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[Compte-rendu] Glenn Greenwald, No Place to Hide (Nulle part où se cacher) Empty [Compte-rendu] Glenn Greenwald, No Place to Hide (Nulle part où se cacher)

par Dimka Dim 20 Juil 2014 - 2:07
Glenn Greenwald est un journaliste politique et avocat américain, qui a dénoncé les dérives du pouvoir de son pays après le 11 septembre. Il a notamment travaillé en 2005 sur les écoutes massives et illégales de citoyens américains par la NSA, ou encore sur l’affaire Chelsea Manning. C’est en raison de ces engagements qu’il est contacté par le lanceur d’alerte Edward Snowden en 2012-2013 : celui-ci, alors informaticien employé par une entreprise qui travaille en particulier pour la NSA, décide de rendre public un grand nombre (entre plusieurs milliers et plus d’un million selon les estimations) de documents confidentiels de cette agence gouvernementale, dans le but d’en dénoncer les pratiques et les objectifs.

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Glenn Greenwald a récemment publié un livre, sur cette expérience : No Place to Hide: Edward Snowden, the NSA, and the U.S. Surveillance State (Nulle part où se cacher pour la version française), en mai 2014. Je pense que ce livre mérite d’être lu, même s’il comporte certaines longueurs pour ceux qui ne connaissent pas particulièrement le sujet.


Dans les deux premiers chapitres, il se présente et raconte les événements entre le moment où Snowden a pris contact avec lui et la fuite de ce dernier en Russie. Il y a un côté aventure un peu prenant, mais surtout il développe les motivations de Snowden, sa personnalité, et il met en lumière l’ampleur du sacrifice et des risques pour le lanceur d’alerte.

Le livre de Greenwald vise à médiatiser l’espionnage de la NSA, à en expliquer le fonctionnement et les problèmes. Mais dans cette partie, il suit un second objectif : en centrant son propos sur l’individu Snowden, sur la figure du lanceur d’alerte, il permet de montrer un modèle de héros : quelqu’un d’intelligent qui a des convictions morales fortes et qui les réalise dans un comportement droit et courageux. Il me semble que Greenwald parvient, dans ce livre, à prouver qu’en dépit du cynisme ambiant, il est parfaitement possible, au niveau individuel, de faire des choix moraux forts et d’agir efficacement en conséquence. Dans le livre, Greenwald exprime plusieurs fois cette idée que le courage est contagieux et que la contribution de Snowden se situe aussi sur ce plan.

Ensuite, il y a un long chapitre assez technique sur le fonctionnement de la NSA. C’est important, parce que c’est le chapitre qui prouve, qui montre les dérives de cette agence, qui met en lumière le fonctionnement de cette surveillance, les implications de divers acteurs privés et publics, et qui en donne la mesure. Même si c’est centré sur les États-Unis, c’est intéressant pour un Français, d’une part parce que les citoyens français sont aussi affectés par l’espionnage de la NSA, d’autre part parce que l’État français y est impliqué. Il permet d’en voir l’aspect démentiel, tentaculaire : il ne s’agit pas d’un phénomène secondaire ou marginal, et l’investissement des dirigeants pour espionner leurs populations doit interroger.

Et enfin, le livre se termine par des réflexions idéologiques, d’abord sur la surveillance généralisée, ensuite sur les journalistes et leurs rapports au pouvoir. Je pense que les deux derniers chapitres sont les plus importants, parce qu’ils définissent la société que l’on peut souhaiter, et justifient les motivations de ceux qui agissent contre les dérives : ils donnent des arguments pour se positionner. De plus, ils permettent de dire a posteriori pourquoi le troisième chapitre, le plus technique, est important (sinon, on se dit que d’accord, c’est un gros système de surveillance… et alors ?).

La surveillance de la NSA est souvent minimisée par des arguments affirmant que « si l’on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à cacher », ou encore qu’une surveillance à si grande échelle n’est finalement pas une surveillance individuelle, mais avant tout statistique pour la plupart des gens. Greenwald répond longuement à ces arguments, en défendant la légitimité de la vie privée (qui est de plus en plus présentée comme suspecte) et sa nécessité dans une démocratie. Il développe sur les dérives que cela peut entraîner (on peut salir un opposant politique ou quelqu’un de gênant, en sortant des choses privées, par exemple le fait qu’il ait consulté des sites pornographiques ou qu’il ait des contacts avec des amants alors qu’il ou elle est marié).

Un argument m’a paru en particulier intéressant : il présente cette surveillance comme particulièrement grave, dans la mesure où elle influence les comportements des individus. En effet, il cite plusieurs études ou réflexions montrant qu’un individu sentant une surveillance sur lui (même s’il n’est pas sûr de sa réalité, comme avec le Panoptique de Bentham), s’impose une auto-censure et adopte des comportements ou des attitudes plus conformistes que s’il se sent seul (par exemple, on peut danser dans sa chambre, ce qu’on ne ferait pas en ayant l’impression d’être visible depuis la rue… mais cela vaut aussi pour les opinions que l’on défend).

Parallèlement à ce constat, au début du livre, Greenwald présente Internet comme un espace central dans la vie des gens, et en particulier des jeunes : un espace où l’on peut se construire, en tant qu’individu, avec une liberté causée par un sentiment d’anonymat. Il est ainsi possible d’y développer des fantasmes ou des opinions secrètement, d’expérimenter − notamment en débattant avec d’autres individus − bien plus qu’on ne pourrait le faire publiquement sous son identité véritable. De ce fait, la surveillance d’un lieu aussi central pour la formation de l’individu est totalitaire, elle exerce un contrôle de l’individu dans ce qu’il y a de plus fondamental dans son identité.

Enfin, les réflexions de l’auteur sur le journalisme m’ont fait penser à plusieurs aspects traités par Serge Halimi dans Les nouveaux chiens de garde (même si celui-ci s’intéresse essentiellement au journalisme français). En particulier, il dénonce la servilité du « quatrième pouvoir », vis-à-vis des autorités, ainsi que son rapprochement socio-culturel (du moins pour les journalistes les plus influents) avec les élites dirigeantes. Mais il parle aussi des contraintes et dangers qui pèsent sur ce métier (Greenwald s’est notamment vu dénié son statut de journaliste, ce qui aurait pu le mettre en danger juridique aux USA, puisqu’il n’aurait pas bénéficié des protections liées à la profession).

L’auteur réfléchit aussi sur l’opinion du journaliste : aux USA (mais je crois que c’est le cas, dans une moindre mesure, en France), on dévalorise les journalistes engagés, en prônant une soi-disante objectivité. Greenwald d’une part défend la nécessité d’un engagement du journaliste, d’un journalisme qui affirme ses opinions et ses combats, et d’autre part il dénonce la fiction de l’objectivité journalistique qui n’est en réalité qu’un choix idéologique comme un autre, mais au service du pouvoir en place, de l’establishment, visant à rendre naturel ce qui est politique.



Par ailleurs, c’est plus personnel, mais je me retrouve parfaitement dans ce que dit Snowden, à propos de sa formation morale. À savoir que selon lui, pour les jeunes générations, il y a un mélange de culture classique (le livre cite quelques lectures de Snowden, comme Joseph Campbell, ou encore, le lanceur d’alerte a d’abord contacté Greenwald sous le pseudo « Cincinnatus »), qui est utilisée, actualisée, et appropriée (rendue vivante ?) pour réfléchir à un comportement sur des questions contemporaines, mais également d’une culture contemporaine liée à l’informatique (internet, jeux vidéos, etc.). Dit comme cela, ça pourrait paraître risible, mais on parle tout de même d’un type qui a mis en jeu son job (et son salaire…), sa famille, sa liberté, voire sa vie, pour défendre une conviction morale.

Ce thème, cette construction morale nécessaire pour évaluer sa propre identité et sa propre valeur, était l’un des cheminements intellectuels qu’il avait plusieurs fois empruntés, y compris, expliquait-il avec une nuance de gêne, dans les jeux vidéo. La leçon qu’il avait retenue de son immersion dans ces jeux, c’était qu’un seul individu, même le plus impuissant, peut affronter une grande injustice. « Le protagoniste est souvent un individu ordinaire, qui se retrouve confronté à de graves abus commis par des forces puissantes et qui a le choix de fuir sous l’effet de la peur ou de se battre pour ses convictions. Et l’histoire montre aussi que des êtres apparemment ordinaires, dès lors qu’ils sont suffisamment résolus par rapport à la justice, peuvent triompher des adversaires les plus redoutables. »

Il n’était pas le premier que j’entendais affirmer que les jeux vidéo avaient eu un rôle déterminant dans la genèse de sa vision du monde. Quelques années plus tôt, j’aurais pu me moquer, mais j’avais fini par accepter l’idée que, pour la génération de Snowden, ces jeux avaient un rôle non moins prégnant que la littérature, la télévision ou le cinéma dans la formation d’une conscience politique, du raisonnement moral et de la compréhension de la place que l’on occupait dans le monde. Ils présentent souvent eux aussi des dilemmes moraux complexes et poussent à la réflexion, surtout les gens qui commencent à remettre en cause ce qu’on leur a appris.

Très tôt, le raisonnement de Snowden − né, disait-il, d’une réflexion qui constituait « un modèle pour ce que nous voulons devenir, et pourquoi » − donna lieu à un profond travail d’introspection autour des obligations éthiques et des limites psychologiques. « Ce qui maintient une personne dans la passivité et l’obéissance, expliquait-il, c’est la crainte des répercussions, mais une fois que vous avez renoncé à votre attachement à des choses qui ne comptent guère − l’argent, la carrière, la sécurité −, rien ne vous empêche de surmonter cette peur. »

La valeur sans précédent d’Internet n’occupait pas une place moins centrale dans sa vision du monde. Comme chez beaucoup de jeunes de sa génération, « Internet » n’était pas un outil isolé réservé à des tâches individuelles. C’était l’univers dans lequel son esprit et sa personnalité avaient pu se développer, un lieu en soi qui offrait une liberté incomparable, des possibilités d’exploration, de compréhension et un potentiel de croissance intellectuelle.

Pour lui, les propriétés uniques d’Internet étaient d’une valeur incomparable, à préserver à tout prix. Adolescent, il s’était servi de la Toile pour explorer certaines idées et dialoguer avec des gens d’autres régions du monde et de milieux radicalement différents qu’il n’aurait jamais rencontrés autrement.

« Au fond, Internet m’a permis d’expérimenter la liberté et d’explorer pleinement mes facultés d’être humain. » Visiblement animé, et même passionné, quand il parlait de la valeur d’Internet, il ajoutait : « Pour beaucoup de gosses, Internet est un moyen de se réaliser. Il leur permet d’explorer ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent être, mais cela ne peut fonctionner que si nous sommes en mesure de préserver notre vie privée et notre anonymat − et de commettre des erreurs sans être suivis à la trace. Je crains que ma génération n’ait été la dernière à jouir de cette liberté ».

(p. 73-74)
Sans nier qu’une partie des jeunes n’utilise internet et le jeu vidéo que d’une façon passive et consommatrice et se fiche totalement de la culture, il me semble qu’un nombre non-négligeable de ceux qui s’engagent, s’est effectivement formé en partie de cette manière.

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par henriette Dim 20 Juil 2014 - 14:32
Merci beaucoup pour ce compte-rendu très détaillé, Dimka : cet ouvrage, en effet, semble très intéressant !
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