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NLM76
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Histoire du tragique et de la tragédie Empty Histoire du tragique et de la tragédie

par NLM76 Mer 6 Mar 2024 - 8:22
Je me rends compte que je comprends fort mal mes collègues encore une fois parce que je suis un vieux ringard. Dans La Grèce Classique, Bouyssou parle d'une "définition contemporaine" du tragique, évoquant l'homme dans une situation inextricable, piégé par le destin. En face, la définition aristotélicienne, plus ou moins reprise par Furetière et Littré : des personnages "illustres", la terreur, la pitié, une fin funeste.
Quand, comment, cette idée que la fatalité, "l'ironie tragique" constituaient l'essentiel de la tragédie, du "tragique" s'est-elle constituée ?

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Esclarmonde
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par Esclarmonde Mer 6 Mar 2024 - 9:51
Pour ce qui est de l'ironie tragique, il me semble que le chapitre 11 de la Poétique d'Aristote donne de bons exemples de péripéties ou de reconnaissances où l'ironie tragique peut jouer.
De plus, la Poétique insiste tellement sur le fait qu'il est recommandé de puiser dans les grands mythes (donc avec familles maudites, interventions des dieux, etc) que je me demande si la fatalité n'est pas incluse dans le paquet cadeau.
Mais je ne suis pas du tout expert.
valle
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par valle Mer 6 Mar 2024 - 10:13
C'est une bonne question. Je ne sais pas s'il y a des théorisations sur ce glissement de la notion de tragédie avant Maeterlinck et son "tragique quotidien". Je pense que la décodification doit commencer au XIX, mais déjà avant (je pense à Corneille) il y avait une conscience que ce qui "faisait" la tragédie était la situation sans issue plus que la vertu/noblesse en soi des personnages.


Dernière édition par valle le Mer 6 Mar 2024 - 10:18, édité 1 fois
trompettemarine
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par trompettemarine Mer 6 Mar 2024 - 10:15
Pierre Judet de La Combe a consacré un ouvrage à cette question difficile : Les tragédies grecques sont-elles tragiques ?
Ponocrates
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par Ponocrates Mer 6 Mar 2024 - 11:04
NLM76 a écrit:Je me rends compte que je comprends fort mal mes collègues encore une fois parce que je suis un vieux ringard. Dans La Grèce Classique, Bouyssou parle d'une "définition contemporaine" du tragique, évoquant l'homme dans une situation inextricable, piégé par le destin. En face, la définition aristotélicienne, plus ou moins reprise par Furetière et Littré : des personnages "illustres", la terreur, la pitié, une fin funeste.
Quand, comment, cette idée que la fatalité, "l'ironie tragique" constituaient l'essentiel de la tragédie, du "tragique" s'est-elle constituée ?
Dans la définition d'Aristote il y a aussi l'amartia (la faute, l'erreur tragique) que l'on peut attribuer à l'ubris: Hippolyte se dispense du culte d'Aphrodite et lui préfère Artémis, Thésée refuse de l'écouter parce qu'il croit tout savoir, Oedipe croit pouvoir échapper à son destin en quittant ses parents (adoptifs), etc. Cette erreur, née de l'orgueil de se croire l'égal des dieux, est ce qui enferme le personnage.
Du moment que l'on ne croit plus aux dieux, voire à dieu, cet aspect n'a plus de sens et l'on substitue la fatalité à cette responsabilité particulière ("ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente") qui explique et justifie ce qui arrive au héros tragique. Pour le glissement des personnages illustres à l'humanité moyenne, j'y vois le résultat du drame bourgeois et de la revendication de mettre en scène les malheurs non seulement de la noblesse ou des héros, mais de l'ensemble de l'humanité. Maupassant est un exemple intéressant de cette transformation du tragique en cours au 19e : dans ses nouvelles il arrive souvent que le personnage principal commette une erreur (en apparence bénigne) mais qui a des conséquences catastrophiques à son échelle. Il n'y a pas de transcendance dans ses nouvelles, mais on retrouve l'idée d'erreur (généralement liées aux conventions sociales, la peur du "qu'en dira-t-on", le fait de ne pas respecter la nature de l'Homme peut-être). Si le destin de Madame Loiseau est tragique ce n'est pas tant parce qu'elle a perdu la parure que parce qu'elle n'a pas osé l'avouer à son amie. Mais je vous rejoins sur le fait que c'est vider le "tragique" de son sens, si l'on évacue la responsabilité du personnage: c'est la différence entre l'usage journalistique et l'usage du critique littéraire.

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par NLM76 Jeu 7 Mar 2024 - 12:14
@Esclarmonde. Le chapitre XI de la poétique parle des retournements de situation. Parler à ce sujet d'ironie tragique est peut-être justifié mais de fait, n'est pas du tout dans Aristote : c'est une nouveauté moderne. De même pour l'association entre les grands mythes et la fatalité. C'est une interprétation très moderne, me semble-t-il.
@valle : je vais regarder ce que dit Maeterlinck. Où trouve-t-on cela ? D'autre part, je ne comprends pas ce que tu appelles "décodification". Certes, on peut essayer de se détacher de la condition des personnages pour trouver la grandeur de la tragédie, mais je ne vois pas en quoi Corneille en est un précurseur : il ne choisit pas pour héros des bourgeois et des prostituées. Surtout, il ne renonce aucunement à la grandeur.
@trompettemarine. Que dit Judet La Combe ? A priori, le titre ne me fait pas envie... Pour moi, par définition, les tragédies grecques sont tragiques. Si l'on imagine qu'on peut se poser la question, c'est qu'il existerait une définition préalable de la tragédie et du tragique ; or ce qui définit la tragédie, c'est la tragédie grecque.
@Ponocrates. Je veux bien qu'on substitue aux dieux la Fatalité. Mais il faut que ce soit la Fatalité, avec un grand F. Si c'est juste la faute à pas de chance, ce n'est plus de la tragédie. C'est autre chose. Le destin de Mme Loizeau n'a rien de tragique. Il est surtout ridicule. Bien sûr qu'il est effrayant et terrible. Mais ça ne suffit pas ! C'est bien ce que démontre Bérénice : pour qu'il y ait tragédie, il faut qu'il y ait de la grandeur ; et même la grandeur n'est pas loin de suffire à fonder la tragédie, puisque le funeste n'a pas besoin la mort concrète. Autrement dit, l'essentiel n'est pas dans la "responsabilité" du personnage... ou alors dans la mesure où sa faiblesse, sa faute est tragique parce qu'elle apparaît en un héros pétri de force et de puissance.
En particulier, Maupassant n'a pratiquement rien de tragique (bien sûr qu'il y a quand même quelque chose de tragique, parce que dans tout ce qui est humain, il y a toujours forcément du tragique... mais on tombe là très près du "tout est dans tout"). Le réalisme ne peut être considéré comme tragique que parce qu'il est anti-tragique, que parce qu'il nie à ses personnages toute grandeur. Le "châtiment" des petits, des faibles et des mesquins n'a rien de tragique. Dans la tragédie, il y a de la faiblesse ; mais c'est la faiblesse des forts. C'est pourquoi la tragédie par nature est violente.

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faustine62
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par faustine62 Jeu 7 Mar 2024 - 12:30
A la Sorbonne, un professeur du 17è nous avait vivement conseillé de lire Le Théâtre et l'Existence d'Henri Gouhier, en particulier le chapitre II "Le Tragique", qui est un commentaire d'Aristote.


Dernière édition par faustine62 le Jeu 7 Mar 2024 - 13:21, édité 1 fois
valle
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par valle Jeu 7 Mar 2024 - 13:00
NLM76 a écrit:
@valle : je vais regarder ce que dit Maeterlinck. Où trouve-t-on cela ? D'autre part, je ne comprends pas ce que tu appelles "décodification". Certes, on peut essayer de se détacher de la condition des personnages pour trouver la grandeur de la tragédie, mais je ne vois pas en quoi Corneille en est un précurseur : il ne choisit pas pour héros des bourgeois et des prostituées. Surtout, il ne renonce aucunement à la grandeur.
Voici un lien vers Le tragique quotidien sur le site du théâtre de La Colline.
Les catégories de la théorie de la littérature ou de la théorie des genres sont toujours si embrouillées qu'on devrait passer plus de temps à parler de ce dont on parle qu'à parler tout court, ce qui est quand même gênant, mais pour ce qui est de la "décodification", je parlais précisément du fait que le genre "tragédie" ou, encore plus, le registre du "tragique", ont perdu un certain nombre d'éléments formels qui en constituaient un peu le socle jusqu'au XIX.
Corneille suit les codes (c'est pourquoi je disais, légèrement au pif, que la décodification devait dater du XIX), mais dans son discours sur la tragédie, il me semble mettre l'accent sur le "malheur tragique", plus que sur la qualité des personnages :
Je suis allé chercher:
De nos jours, la catégorie du "tragique" semble plutôt porter sur une dimension éthique ou métaphysique. La "tragicité" des journalistes n'est pas non plus celle de la théorie de la littérature. George Steiner a en effet pu considérer qu'après Hamlet, Phèdre et tout cela, il ne peut plus y avoir de tragédie du fait de l'effet combiné de l'humanisme puis le tournant romantique, mais il semble bien y avoir une dimension "tragique" qui ne s'exprime plus nécessairement avec les codes attiques. C'est précisément la notion de "responsabilité" (ou non) qui est au cœur de la tragédie. Pour Camus, "les forces qui s’affrontent dans la tragédie sont également légitimes, également armées en raison ; dans le mélodrame ou le drame, au contraire, l’une seulement est légitime".
Dans une lecture "contemporaine", ce qui est "tragique" chez Œdipe est qu'il n'est pas réellement coupable, le parricide n'étant pas conscient. Typiquement, Antigone est devant un choix, précisément, cornélien, puisqu'elle n'est en mesure de renoncer ni à la loi de Dieu ni à la loi de la cité, etc. Soixante années après Maeterlinck, la conférence de Camus à Athènes sur la tragédie se plonge aussi sur "l'évidence" que la tragédie attique/aristotélienne est une chose et la tragédie tout court, une autre, qui parle de ces hommes qui sont mus par des forces qui les dépassent, qu'ils ne comprennent pas et qui finissent par les écraser.
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par NLM76 Jeu 7 Mar 2024 - 13:55
J'ai lu Maeterlinck. Pas inintéressant du tout. Même si je vois qu'on peut faire de Maeterlinck une lecture extrêmement sotte, qui aboutit à un théâtre du médiocrement trivial et du minable dépourvu de saveur. Il me semble en particulier que son rejet des passions est une délirante impasse. On voit aussi qu'il y a un double discours qui penche facilement du côté nihiliste : les anciennes tragédies sont belles certes ; mais elles ne nous touchent plus parce qu'au fond elles sont superficielles.
Pour ce qui est de l'histoire de la tragédie en Occident, peut-être faut-il considérer ceci : elle n'a rien de continu. Cette histoire ne se déroule pas. Elle connaît seulement trois moments : le Ve siècle avec Eschyle, Sophocle et Euripide (en négligeant la question des pièces perdues) ; le Ier siècle avec Sénèque ; le XVIIe siècle (en le faisant commencer tôt), avec Shakespeare, Calderon de la Barca et compagnie, Corneille et Racine. Et puis c'est tout.
Après, évidemment, on trouve ici et là du tragique hors de la tragédie ou dans des ébauches de tragédie (dans des Ruy Blas, chez Musset, ou des tentatives à mon avis inabouties comme Mwawad, dans Dostoïevski ou Bernanos, chez Camus qui frappe à la porte du tragique). Mais sans passions, sans violence, sans transcendance, sans transfiguration par la forme (qui me paraît absolument essentielle pour approcher de la catharsis, qui n'est pas une purge, un travail intestinal du haut vers le bas, mais une purification, et donc une élévation, passant par la mise en danse, en chant, en souffle, en rythme...), vous n'apercevrez jamais que l'ombre de l'ébauche du tragique.

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DesolationRow
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par DesolationRow Jeu 7 Mar 2024 - 14:23
Un livre passionnant sur le sujet, qui défend l'idée que les tragédies grecques n'ont rien de tragique au sens moderne du terme, c'est le Tombeau d'Oedipe de William Marx. Je pense que son idée n'est pas réellement défendable, mais son livre est l'un des plus intelligents que j'aie lus sur le sujet.
faustine62
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par faustine62 Jeu 7 Mar 2024 - 14:40
Et où situer Claudel, qui n'a pas été mentionné ? Sa définition de la tragédie antique : "ce long cri devant une tombe mal fermée. La tombe : objet fondamental, centre, cause, ombilic du drame grec. Dans notre théâtre moderne, la tombe est remplacée par le lit, et le cri devient une suite de palabres et de quiproquos devant le lit mal fermé de l'épouse. Deux objets, deux espaces : l'espace ouvert, naturel, cosmique du théâtre de plein air ; l'espace confiné, secret, domiciliaire du théâtre bourgeois ».
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par trompettemarine Jeu 7 Mar 2024 - 14:52
NLM76 a écrit:
@trompettemarine. Que dit Judet La Combe ? A priori, le titre ne me fait pas envie... Pour moi, par définition, les tragédies grecques sont tragiques. Si l'on imagine qu'on peut se poser la question, c'est qu'il existerait une définition préalable de la tragédie et du tragique ; or ce qui définit la tragédie, c'est la tragédie grecque.
Cela remonte loin. Je vais rechercher le livre.
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par Sei Jeu 7 Mar 2024 - 15:00
DesolationRow a écrit:Un livre passionnant sur le sujet, qui défend l'idée que les tragédies grecques n'ont rien de tragique au sens moderne du terme, c'est le Tombeau d'Oedipe de William Marx. Je pense que son idée n'est pas réellement défendable, mais son livre est l'un des plus intelligents que j'aie lus sur le sujet.

J'ai aussi été séduite par ce livre. Pourquoi dis-tu que son idée (je pense au lien entre tragédie et force performative...) n'est pas défendable ? (vraie question)

Dans la lignée de Marx, il y a aussi les travaux de Nicole Loraux.

[Un autre essai que tu pourrais peut-être aimer (ou détester, d'ailleurs, je serais curieuse de savoir) : Cavallin, Valet Noir, Vers une écologie du récit
(pas de liens directs avec la tragédie grecque, mais de nombreux liens indirects, via une interrogation sur le nouveau sentiment tragique, découlant du désastre écologique, et des échos avec la pensée de W. Marx)]

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par trompettemarine Jeu 7 Mar 2024 - 15:14
trompettemarine a écrit:
NLM76 a écrit:
@trompettemarine. Que dit Judet La Combe ? A priori, le titre ne me fait pas envie... Pour moi, par définition, les tragédies grecques sont tragiques. Si l'on imagine qu'on peut se poser la question, c'est qu'il existerait une définition préalable de la tragédie et du tragique ; or ce qui définit la tragédie, c'est la tragédie grecque.
Cela remonte loin. Je vais rechercher le livre.
Je m'autocite et j'éditerai par la suite pour ajouter éventuellment d'autres extraits.
(J'en profite que je pense aussi à Nietzsche et La naissance de la tragédie grecque (mais je ne l'ai pas lue)

Voici déjà la quatrième de couverture :
Et si les tragédies des Grecs, si souvent jouées, ne correspondaient pas tout à fait aux idées que nous nous en faisons? Pierre Judet de La Combe propose de revoir de fond en comble nos conceptions du tragique, forgées tardivement par le Romantisme, et de les confronter aux tragédies d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, " ces machines théâtrales extrêmement complexes et raffinées, alliant des matériaux physiques et symboliques hétérogènes, porteurs de cultures historiques et de formes d'origines différentes, masques, vêtements, voix, poésies, dialectes, musiques, danses, cérémonies rituelles... "

En spoiler, pour les droits d'auteur, voici un extrait du début de l'introduction que je recopie (laquelle fait plus de 70 pages) :
Spoiler:

Un résumé (un peu confus) de l'ouvrage, dans le bulletin de philosophie ancienne (autant lire le livre) :
Spoiler:


Dernière édition par trompettemarine le Jeu 7 Mar 2024 - 16:19, édité 3 fois
NLM76
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par NLM76 Jeu 7 Mar 2024 - 15:45
trompettemarine a écrit:
Et si les tragédies des Grecs, si souvent jouées, ne correspondaient pas tout à fait aux idées que nous nous en faisons? Pierre Judet de La Combe propose de revoir de fond en comble nos conceptions du tragique, forgées tardivement par le Romantisme, et de les confronter aux tragédies d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, " ces machines théâtrales extrêmement complexes et raffinées, alliant des matériaux physiques et symboliques hétérogènes, porteurs de cultures historiques et de formes d'origines différentes, masques, vêtements, voix, poésies, dialectes, musiques, danses, cérémonies rituelles... "
Donc, il se fonde sur "nos conceptions du tragique", qu'il dit forgées par le romantisme... autrement dit sur l'haleine d'une ombre. Même chose pour le résumé que tu fais, @DesolationRow, du bouquin de Marx.
[Pardonnez-moi, j'écris un peu n'importe quoi sans réfléchir. Mais il faut me comprendre ; je suis censément en train de corriger des copies.]

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par valle Jeu 7 Mar 2024 - 16:35
NLM76 a écrit:Mais sans passions, sans violence, sans transcendance, sans transfiguration par la forme ([...]), vous n'apercevrez jamais que l'ombre de l'ébauche du tragique.
Précisément. Ce qui semble avoir fait l'objet d'une crise à partir du XIX est la manière de traiter ces éléments, puisque la logique du grand homme qui tombe semblait peu exploitable. Fin de partie de Beckett est pour moi un bon exemple. Il ne s'agit pas d'une tragédie aristotélicienne, mais ce n'est pas un drame non plus.
Mais si on part d'une description purement formelle de la tragédie à partir de la Poétique, il est un effet un peu inéluctable de conclure qu'il n'y a que deux types de tragédies : celles qui ont permis à Aristote de formuler ses préceptes et celles qui s'efforcent de suivre ces préceptes.
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par NLM76 Jeu 7 Mar 2024 - 17:44
Je pense que Corneille et Racine, fondamentalement, n'ont pas essayé de suivre Aristote. En revanche, ils avaient lu Sophocle et Euripide, voire Sénèque, et se sont efforcé de les imiter. (En réalité, Corneille avait sans doute davantage lu les Espagnols).
Quant à Fin de partie, je trouve qu'il y a un rapport indéniable avec le tragique : c'est qu'il s'agit, précisément, de non-tragique : "Notre condition humaine est terrible : nous n'avons même plus droit au tragique !"

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par DesolationRow Jeu 7 Mar 2024 - 19:05
Sei a écrit:
DesolationRow a écrit:Un livre passionnant sur le sujet, qui défend l'idée que les tragédies grecques n'ont rien de tragique au sens moderne du terme, c'est le Tombeau d'Oedipe de William Marx. Je pense que son idée n'est pas réellement défendable, mais son livre est l'un des plus intelligents que j'aie lus sur le sujet.

J'ai aussi été séduite par ce livre. Pourquoi dis-tu que son idée (je pense au lien entre tragédie et force performative...) n'est pas défendable ? (vraie question)

Dans la lignée de Marx, il y a aussi les travaux de Nicole Loraux.

[Un autre essai que tu pourrais peut-être aimer (ou détester, d'ailleurs, je serais curieuse de savoir) : Cavallin, Valet Noir, Vers une écologie du récit
(pas de liens directs avec la tragédie grecque, mais de nombreux liens indirects, via une interrogation sur le nouveau sentiment tragique, découlant du désastre écologique, et des échos avec la pensée de W. Marx)]

Ah, je vais essayer, merci du conseil ! Dès que je serai sorti de l'abominable période actuelle, ça me fera une découverte Smile

J'ai beaucoup aimé le livre de Marx (c'est son meilleur, je trouve), mais je l'ai trouvé trop radical. Le lien entre tragédie et force performative, l'importance du héros, du lieu, tout cela me convainc sans peine ; en revanche, l'exclusion radicale de tout ce qui se rattache à ce que nous, aujourd'hui, appelons tragique, me paraît difficile à défendre étant donnés les textes.
Ponocrates
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par Ponocrates Jeu 7 Mar 2024 - 22:24
NLM76 a écrit:
@Ponocrates.  Le destin de Mme Loizeau n'a rien de tragique. Il est surtout ridicule. Bien sûr qu'il est effrayant et terrible. Mais ça ne suffit pas ! [...] Le réalisme ne peut être considéré comme tragique que parce qu'il est anti-tragique, que parce qu'il nie à ses personnages toute grandeur. Le "châtiment" des petits, des faibles et des mesquins n'a rien de tragique. Dans la tragédie, il y a de la faiblesse ; mais c'est la faiblesse des forts. C'est pourquoi la tragédie par nature est violente.
Maupassant voulait intituler l'un de ses recueil "Grandeur et misère des petites gens", c'étaitt un lecteur de Schopenhauer affirmant que la vie vue dans son détail est une comédie mais une tragédie vue dans son ensemble, Maupassant  voulait montrer la souffrance née de l'antagonisme entre les instincts naturels et les lois et la condamnation d'une société méprisant ces mêmes instincts: il n'écrit pas "la Parure" pour raconter un destin "ridicule". Le ridicule fait rire ou met mal à l'aise. Je ne connais personne qui rit en terminant la nouvelle. La réaction la plus commune est le choc,  comme si le souffle était coupé. Le silence suit la révélation. Il n'y pas de "happy end", pas de conclusion, le même silence qui clôt la joute verbale du "Le loup et l'agneau" "sans autre forme de procès".  
Madame Loizeau se veut forte, prend " son parti, d'ailleurs, tout d'un coup, héroïquement" et l'ironie tragique est que c'est précisément quand elle s'efforce d'agir héroïquement qu'elle se condamne. Si l'on veut vraiment trouver une différence entre le tragique antique et ce tragique moderne, ce serait que lorsque le spectateur d'Athènes s'assoit, il sait déjà ce que va découvrir Oedipe, il observe Hippolyte et Phèdre avançant sur une route toute tracée, alors que la nouvelle de Maupassant fait s'associer lecteur et héros dans une même découverte que ce la vie du protagoniste n'était pas ce qu'ils ont cru, qu'ils se sont trompés. Et ce n'est qu'à la relecture enclenchée par la pointe que l'ironie tragique peut se déployer. Mais je n'espère pas vous convaincre NLM76, nous ne lisons pas la même chose dans la tragédie antique, ou la définition qu'en donne Aristote: la terreur, la pitié, la catharsys, sont pour moi inséparables de l'amartia et de l'ubris.

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par NLM76 Ven 8 Mar 2024 - 10:24
@trompettemarine. J'ai enfin lu tes spoilers. Très intéressant. Je ne comprends pas tout ; mais je vois ce que je ne comprends pas. En fait, la notion moderne de "tragique" naîtrait avec les idéalistes allemands post-kantiens (Schelling, Hölderlin, Schiller, Hegel), auxquels je ne connais absolument rien, de même que je ne comprends pas grand-chose à Kant.
@Ponocrates. Il faudra que je relise "La parure". Mais quand je relis la nouvelle en ma mémoire, il me vient une espèce de rire. En revanche, je ne vois pas de désaccord indépassable sur la question de l'hamartia et de l'hybris. La question est de savoir quelle place elles ont dans ce qui fait qu'une tragédie est une tragédie. Notre désaccord porte sur le fait qu'il y a ou non un sixième "concept" incontournable dans la tragédie, et indissociablement lié aux cinq autres. Outre terreur, pitié, catharsis, hamartia, hybris ; il y a quelque chose comme la grandeur.

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par faustine62 Ven 8 Mar 2024 - 11:08
J'ai lu je ne sais plus où que la notion de grandeur se trouvait chez Aristote (peut-être dans un bouquin de Forestier), alors que je croyais naïvement que ça venait de Corneille (valeurs aristocratiques). Dans quel passage de La Poétique peut-on retrouver cette notion ?


Dernière édition par faustine62 le Ven 8 Mar 2024 - 13:11, édité 1 fois
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Histoire du tragique et de la tragédie Empty Re: Histoire du tragique et de la tragédie

par NLM76 Ven 8 Mar 2024 - 12:08
Je suis allé regarder ce que disait wp en allemand sur le Tragik (traduit par DeepL). Intéressant.
Deutsche WP a écrit:D'une part, un événement tragique doit être une souffrance, car sinon il ne pourrait pas lui-même susciter de la souffrance ; mais il ne doit pas être la juste punition d'un crime réel, car nous le regretterions, mais ne le plaindrions pas. D'autre part, elle doit être terrible, car sinon nous ne la craindrions pas, et elle doit être infligée de manière arbitraire. Seule la souffrance imméritée est vraiment tragique, un "coup du sort de la vie contre l'homme".

Entrent en ligne de compte un acte héroïque, le dieu vengeur ou le destin capricieux (comme dans le cas du vol de feu de Prométhée, qui est pour cela forgé sur le rocher par l'envieux Zeus). Une deuxième possibilité est que le présumé coupable ne le soit que partiellement, que les "puissances célestes" qui "ont rendu le pauvre coupable" soient les véritables coupables (comme Œdipe, que le destin a désigné dans le ventre de sa mère comme futur parricide et époux de sa mère ; Wallenstein, dont "les astres malheureux" portent la "plus grande moitié" de la faute).

Le tragique, tout comme le comique, repose donc sur un contraste entre ce qui arrive (ce qui est injuste dans le tragique) et ce qui devrait arriver. La différence essentielle entre le tragique et le comique est que ce qui arrive est une souffrance dans le tragique, alors que ce n'est qu'une folie dans le comique.

Or, comme - selon la théorie d'Aristote - la tragédie naît essentiellement de la compréhension de ce contraste, il doit en résulter une impression mitigée. La souffrance imméritée et la chute du personnage tragique, la victoire du destin (ou des dieux "envieux"), est un triomphe de l'injustice et, en tant que tel, fait naître le sentiment d'impuissance humaine face au "grand destin gigantesque".

La condamnation de l'événement tragique par la raison, qui ne se laisse elle-même ébranler ni par l'imminence de la ruine ni par la supériorité du destin, devient un triomphe de la justice. Le refus de considérer l'immérité comme mérité, le Dieu injuste comme juste, engendre le sentiment "exaltant" de la souveraineté et de la supériorité humaines face au destin cruel qui "peut bien tuer le corps, mais ne peut tuer l'âme".

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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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