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Educpros interroge Nathalie Mons sur la souffrance des enseignants. Empty Educpros interroge Nathalie Mons sur la souffrance des enseignants.

par John Ven 10 Fév 2012 - 9:21
« Et si une partie de la souffrance au travail des enseignants venait des injonctions politiques contradictoires » s’interroge Nathalie Mons

Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, analyse les injonctions contradictoires auxquelles les politiques soumettent les enseignants. Et si le malaise venait de là, et non de la classe…

« Louise Touret : vous vous intéressez dans votre chronique cette semaine aux enseignants….

Oui. Dure vie que celle que mènent les enseignants ! On parle souvent des conditions de travail difficiles qu’ils affrontent au quotidien, des élèves qui seraient irrespectueux et peu intéressés par la chose scolaire, des établissements qui seraient devenus dangereux. Mais si une partie de leur souffrance au travail ne se jouait pas dans leur classe et était le fait des injonctions politiques contradictoires dont ils sont la cible régulièrement…

Prenons, d’abord, l’évaluation. D’un côté, au primaire, on nous explique qu’il faut développer des tests nationaux, administrés par le ministère, de façon à prendre du recul par rapport aux évaluations que pratiquent les enseignants dans leur classe, car un acteur externe à l’établissement s’avère avoir un regard plus objectif sur les acquis réels des élèves. Mais si l’on s’intéresse à l’évaluation des enseignants, c’est le contraire qui est préconisé : la nouvelle réforme affaiblit le poids d’un jugement porté par un acteur externe à l’établissement - à savoir l’inspecteur - et reconnait l’intérêt d’un jugement interne, celui du chef d’établissement car il serait plus proche de l’enseignant.

Poursuivons par une ligne forte de la politique actuelle : l’individualisation des parcours des élèves et le traitement de la difficulté scolaire sont valorisés à travers des mesures comme l’aide individualisée au primaire et l’accompagnement personnalisé au lycée. Mais à l’inverse, contrainte budgétaire oblige, on supprime les RASED, ces brigades d’enseignants spécialisés dans le suivi personnalisé des élèves en échec scolaire au primaire.

Louise Touret : même contradiction en ce qui concerne les méthodes pédagogiques ?

Oui, d’un côté une rhétorique puissante souligne la nécessaire liberté pédagogique des enseignants car, nous dit-on, c’est eux qui connaissent le mieux leur métier. Mais, de l’autre côté, ces mêmes politiques nous expliquent également qu’il y aurait des méthodes pédagogiques miracle dont la diffusion auprès des enseignants doit être étendue. Ce serait, par exemple, en lecture, au primaire, précise le programme UMP pour 2012, les méthodes dites « directes et structurées »[1] . Mais comment les enseignants pourraient-ils se les approprier ? Autre contradiction : grâce à, je cite encore le programme UMP 2012, « la formation initiale des nouveaux professeurs des écoles ». Or, comme le souligne le récent rapport de la Cour des comptes, la réforme de la Mastérisation a largement démantelé cette formation.

Louise Touret : même sur les TICE le discours n’est pas clair ?

Oui, tous les rapports consacrés aux nouvelles technologies soulignent combien il est nécessaire que les enseignants introduisent les TICE dans leur pratiques pédagogiques et s’ouvrent à la richesse de la bibliothèque mondiale que constitue Internet. Mais le récent rapport parlementaire sur les manuels scolaires souligne, lui, qu’il serait préférable de limiter les ressources numériques que les enseignants peuvent introduire dans les manuels numériques car ils risqueraient de dénaturer le contenu des programmes scolaires[2]. Autrement dit, il faudrait introduire une forme de contrôle parental appliqué au monde enseignant.

On pourrait ainsi multiplier les exemples d’injonctions contradictoires qui sont adressées aux enseignants. On s’interroge aujourd’hui sur les caractéristiques du « bon prof ». La recherche sur « l’effet- maître » montre que les élèves progressent davantage, entre autres, quand les consignes pédagogiques de l’enseignant sont explicites et cohérentes. On peut faire l’hypothèse qu’un personnel politique efficace - qu’il appartienne au monde parlementaire ou à l’exécutif - ferait lui aussi progresser l’école en pensant quelques lignes directrice claires et explicites qui permettraient aux enseignants de lire une cohérence dans les réformes actuelles ».

[1] Voir le programme UMP 2012, Document « Comment vaincre l’illettrisme », 28 avril 2011

[2] Voir le rapport, p. 18 : « Or, le recours accru aux manuels numériques pourrait être de nature à multiplier les polémiques liées aux sujets nouveaux ou sensibles. En effet, dans sa version la plus avancée, cet outil peut être enrichi et personnalisable « à volonté », l’enseignant pouvant, à partir de données recueillies sur internet, modifier les chapitres existants ou en composer de nouveaux. De tels usages pourraient conduire à « éditer » des manuels d’histoire, pour ne citer que cet exemple, à coloration particulière, ce qui ne manquerait pas de provoquer des débats. »

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