoir si un supposé DI en est la traduction fidèle ou un résumé – fût-ce en présence d'une subordonnée conjonctive).

Je me demande s'il y a des choses à tirer de l'onomastique (Irène : la paix), mais je ne vois pas bien où ça mène.

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par Iphigénie Lun 13 Fév - 23:34
Mais est-ce bien nécessaire de le supposer? Irène consulte l’oracle : on peut raisonnablement penser que ses réponses sont laconiques! Et c’est bien ce qui est désarmant pour Irène .
( et cruellement terre à terre pour un dieu: il n’a pas de miracle à offrir, seulement des remèdes de grand-mère ( enfin de bon sens)…
Pour la composition du texte il me semble que le texte « monte » vers la révélation du Dieu ( car il fait bien une révélation): «  c’est que vous vieillissez ».
Après l’expression des symptômes on a une série d’interrogatives affolées , à la recherche du «  remède » qui ne peut être que la mort.
De ce fait la saynète met aussi, me semble-t-il, en hiérarchie deux pouvoirs, celui d’Irène grande dame qui entend être servie, et  qui se heurte ici au pouvoir du dieu qui lui refuse tout secours d’exception, en inscrivant son existence  dans une commune destinée humaine. ( hiérarchie aussi entre la science et la Vérité du dieu, sans doute)
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