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Christine Orsini, La pensée de René Girard Empty Christine Orsini, La pensée de René Girard

par Robin Lun 13 Aoû 2012 - 8:13
"l'homme désire toujours selon le désir de l'autre, dans un conflit tragi-comique dont les protagonistes deviennent interchangeables. Sur la scène collective, la violence mimétique suscite la victime émissaire, bientôt transformée en dieu parce que son sacrifice a ramené la paix sociale : La Violence et le sacré (1972) démonte ce mécanisme qui expulse la violence et engendre le sacré. Les actes religieux les plus irrationnels ont une rationalité : empêcher ou résoudre la crise qui résulte de l'imitation.

De tous les mythes qui racontent la genèse du sacré, c'est-à-dire l'origine événementielle de l'ordre humain, se séparent les mythes bibliques parce qu'ils proclament l'innocence de la victime. Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) expose comment du lent travail de la révélation biblique est née la modernité : nous savons désormais que la violence est l'affaire des hommes et non des dieux. Nous sommes responsables de l'Histoire. Si le projet de ne pas faire sauter la planète doit dominer l'avenir politique, il se traduira forcément par des comportements plus compréhensibles à la lumière des Évangiles qu'à celle de Rousseau et de Marx.

De livre en livre, René Girard renforce l'efficacité scientifique de l'hypothèse mimétique pour expliquer l'origine des cultures. Aujourd'hui, des chercheurs la font travailler en anthropologie, en économie, en psychiatrie, en philosophie, en histoire des religions, etc.

"René Girard dit avec force et clarté, depuis bientôt un quart de siècle, quelque chose de simple : "l'homme est un animal mimétique". Ce n'est pas une idée neuve ; en épigraphe à Des choses cachées depuis la fondation du monde, le best-seller de 1978, Girard cite Aristote : "L'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à l'imitation." (Poétique, 4).

Voilà donc une vérité dont l'originalité ne serait que d'être simple, donc peu faite pour retenir l'attention : "Le simplicité et la clarté ne sont pas à la mode." (Des choses cachées depuis la fondation du monde, page 18)

Pourtant, c'est indubitable, l’œuvre de René Girard a retenu l'attention. Pas tout de suite et pas de tout le monde, mais d'une façon assez ample et singulière pour susciter ces rumeurs de "scandales" qui font souvent cortège à une révélation scientifique sans constituer pour autant la preuve de son authenticité ou de ce que l'on appelle aujourd'hui sa "validité".

Les essais de critique littéraire, Mensonge romantique et Vérité romanesque (1961), et ceux qui ont été réunis dans Critique dans un souterrain (1976) ont enthousiasmé quelques intellectuels, mais sont restés ignorés de la plupart du grand public.

L’œuvre anthropologique, La Violence et le sacré (1972), a suscité des réactions très contrastées auprès des spécialistes et des curieux des sciences de l'homme ; elle a réveillé certains de leur sommeil dogmatique et en a scandalisé bien d'autres : plus encore que l'injustice de certaines critiques, le silence des maîtres à penser sur le terrain desquels Girard venait travailler fut le signe de ce refus scandalisé.

Mais c'est avec la parution Des choses cachées depuis la fondation du monde, 1978, que la célébrité - c'est-à-dire les médias et un grand nombre de lecteurs "non spécialistes" - vint à René Girard. L'accueil favorable du grand public à cette œuvre monumentale dont la forme dialoguée facilitait sans doute la lecture, contrastait trop avec le silence obstiné des spécialistes en sciences humaines, les structuralistes, les freudiens, les marxistes, etc. et contribua à nimber la "révélation girardienne" d'un halo suspect.

Car ce livre, et c'est la raison de son succès, ne reprend pas seulement pour la préciser, la théorie anthropologique présentée dans La violence et le sacré, il révèle que le fondement de cette théorie (et d'ailleurs de toutes les entreprises de démystification des cultures qui ont rendu possible une anthropologie scientifique), est religieux , ce fondement se présente lui-même comme une "révélation" : il s'agit de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Non seulement le moderne ne peut se penser qu'à la suite du religieux, mais il nous faut encore comprendre que croyance religieuse et réflexion anthropologique sont deux versions d'une seule et même entreprise." (d'après Eric Gans, in Violence et Vérité, actes du colloque de Cerisy, pg. 397 et Christine Orsini, La Pensée de René Girard)

Dans le premier chapitre, Christine Orsini a souhaité présenter au lecteur la pensée de René Girard : "Ce compendium de l’œuvre n'a pas pour intention de se substituer à la lecture des six ouvrages qui la produisent aujourd'hui, mais d'en stimuler le désir et d'en faciliter l'accès... Nous avons suivi l'ordre heuristique de la démarche girardienne, c'est-à-dire l'ordre de la découverte des concepts fondamentaux de son ouvre anthropologique. Nous exposerons donc dans un premier chapitre les analyses du "désir mimétique" et du "modèle-obstacle" faites par René Girard à partir du pseudo-masochisme avec des personnages de roman. (Don Quichotte, Julien Sorel, Madame Bovary, l'éternel mari de Dostoïevski et le baron de Charlus dans La Recherche du temps perdu)."

On trouvera dans le deuxième chapitre, avec un résumé des analyses de la violence et du sacré, la découverte du "mécanisme victimaire", figure mimétique qui s'ajoute à toutes celles inventoriées par la seule "critique littéraire", mais que sa puissance explicative transforme en "hypothèse morphogénétique" de la culture.

Enfin, dans le troisième chapitre, le lecteur découvrira la lecture girardienne de la Bible et des Évangiles et le lien étroit qu'entretient cette lecture avec le projet scientifique de son auteur."

Dans une deuxième partie, Christine Orsini a tenu à présenter quelques travaux inspirés de l’œuvre de René Girard, et quelques questions qui lui sont adressées par ceux qui voient cette œuvre comme un formidable défi à relever pour construire les conditions de possibilité d'une véritable autonomie humaine. La connaissance des mécanismes fondateurs du social est en effet un piège, le scandale même : elle interdit les ruses (violentes) dont toutes les sociétés ont toujours usé envers la violence, elle détruit les ressources sacrificielles qui ont toujours protégé (et protègent encore) les hommes de leur propre violence."

"Les chercheurs ne voient absolument pas en quoi consistent les processus "culturels", comment ils s'enclenchent sur les processus "naturels" et comment ils réagissent sur ceux-ci pour engendrer des formes de plus en plus humanisées. Nous voyons bien que les paliers d'évolution biologique sont trop rapides pour ne pas impliquer des éléments culturels, mais nous ne voyons absolument pas en quoi consiste cette implication réciproque. Tout le monde est d'accord, je pense, aujourd'hui pour reconnaître que le volume du cerveau s'accroît beaucoup trop vite pour les processus normaux de l'évolution biologique.

La science actuelle est si désarmée devant ces problèmes qu'elle s'est habituée à en traiter l'énoncé même comme s'il s'agissait d'une solution. C'est là ce qui donne cet aspect irréel, ce style de conte de fée à tant de descriptions qui se voudraient scientifiques. Le triomphalisme évolutionniste s'oppose au triomphalisme créationniste et religieux, mais les mécanismes intellectuels n'ont guère changé. Ce genre d'exercice a fini par rebuter les ethnologues et il a contribué à la rupture regrettable entre les recherches sur la culture et les recherches orientées par la biologie..." (René Girard, Des choses cachées depuis le commencement du monde, recherches avec J..M Oughourlian et Guy Lefort, Grasset, pg. 97)

René Girard est né le 25 décembre 1923 à Avignon. Sa formation est littéraire. Il est reçu à l’École des Chartes à Paris en 1943 et en sort avec un diplôme d'archiviste paléographe en 1947. Mais c'est aux États-Unis, depuis cette date, qu'il achève sa formation (il obtient un Ph. D de l'Indiana University en 1950) et entreprend d'enseigner la langue, la littérature et le civilisation française. René Girard est un médiateur actif de la culture française aux Etats-Unis. Il organise un colloque international en octobre 1966 sur le thème "Langages de la critique et sciences de l'Homme" avec la participation de Roland Barthes, Jacques Derrida, Lucien Goldmann, Jean Hyppolite, Jacques Lacan, Georges Poulet, Tzvetan Todorov, Jean-Pierre Vernant et d'autres, à l'Université John Hopkins à Baltimore où il enseigne d'abord comme assistant, puis comme professeur et chef de département des langues romanes de 1957 à 1968 et de 1976 à 1980. Il enseigne aussi à la State University de New-York de 1972 à 1976 et est aujourd'hui, depuis 1981, professeur à l'Université de Stanford, en Californie (chaire Andrew B. Hammond).

L'auteur :

Professeur de philosophie, Christine Orsini a découvert la pensée de René Girard au temps où elle préparait l'agrégation. Elle n'a depuis cessé d'en suivre les développements et d'en approfondir la portée. Elle a participé au livre collectif : René Girard et le problème du mal (Grasset, 1981) et au colloque de Cerisy-la-Salle "Autour de René Girard" (juin 1983)

Christine Orsini : La pensée de René Girard, actualités des sciences humaines, Editions Retz.


Bibliographie sommaire :

Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1961, 1973, réédition Coll. Pluriel, Le Livre de poche, 1978
La Violence et le Sacré, Grasset, 1972, 1974, 1977, réédition Coll. Pluriel, Le Livre de Poche
Critique dans un souterrain, Lausanne, l'Âge d'Homme, 1976, réédition Coll. Pluriel, Le Livre de Poche.
Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1972
Le Bouc émissaire, Grasset, 1982
La Route antique des hommes pervers, Grasset, 1985

Travaux girardiens :

Dumouchel P. éd., Violence et Vérité "Autour de René Girard", Grasset, 1985, Actes du colloque de Cerisy, 1983.
Deguy M. et Dupuy J.-P., éd., René Girard et le problème du mal, Grasset, 1982.


Bibliographie détaillée :

Mensonge romantique et vérité romanesque (1961) ISBN 2-01-278977-
Dostoïevski : du double à l'unité (1963)
La Violence et le sacré (1972) ISBN 2-01-278897-1
Critique dans un souterrain (1976) ISBN 2-253-03298-0
To Double Business Bound: Essays on Literature, Mimesis, and Anthropology Baltimore: Johns Hopkins University Press. (1978) ISBN 0-8018-3655-7
Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) ISBN 2-253-03244-1 Recherches avec Jean-Michel Oughourlian et Guy Lefort.
Le Bouc émissaire (1982) ISBN 2-253-03738-9
La Route antique des hommes pervers (1985) ISBN 2-253-04591-8
Violent Origins: Walter Burkert, Rene Girard, and Jonathan Z. Smith on Ritual Killing and Cultural Formation. Ed. Robert Hamerton-Kelly. Palo Alto, California: Stanford University Press. ISBN 0-8047-1518-1
Shakespeare : les feux de l'envie (1990)
Quand ces choses commenceront... (1994), entretiens avec Michel Treguer
Je vois Satan tomber comme l'éclair (1999)
Celui par qui le scandale arrive (2001) ISBN 2-220-05011-4, comprenant trois courts essais et un entretien avec Maria Stella Barberi.
La Voix méconnue du réel (2002) ISBN 2-253-13069-9
Le Sacrifice (2003) ISBN 2-7177-2263-7
Les Origines de la culture (2004) ISBN 2-220-05355-5, entretiens avec Pierpaolo Antonello et Joao Cezar de Castro Rocha, suivi d'une réponse à Régis Debray sur ses critiques publiées dans Le feu sacré en 2003.
Oedipus Unbound: Selected Writings on Rivalry and Desire. Ed. Mark R. Anspach. Stanford: Stanford University Press. ISBN 0-8047-4780-6
Vérité ou foi faible. Dialogue sur christianisme et relativisme (2006) (Verità o fede debole. Dialogo su cristianesimo e relativismo), avec Gianni Vattimo. À cura di P. Antonello, Transeuropa Edizioni, Massa.
Dieu, une invention ? (2007) ISBN 2-7082-3922-8 avec André Gounelle et Alain Houziaux.
De la violence à la divinité (2007) ISBN 2-246-72111-3.
Achever Clausewitz (2007) ISBN 2-35536-002-2. Entretiens avec Benoît Chantre.
Anorexie et désir mimétique (2008), Ed. de L'Herne, ISBN 2-85197-863-2.
Mimesis and Theory: Essays on Literature and Criticism, 1953-2005. Sous la direction de Robert Doran. Stanford University Press, 2008. ISBN 0-8047-5580-9
La conversion de l'art. Paris: Carnets Nord. (livre + DVD) ISBN 2-35536-016-2
Psychopolitique (2010), Rédaction de la préface du livre de Jean-Michel Oughourlian, Paris, Ed. Francois Xavier de Guibert.ISBN 2-7554-0394-2.
Géométries du désir (2011), préface de Mark Anspach, Paris, Ed. de L'Herne.

Récompenses et distinctions :

Shakespeare, les feux de l'envie a reçu le prix Médicis Essai
le 10 mai 2004, le prix Aujourd'hui lui est attribué pour Les Origines de la culture.
Guggenheim Fellow (1960, 1967)
Prix de la Modern Language Association (1965)
Docteur honoris causa des universités d’Amsterdam, Innsbruck, Anvers, Padoue, Montréal, et de St. Mary’s University and Seminary (Baltimore)
Académicien depuis 2005
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