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Robin
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Nature et Culture Empty Nature et Culture

par Robin Jeu 09 Aoû 2012, 15:15
1) Définitions

On entend par nature, au sens large, le milieu où l'homme vit, considéré indépendamment des transformations qu'il y opère. La nature, c'est l'ensemble des règnes minéral, végétal et animal, considéré comme un tout et soumis à des lois. On entend aussi par "nature" tout ce qui est inné ou spontané, tout ce avec quoi on naît (nature vient du latin nascor, qui signifie "naître").

Culture" vient de colere qui signifie cultiver la terre. On peut dire qu'en cultivant la terre l'homme se cultive lui-même.

La culture est cette partie de son milieu que l'homme crée lui-même et donc l'ensemble des représentations et des comportements acquis par l'homme en tant qu'être social.

Au sens restreint, la culture est l'ensemble des institutions (art, religion, techniques, organisation politique...) d'une société donnée.

La culture, c'est aussi ensemble des acquisitions intellectuelles d'un individu (un "homme cultivé")

2) L'homme entre nature et culture :

L'homme est un être biologique, un animal comme les autres ; c'est aussi un animal doué de culture. De nombreux penseurs modernes contestent la notion de "nature humaine" (Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty).

Des comportements en apparence "naturels" (boire, manger, dormir...) portent le sceau de la culture (on mange avec les baguettes ou avec des couverts, on dort dans un lit ou sur une natte, on boit du vin, de la bière ou du cidre...)

Il n'y a pas de nature humaine ; l'humanité n'existe qu'à l'état de culture, on ne naît pas homme, on le devient.

L'homme acquiert sont humanité à travers l'éducation. Privé d'éducation, laissé à lui-même dans la nature ou élevé par des animaux, comme l'atteste le cas (tragique) des enfants sauvages, le petit animal humain ne deviendra jamais un homme, il n'adoptera jamais la posture verticale, il ne parviendra qu'à émettre des cris et non à parler (cf. Lucien Malson, Les enfants sauvages)

"Le biologique ignore le culturel." (Jean Rostand) : Le fond biologique demeure le même partout et toujours, alors que la culture est variable d'une société à l'autre.

3) Y a-t-il des cultures supérieures ?

Chaque culture a tendance à se juger supérieure aux autres. De là découlent l'ethnocentrisme et le racisme. En s'appuyant sur des théories pseudo-scientifiques, on a tenté de justifier la hiérarchie des cultures (voire des races). En fait, chaque culture correspond à des exigences et à des projets spécifiques. Les cultures humaines sont différentes les unes des autres et complémentaires (Claude Levi-Strauss parle de "l'arc-en-ciel des cultures humaines"). L'avenir de l'humanité est dans le dialogue entre les cultures. On prendra garde, toutefois, de ne pas tomber dans le relativisme culturel au nom duquel on pu parfois tolérer des comportements inadmissibles.

Pour Claude Levi-Strauss, l'idée de barbarie n'est pas un concept fondé en raison, mais une opinion subjective, un préjugé, une affaire de croyance et non le fruit d'une réflexion. Claude Lévi-Strauss donne l'exemple tragi-comique des indigènes qui s'employaient à immerger les cadavres des européens pour vérifier si leur corps était sujet à la putréfaction.

Ils doutaient que les Européens fussent des hommes comme eux, ils se demandaient s'ils n'étaient pas des dieux. Lorsque les Européens envoyèrent des commission d'enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ils se conduisirent exactement de la même manière que les indigènes, c'est-à-dire comme ceux qu'ils considéraient comme des "barbares". Si le barbare est celui qui croit à la barbarie, la barbarie est le fait de ceux qui jugent et non ce ceux qui sont l'objet de ce jugement.

Raymond Aron dans A propos de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss. Le paradoxe du Même et de l'Autre, critique le "relativisme culturel" de Lévi-Strauss. Pour Raymond Aron, toutes les cultures ne se valent pas. Raymond Aron affirme qu'il y a des valeurs universelles, ainsi que des hiérarchies. Par exemple une société libre est "supérieure" à une société totalitaire et un concerto de Mozart au dernier tube de Sexion d'Assaut.

Le paradoxe dont parle Raymond Aron à propos de Lévi-Strauss réside dans le fait que l'affirmation de l'universalité de la relativité des cultures suppose l'universalité de la culture au sein de laquelle on pose cette affirmation. Il s'agit donc, pour lui, d'une contradiction, voire d'un sophisme (raisonnement spécieux).

"Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie." : si l'anthropologue admet la supériorité de ceux qui affirment comme lui-même l'humanité de toutes les cultures sur ceux qui la refusent, alors il se pose comme le civilisé par excellence, les autres étant rejetés dans la sauvagerie ou la barbarie ou disons simplement dans l'idiotisme culturel (Jean-François Mattéi, La barbarie intérieure, Essai sur l'immonde moderne, Presses universitaires de France, p. 241)

Si le barbare est celui qui croit à la barbarie, il est impossible de poser un jugement éthique, toutes les conduites se valent, toutes les cultures, dans toutes leurs manifestations ont la même dignité et la même valeur - on doit admettre par exemple le cannibalisme, les sacrifices humains, l'esclavage, l'excision, le voile intégral, et tout ce que, au sein de notre propre culture, nous considérons comme "barbare" ou 'inhumain" ou dont on nous fait remarquer l'inhumanité.

L'affirmation de Lévi-Strauss ne saurait donc s'appliquer sans discernement, sauf à ruiner toute possibilité de fonder une éthique et un droit universel. "Le barbare est celui qui croit à la barbarie." ne pourrait-on dire, a contrario, que l'homme est celui qui croit à l'humanité ?

Citations extraites de l'ouvrage de Lucien Malson, Les enfants sauvages :

"C'est une idée désormais conquise que l'homme n'a point de nature, mais qu'il a - ou plutôt qu'il est - une histoire. Ce que l'existentialisme affirmait, et qui fit scandale, on ne sait trop pourquoi, naguère, apparaît comme une vérité qu'on peut voir annoncée en tous les grands courants de pensée contemporains..." (p.7)

"On a dépensé des trésors d'imagination pour persuader, jadis, de l'action du donné biologique dans les faits éthiques. Que reste-t-il aujourd'hui de tout cela ? Absolument rien. A l'inverse, on avait affirmé l'existence d'une "nature" unissant, en dépit des différences, tous les hommes de la terre. Que reste-t-il, là encore, de cette hasardeuse notion ? Peut-être pas grand chose." (p. 31)

"L'homme s'évade de la prison du "maintenant" et, s'ouvrant à l'idée d'un temps sans limites, a pu former le concept de Dieu, fabriquer des outils destinés à en fabriquer d'autres, et disposer du langage, qui implique la conscience du possible et l'installation dans le virtuel." (p. 36)

"Même isolées dès la naissance, les bêtes - quelque grave dommage qu'elles subissent en la circonstance - conservent des instincts très nettement déterminés. D'autres instincts en elles se réveillent du reste si, après domestication, le hasard les rejette à l'existence sauvage. Rien de tel, dit Lévi-Strauss, ne peut se produire pour l'homme car dans ce cas il n'existe pas de comportement naturel de l'espèce.

"L'homme sans la société des hommes ne peut être qu'un monstre parce qu'il n'est pas d'état préculturel qui puisse apparaître alors par régression. Les enfants "sauvages", ceux qui ont été privés trop tôt par hasard ou par dessein de l'atmosphère éducative humaine, ceux que l'on a abandonnés et qui ont survécu à l'écart par leurs propres moyens, sont des phénomènes de simple difformité.

On se tromperait, dit encore Lévi-Strauss, si l'on voulait voir en eux "les témoins fidèles d'un état antérieur", soit voir en eux la nature avant toute culture. Les enfants sauvages, ceux que Ruyer appelle plaisamment les "enfants Tarzan" - qui n'ont d'ailleurs, nous le montrerons, aucune parenté psychologique avec le héros mythique et rousseauiste - nous donneraient la preuve ultime, s'il en était besoin, que l'expression "nature humaine" est absolument vide de sens." (p. 40)

"Paul Sivadon, évoquant "l'histoire de Kamala", rappelait "que l'on ne peut dissocier les problèmes organiques des problèmes psychologiques." Il concluait : "L'homme se distingue de l'animal par le fait qu'il naît prématuré. Sa personnalité s'élabore, après la naissance, dans une série de matrices culturelles qui sont aussi importantes pour son développement que la matrice maternelle. Ce sont les relations émotionnelles qu'il entretient au cours des deux premières années avec sa mère qui conditionnent toute sa vie affective. C'est l'apprentissage du langage en temps voulu qui conditionne toute sa vie intellectuelle.

Ceci pour dire qu'un enfant, normal à la naissance, peut devenir pratiquement idiot si les conditions de son éducation sont défavorables. Cette notion est essentielle: la personnalité se développe dans la mesure où le milieu, par sa valeur éducative, offre à l'enfant les apports culturels convenables au moment opportun." (p. 89)
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