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 La question de l'homme chez Pic de la Mirandole Empty La question de l'homme chez Pic de la Mirandole

par Robin Mer 3 Avr 2013 - 8:09
Issu d’une richissime famille de « condottieri » de la région de Ferrare, Jean Pic de la Mirandole est né le 24 février 1463, sur les terres ancestrales de Concordia.

D’une très grande précocité intellectuelle, le jeune érudit, forgé dès son plus jeune âge aux langues anciennes dont l’hébreu et l’araméen, connaissait, dit-on, vingt-neuf langues. Philosophe et théologien, disciple de Marsile Ficin et ami de Laurent de Médicis, Giovanni Pico della Mirandole est l’un des esprits les plus brillants de son temps. Humaniste de renommée européenne et chantre du néoplatonisme, il est l’auteur d’un Discours sur la dignité de l’homme, qui pose la question de la place de l’homme dans l’univers.

Giovanni Pico della Mirandole meurt en 1494, à l’âge de trente-et-un ans, probablement empoisonné. Pic de la Mirandole projetait d'écrire un livre sur la Concorde de Platon et d'Aristote.


"En fin de compte, le parfait ouvrier décida qu'à celui qui ne pouvait rien recevoir en propre serait commun tout ce qui avait été donné de particulier à chaque être isolément. Il prit donc l'homme, cette oeuvre indistinctement imagée, et l'ayant placé au milieu du monde, il lui adressa la parole en ces termes : « Si nous ne t'avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c'est afin que la place, l'aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c'est ton propre jugement, auquel je t'ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t'ai mis dans le monde en position intermédiaire, c'est pour que de là tu examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t'avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines..."

Le "parfait ouvrier" dont il est question au début du texte est le Dieu de l'Ancien Testament (Livre de la Genèse), dont il est dit "qu'il créa le ciel et la terre". Pic de la Mirandole assimile le Dieu créateur de l'Ancien Testament au "Démiurge" (Démiourgos) qui façonne la monde à partir de la matière, les yeux fixés sur les Idées éternelles, dont parle Platon au début du Timée.

Ces deux conceptions que Pic assimile syncrétiquement ne sont pas vraiment compatibles car pour les Grecs, la matière est éternelle (elle existe de toute éternité), alors que pour les Hébreux, Dieu (Yavhé-Elohims) a crée le monde à partir de rien, par sa parole (Dieu dit : "que la lumière soit..."). On ne peut donc pas le qualifier "d'ouvrier".

Le début du texte fait allusion au mythe de Prométhée et d’Épiméthée, tel que le rapporte Platon dans le Protagoras...

Les dieux ordonnent à Prométhée et à Épiméthée de distribuer des qualités aux "races mortelles". Épiméthée s'acquitte de cette tâche, mais oublie l'homme qui demeure nu et sans "équipement".

Épiméthée ne donne pas les mêmes qualités aux animaux, il donne aux uns la rapidité (les lièvres par exemple), la force (les éléphants), des armes (les lions et les tigres), une carapace, du venin etc.

L'homme se distingue des autres espèces par le fait qu'il n'a aucune qualité naturelle particulière : il n'est ni particulièrement agile, ni particulièrement fort, ni particulièrement armé. L'homme est le plus démuni, le plus faible, le moins favorisé de tous les animaux. Constater que l'homme est "nu", ce n'est pas seulement constater sa faiblesse, c'est aussi constater son inachèvement.

Pic de la Mirandole place l'homme au milieu du monde, et non au milieu du paradis terrestre et il n'est pas question de désobéissance et de chute.

L'homme, selon Pic, tient une position "intermédiaire", entre le monde animal et le monde céleste. Il n'est pas "au sommet", mais "au milieu de la création et il possède en lui les "germes" de toutes autres les espèces : un squelette minéral, une âme végétative comme les plantes, une âme sensitive comme les animaux et un esprit comme les hiérarchies célestes (et infernales) et comme Dieu.

L'homme est un "microcosme", une image du monde... Il se caractérise essentiellement par la liberté : " la nature définie (des animaux) est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c'est ton propre jugement, auquel je t'ai confié, qui te permettra de définir ta nature."

L'homme est un être inachevé, contrairement aux animaux qui ont une place déterminée, un aspect qui leur est propre et des dons particuliers. En termes modernes, il n'y a pas de "nature humaine", on ne naît pas homme, on le devient, aussi bien individuellement (ontogenèse) que collectivement (phylogenèse), l'homme se crée lui-même à travers la culture. On peut donc dire, sans trop craindre de déformer la pensée de Pic de la Mirandole, que Dieu n'a pas crée l'homme, mais qu'il a laissé à l'homme la liberté de "se créer" lui-même, d'être l'artisan de son propre devenir.

Contrairement aux hiérarchies célestes, aux bêtes, aux plantes et aux pierres, l'homme n'a pas été crée "une fois pour toutes". Dieu lui a donné le pouvoir "arbitral et honorifique de se modeler et de se façonner lui-même" : Pic compare l'homme à un artiste, à un sculpteur qui serait à la fois le créateur et son œuvre.

Il appartient à l'homme de devenir ce "parfait ouvrier" qui qualifiait le Dieu créateur au début du texte. L'homme peut "tomber" et dans ce cas il "dégénérera en formes inférieures", mais il peut aussi se relever pour "se régénérer en formes supérieures", puisqu'il possède en lui, indistinctement les germes de la plante et de l'animal et qu'il a été crée à l'image de Dieu. Pic souligne à nouveau la plasticité et la perfectibilité de l'homme.

Ce texte est un parfait témoignage de l'esprit de la Renaissance, de l'optimisme qui animait ses plus éminents représentants et de la foi qu'ils plaçaient dans les capacités créatrices de l'être humain.

On conçoit cependant que "l'oubli" des notions de péché et de chute, mais aussi de grâce, de rachat et de médiation entre l'homme et le créateur pouvait inquiéter l’Église.







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