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Le cours de philo. c'était :

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Sikelia
Niveau 10

Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 Empty Re: Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ...

par Sikelia Mer 21 Nov - 11:52
😢 Palombella Rossa, c'est terriblement triste ton histoire, mais c'est vraiment magnifique comment tu as réussi à faire revivre Mme Ayme, et à la rendre familière à nous qui ne l'avons jamais connue. Je suis sûre qu'elle est heureuse de l'hommage si émouvant et si beau que tu lui as rendu.
lene75
lene75
Prophète

Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 Empty Re: Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ...

par lene75 Mer 21 Nov - 15:06
Dedale a écrit:
lene75 a écrit:Dedale, je te réponds dès que j'ai assez de temps pour développer un peu.
Merci! Wink

Me revoilà !

Alors, pour essayer de faire simple, il y a deux raisons de remettre en cause le caractère absolu de la vérité scientifique :

- Dans les sciences expérimentales (c'est visiblement ce dont tu parles), on utilise une méthode hypothético-déductive, qui consiste à émettre une hypothèse théorique (généralement de manière inductive, c'est-à-dire après avoir observé des faits qui nous font penser que...), à en déduire des implications expérimentales et à "vérifier" ces implications expérimentalement. Le problème étant qu'une expérience ou une observation ne sont jamais ni brutes ni univoques. D'une part, on ne peut jamais tester une hypothèse de manière isolée (c'est l'histoire du bateau de Neurath) et d'autre part, mais c'est lié, on a toujours nécessairement des "connaissances d'arrière-plan" (traduction littérale un peu maladroit de "background knowledge") qui déterminent la manière dont on interprète une observation : l'expérience est inévitablement liée à la théorie, qui influe donc non seulement sur l'interprétation mais sur la mesure elle-même. Il est assez communément admis qu'un fait ne peut jamais prouver une hypothèse - donc qu'il n'existe pas à proprement parler de "preuve" expérimentale - mais seulement la "corroborer", c'est-à-dire augmenter sa probabilité subjective, c'est-à-dire le degré de crédit qu'on lui accorde. Le point qui a plus posé problème, est celui de l'infirmation d'une hypothèse par l'expérience (à rapprocher de l'idée basique en maths selon laquelle un exemple ne peut rien prouver mais suffit à infirmer), c'est ce qu'on a appelé, à la suite de Bacon, l'expérience cruciale. La thèse Duhem-Quine consiste à montrer que, pour les raisons que j'ai exposées, une telle preuve est impossible. On ne peut donc ni définitivement prouver ni totalement infirmer une hypothèse par l'expérience. Ce caractère provisoire de la vérité scientifique permet de comprendre, et c'est mon 2e point, qu'il puisse y avoir une histoire des sciences.

Biblio pour débuter sur ce point : Chalmers, Qu'est-ce que la science ?, intro + chapitre 1, 2 et 3 (s'il fallait n'en lire qu'un : le 3 "La dépendance de l'observation). Lecture courte et facile (style anglo-saxon Very Happy ).
Pour la thèse Duhem-Quine : wikipedia, je suppose :lol: et dans De Vienne à Cambridge, "Les deux dogmes de l'empirisme" de Quine.

Sur l'idée fondamentale de Popper selon laquelle une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable ("falsifiable"), donc sur la place fondamentale du doute en sciences : Chalmers, chap 4, 5, 6. Là où il y a certitude, Vérité, ce n'est pas en sciences mais dans la religion, la magie ou encore la superstition.

- Pour qu'il puisse y avoir histoire des sciences, c'est-à-dire évolution de la pensée scientifique, il faut forcément que les vérités d'un jour ne soient plus celles du lendemain. Ce n'est pas un argument suffisant pour rejeter la vérité absolue en sciences. Quand on soutient la thèse de l'existence d'une vérité absolue en sciences on présuppose corrélativement, et je pense que c'est ton cas, une histoire des sciences de type linéaire : l'idée d'un progrès des sciences avec accumulation et progrès progressif des sciences vers plus de vérité. Dans ce cas, deux positions possibles : ou on considère qu'il a des erreurs qui sont corrigées (ex : Terre plate, théorie des épicycles, éther, etc.), le problème étant qu'à l'époque ces erreurs étaient considérées comme scientifiquement prouvées (-> comment pourrions-nous sérieusement prétendre qu'aujourd'hui n'existent plus d'erreurs de ce type en sciences ?), ou on considère que le progrès de la science se fait en allant de plus vers moins d'approximation (la physique newtonienne n'est pas fausse pour son domaine d'objet, c'est une bonne approximation de la mécanique quantique pour les objets macroscopiques), et là, on commence à être sur la corde raide et à risquer de tomber dans une position intrumentaliste (on appelle "vérité" en science ce qui est efficace), qui n'est pas condamnable en soi (c'est la position que je défends), mais qui remet fortement en cause la conception commune de ce qu'est une vérité scientifique. Mais, surtout, Kuhn a remis en cause cette idée d'une histoire linéaire des sciences en introduisant l'idée de révolution scientifique (la révolution corpernicienne étant la plus marquante) : dans l'histoire des sciences, il y a une succession de paradigmes, qui sont incommensurables, c'est-à-dire incomparables entre eux. Un paradigme (la science newtonienne par exemple), est un ensemble d'hypothèses théoriques, de lois et de techniques qu'adoptent les membres d'une communauté scientifique et à partir desquelles ils expliquent le monde. Le paradigme détermine à la fois les questions qu'on peut poser et les réponses qu'on peut accepter. Il y a changement de paradigme quand trop de faits ne peuvent plus être expliqués sans multiplication d'hypothèses ad hoc (rajoutées a posteriori) dans le paradigme en usage. Dans ces cas-là, en général, les vieux scientifiques résistent et ce sont de plus jeunes qui introduisent le nouveau paradigme. On ne peut pas dire que l'un ou l'autre des paradigmes soit plus vrai, puisque les différences conceptuelles qu'ils impliquent font qu'une affirmation dans l'un des paradigmes est incompréhensible dans l'autre : il n'y a aucune discussion, donc aucune comparaison possible. Ce qui fait adopter l'un ou l'autre des paradigmes est une simple question d'efficacité : on choisit le paradigme qui a un moment donné permet d'expliquer le plus de choses. En ce sens, Kuhn ne le dit pas, mais je pense qu'on peut considérer les théories scientifiques comme des modèles et non comme des descriptions de la réalité : l'efficacité d'un modèle ne donne aucune garantie qu'il décrive adéquatement la réalité, il y a une simple analogie de structure.

Biblio : Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (lecture difficile)
Sur les théories comme modèles, il y a de la littérature récente mais sur laquelle je ne me suis pas penchée, probablement de bonnes choses chez van Fraassen, qui est quelqu'un de fiable.

3e élément qui peut faire douter de la vérité des sciences actuelles : l'incompatibilité entre la mécanique quantique et la relativité générale. Normalement, d'un strict point de vue logique, deux théories incompatibles ne peuvent être vraies en même temps : soit l'une des deux est fausse, soit les deux le sont, or ces théories sont actuellement les meilleures que nous ayons, c'est-à-dire les plus adéquates pour expliquer le monde et agir dans le monde, bref, les plus efficaces, nous les considérons donc comme vraies alors qu'au sens premier du terme, elle ne peuvent pas l'être toutes les deux.

Finalement, l'opposition entre philosophie et sciences, courante chez les élèves de S, est assez rigolote, précisément parce que la philosophie en général, et l'épreuve scolaire de la dissertation plus encore, ressemblent beaucoup à la démarche scientifique (ce qui explique probablement que beaucoup de philosophes aient été des scientifiques, pour n'en citer que quelques-uns : Aristote, Descartes, Pascal, Leibniz, mais aussi, dans une moindre mesure Einstein, sans parler de tous les scientifiques du cercle de Vienne). Dans une dissertation, on construit un problème, soit de manière théorique, à partir de définitions, soit de manière empirique, à partir de faits ressaisis par des définitions (c'est une manière de voir l'amorce, "l'accroche" du début d'introduction). Ce problème va être résolu (ou dissout) en procédant à une étude méthodique, de forme démonstrative, consistant à avancer des hypothèses (chaque grande partie de la dissertation étudie une hypothèse), pour lesquelles on tente de trouver des preuves (ce sont les arguments, donc les paragraphes de chacune des parties), qu'on met à l'épreuve soit des faits, soit le plus souvent de la cohérence logique, pour trouver les failles du raisonnement (qui résident dans les conséquences de l'hypothèse avancée ou le plus souvent dans ses présupposés). C'est une méthode qui n'est pas très loin de celle consistant, pour un expérimentateur, à rechercher le "bruit" dans ses mesures. À partir de là, on rejette ou on complète l'hypothèse pour dépasser les difficultés : c'est le passage à la partie suivante, qui consiste à étudier une nouvelle hypothèse ou une version améliorée de la précédente. La dernière hypothèse soutenue est appelée thèse parce que c'est celle qu'on défend parce qu'on pense avoir trouvé de bons arguments (= des preuves) en faveur de sa validité. On a souvent tendance à dire que la différence entre la philo et la science est que les "preuves" en philo sont toujours contestables et que, justement, le philosophe ne cesse de s'interroger sur ses propres présupposés, ce que ne ferait pas le scientifique, mais, précisément, il en est de même des preuves en sciences et de l'attitude du scientifique. C'est le doute, beaucoup plus que la certitude, qui caractérise le chercheur en sciences. Ce n'est pas cela qui fait la réelle différence avec la philo, différence qui est de nature : les questions ne sont pas les mêmes et du coup les arguments ne peuvent pas être de même nature. Par exemple, si je demande à un scientifique pourquoi je suis là, il va me répondre apparition de la vie, évolution des espèces, reproduction, etc. Si je pose la même question à un philosophe, il l'entend comme demande de sens à donner à ma vie. Les deux approches sont complémentaires et non contradictoires. La science donne des causes, la philo des raisons.

PS : si tu veux je peux aussi t'expliquer pour les maths, mais là je crois que j'ai déjà assommé tout le monde cafe , c'est pour ça qu'on ne fait pas trop d'épistémo en terminale, c'est vachement moins sexy que le bonheur, le désir, tout ça, parce que là au moins on peut parler de cul, c'est moins aride vache Le problème, c'est que dès que les TS entendent parler de sciences, ils hurlent à l'over-dose, quant aux autres, ils en ont la phobie, alors c'est délicat, mais j'explique quand même tout ça à mes élèves, mais en étalant la chose dans plusieurs cours :lecteur:

_________________
Une classe, c'est comme une boîte de chocolats, on sait jamais sur quoi on va tomber...
Lefteris
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Esprit sacré

Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 Empty Re: Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ...

par Lefteris Mer 21 Nov - 15:35
lene75 a écrit:
Dedale a écrit:
lene75 a écrit:Dedale, je te réponds dès que j'ai assez de temps pour développer un peu.
Merci! Wink

Me revoilà !

Alors, pour essayer de faire simple, il y a deux raisons de remettre en cause le caractère absolu de la vérité scientifique :

- Dans les sciences expérimentales (c'est visiblement ce dont tu parles), on utilise une méthode hypothético-déductive, qui consiste à émettre une hypothèse théorique (généralement de manière inductive, c'est-à-dire après avoir observé des faits qui nous font penser que...), à en déduire des implications expérimentales et à "vérifier" ces implications expérimentalement. Le problème étant qu'une expérience ou une observation ne sont jamais ni brutes ni univoques. D'une part, on ne peut jamais tester une hypothèse de manière isolée (c'est l'histoire du bateau de Neurath) et d'autre part, mais c'est lié, on a toujours nécessairement des "connaissances d'arrière-plan" (traduction littérale un peu maladroit de "background knowledge") qui déterminent la manière dont on interprète une observation : l'expérience est inévitablement liée à la théorie, qui influe donc non seulement sur l'interprétation mais sur la mesure elle-même. Il est assez communément admis qu'un fait ne peut jamais prouver une hypothèse - donc qu'il n'existe pas à proprement parler de "preuve" expérimentale - mais seulement la "corroborer", c'est-à-dire augmenter sa probabilité subjective, c'est-à-dire le degré de crédit qu'on lui accorde. Le point qui a plus posé problème, est celui de l'infirmation d'une hypothèse par l'expérience (à rapprocher de l'idée basique en maths selon laquelle un exemple ne peut rien prouver mais suffit à infirmer), c'est ce qu'on a appelé, à la suite de Bacon, l'expérience cruciale. La thèse Duhem-Quine consiste à montrer que, pour les raisons que j'ai exposées, une telle preuve est impossible. On ne peut donc ni définitivement prouver ni totalement infirmer une hypothèse par l'expérience. Ce caractère provisoire de la vérité scientifique permet de comprendre, et c'est mon 2e point, qu'il puisse y avoir une histoire des sciences.

Biblio pour débuter sur ce point : Chalmers, Qu'est-ce que la science ?, intro + chapitre 1, 2 et 3 (s'il fallait n'en lire qu'un : le 3 "La dépendance de l'observation). Lecture courte et facile (style anglo-saxon Very Happy ).
Pour la thèse Duhem-Quine : wikipedia, je suppose :lol: et dans De Vienne à Cambridge, "Les deux dogmes de l'empirisme" de Quine.

Sur l'idée fondamentale de Popper selon laquelle une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable ("falsifiable"), donc sur la place fondamentale du doute en sciences : Chalmers, chap 4, 5, 6. Là où il y a certitude, Vérité, ce n'est pas en sciences mais dans la religion, la magie ou encore la superstition.

- Pour qu'il puisse y avoir histoire des sciences, c'est-à-dire évolution de la pensée scientifique, il faut forcément que les vérités d'un jour ne soient plus celles du lendemain. Ce n'est pas un argument suffisant pour rejeter la vérité absolue en sciences. Quand on soutient la thèse de l'existence d'une vérité absolue en sciences on présuppose corrélativement, et je pense que c'est ton cas, une histoire des sciences de type linéaire : l'idée d'un progrès des sciences avec accumulation et progrès progressif des sciences vers plus de vérité. Dans ce cas, deux positions possibles : ou on considère qu'il a des erreurs qui sont corrigées (ex : Terre plate, théorie des épicycles, éther, etc.), le problème étant qu'à l'époque ces erreurs étaient considérées comme scientifiquement prouvées (-> comment pourrions-nous sérieusement prétendre qu'aujourd'hui n'existent plus d'erreurs de ce type en sciences ?), ou on considère que le progrès de la science se fait en allant de plus vers moins d'approximation (la physique newtonienne n'est pas fausse pour son domaine d'objet, c'est une bonne approximation de la mécanique quantique pour les objets macroscopiques), et là, on commence à être sur la corde raide et à risquer de tomber dans une position intrumentaliste (on appelle "vérité" en science ce qui est efficace), qui n'est pas condamnable en soi (c'est la position que je défends), mais qui remet fortement en cause la conception commune de ce qu'est une vérité scientifique. Mais, surtout, Kuhn a remis en cause cette idée d'une histoire linéaire des sciences en introduisant l'idée de révolution scientifique (la révolution corpernicienne étant la plus marquante) : dans l'histoire des sciences, il y a une succession de paradigmes, qui sont incommensurables, c'est-à-dire incomparables entre eux. Un paradigme (la science newtonienne par exemple), est un ensemble d'hypothèses théoriques, de lois et de techniques qu'adoptent les membres d'une communauté scientifique et à partir desquelles ils expliquent le monde. Le paradigme détermine à la fois les questions qu'on peut poser et les réponses qu'on peut accepter. Il y a changement de paradigme quand trop de faits ne peuvent plus être expliqués sans multiplication d'hypothèses ad hoc (rajoutées a posteriori) dans le paradigme en usage. Dans ces cas-là, en général, les vieux scientifiques résistent et ce sont de plus jeunes qui introduisent le nouveau paradigme. On ne peut pas dire que l'un ou l'autre des paradigmes soit plus vrai, puisque les différences conceptuelles qu'ils impliquent font qu'une affirmation dans l'un des paradigmes est incompréhensible dans l'autre : il n'y a aucune discussion, donc aucune comparaison possible. Ce qui fait adopter l'un ou l'autre des paradigmes est une simple question d'efficacité : on choisit le paradigme qui a un moment donné permet d'expliquer le plus de choses. En ce sens, Kuhn ne le dit pas, mais je pense qu'on peut considérer les théories scientifiques comme des modèles et non comme des descriptions de la réalité : l'efficacité d'un modèle ne donne aucune garantie qu'il décrive adéquatement la réalité, il y a une simple analogie de structure.

Biblio : Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (lecture difficile)
Sur les théories comme modèles, il y a de la littérature récente mais sur laquelle je ne me suis pas penchée, probablement de bonnes choses chez van Fraassen, qui est quelqu'un de fiable.

3e élément qui peut faire douter de la vérité des sciences actuelles : l'incompatibilité entre la mécanique quantique et la relativité générale. Normalement, d'un strict point de vue logique, deux théories incompatibles ne peuvent être vraies en même temps : soit l'une des deux est fausse, soit les deux le sont, or ces théories sont actuellement les meilleures que nous ayons, c'est-à-dire les plus adéquates pour expliquer le monde et agir dans le monde, bref, les plus efficaces, nous les considérons donc comme vraies alors qu'au sens premier du terme, elle ne peuvent pas l'être toutes les deux.

Finalement, l'opposition entre philosophie et sciences, courante chez les élèves de S, est assez rigolote, précisément parce que la philosophie en général, et l'épreuve scolaire de la dissertation plus encore, ressemblent beaucoup à la démarche scientifique (ce qui explique probablement que beaucoup de philosophes aient été des scientifiques, pour n'en citer que quelques-uns : Aristote, Descartes, Pascal, Leibniz, mais aussi, dans une moindre mesure Einstein, sans parler de tous les scientifiques du cercle de Vienne). Dans une dissertation, on construit un problème, soit de manière théorique, à partir de définitions, soit de manière empirique, à partir de faits ressaisis par des définitions (c'est une manière de voir l'amorce, "l'accroche" du début d'introduction). Ce problème va être résolu (ou dissout) en procédant à une étude méthodique, de forme démonstrative, consistant à avancer des hypothèses (chaque grande partie de la dissertation étudie une hypothèse), pour lesquelles on tente de trouver des preuves (ce sont les arguments, donc les paragraphes de chacune des parties), qu'on met à l'épreuve soit des faits, soit le plus souvent de la cohérence logique, pour trouver les failles du raisonnement (qui résident dans les conséquences de l'hypothèse avancée ou le plus souvent dans ses présupposés). C'est une méthode qui n'est pas très loin de celle consistant, pour un expérimentateur, à rechercher le "bruit" dans ses mesures. À partir de là, on rejette ou on complète l'hypothèse pour dépasser les difficultés : c'est le passage à la partie suivante, qui consiste à étudier une nouvelle hypothèse ou une version améliorée de la précédente. La dernière hypothèse soutenue est appelée thèse parce que c'est celle qu'on défend parce qu'on pense avoir trouvé de bons arguments (= des preuves) en faveur de sa validité. On a souvent tendance à dire que la différence entre la philo et la science est que les "preuves" en philo sont toujours contestables et que, justement, le philosophe ne cesse de s'interroger sur ses propres présupposés, ce que ne ferait pas le scientifique, mais, précisément, il en est de même des preuves en sciences et de l'attitude du scientifique. C'est le doute, beaucoup plus que la certitude, qui caractérise le chercheur en sciences. Ce n'est pas cela qui fait la réelle différence avec la philo, différence qui est de nature : les questions ne sont pas les mêmes et du coup les arguments ne peuvent pas être de même nature. Par exemple, si je demande à un scientifique pourquoi je suis là, il va me répondre apparition de la vie, évolution des espèces, reproduction, etc. Si je pose la même question à un philosophe, il l'entend comme demande de sens à donner à ma vie. Les deux approches sont complémentaires et non contradictoires. La science donne des causes, la philo des raisons.

PS : si tu veux je peux aussi t'expliquer pour les maths, mais là je crois que j'ai déjà assommé tout le monde cafe , c'est pour ça qu'on ne fait pas trop d'épistémo en terminale, c'est vachement moins sexy que le bonheur, le désir, tout ça, parce que là au moins on peut parler de cul, c'est moins aride vache Le problème, c'est que dès que les TS entendent parler de sciences, ils hurlent à l'over-dose, quant aux autres, ils en ont la phobie, alors c'est délicat, mais j'explique quand même tout ça à mes élèves, mais en étalant la chose dans plusieurs cours :lecteur:

Très bon cours. Stage sur néoprofs validé....
Ah Chalmers ! Ca me rappelle un temps lointain, avant que je ne bifurquasse, via la philo antique, vers le grec, puis vers les lettres.
Il faudrait que les professeurs de philosophie enseignent non seulement en terminale, mais interviennent sur des sujets plus précis, très tôt, en donnant des cours que je qualifierais de "propédeutiques", notamment en épistémologie, en complément de diverses matières , pour rendre les élèves plus réceptifs, plus ouverts aux savoirs.
En effet, des élèves par ailleurs superstitieux , perméables à la pensée magique, et crédules (informations, publicité) mettent en doute sans raison la validité d'une connaissance, en utilisant un raisonnement absurde : du type "Puisque l'on ne sait pas tout, on ne sait rien, donc ce que vous enseignez est peut-être faux". Ce type de raisonnement -fréquent et que je crois avoir entendu nommer par des philosophe l'"hypercriticisme"- n'est ni plus ni moins que celui des obscurantistes au cours des siècles, rejoints par une variante, les négationnistes . Il constitue une vraie barrière à l'ouverture de la pensée.
Un professeur, donc, extérieur à chaque matière prise individuellement, mais donnant une approche rudimentaire de plusieurs (épistémologie, philosophie de l'histoire, réflexion sur les arts, lien de la philosophie et de la littérature...) permettrait peut-être de briser des blocages mentaux, et surtout d'avoir une approche globalisante de l'activité de l'esprit. Je rappelais à une classe (nous évoquions les représentations du monde dans l'Antiquité) que la naissance de l'esprit scientifique procédait des grandes interrogations sur l'univers, sur sa raison d'être, sur la place de l'homme.

Quand on parle à plein bouche de décloisonnement , ça serait peut-être mieux que des projets transversaux amenés aux forceps à grand renforts de compétences capillotractées Twisted Evil
Je sais, je suis un doux rêveur...

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Gallica Musa mihi est, fateor, quod nupta marito. Pro domina colitur Musa latina mihi.

Δεν ελπίζω τίποτα, δεν φοβούμαι τίποτα, είμαι λεύτερος (Kazantzakis).
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Kosakuyosida
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par Kosakuyosida Mer 21 Nov - 15:39
stench a écrit:J'étais élève en STI à l'époque, donc très peu de philo (si mes souvenirs sont bons, c'était deux heures par semaine), et surtout une classe pas receptive du tout. Il faut bien avouer qu'il y avait un fossé énorme entre les heures d'atelier (où tout le monde se promène en liberté avec des travaux manuels et pratique) et la philo où il fallait rester assis et réfléchir à des notions parfois complètement abstraites pour nous.
Idem en STI. J'arrivais pourtant avec un a priori positif.... un cours plus tard, ce fut terminé. Le type d'élèves que l'on rencontre généralement dans cette filière n'incite peut-être pas non plus l'enseignant à faire un cours dialogué !

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Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets.
Alfred Sauvy.
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Kosakuyosida
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Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 Empty Re: Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ...

par Kosakuyosida Mer 21 Nov - 15:41
lene75 a écrit:PS : si tu veux je peux aussi t'expliquer pour les maths
Très intéressé, comme par ce que tu as écrit auparavant.

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Ronin
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par Ronin Mer 21 Nov - 16:53
Lene75, très intéressant, merci.

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sano
Niveau 3

Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 Empty Re: Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ...

par sano Mer 21 Nov - 19:38
Un cours génial I love you . Le prof était vraiment exceptionnel : de la discipline avant toute chose (certains le craignaient vraiment), de la discussion, beaucoup de provocation pour nous faire réellement réfléchir, et bien sûr les notions essentielles. Il m'a énormément apporté, tant au niveau scolaire que personnel...
Amaliah
Amaliah
Empereur

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par Amaliah Mer 21 Nov - 20:52
Palombella Rossa, tes mots m'ont beaucoup émue...

Pour ma part un vieux prof qui s'écoutait parler de Descartes pendant 8h par semaine et qui nous aimait tellement qu'il avait proposé à huit d'entre nous d'avoir 1h de cours en plus sur Kant. On n'avait pas osé refuser... C'était l'horreur : aucun cours clair, structuré. J'en étais réduite à me taper des fiches par moi-même. 14 au bac. Et de toute façon, j'aimais tellement le français que je ne pouvais pas complètement accrocher avec la philo.

En hypokhâgne, j'ai un souvenir terriblement looooong de Spinoza, mais avec un prof brillant. En khâgne c'était moins brillant mais beaucoup plus structuré. J'ai même eu un 11 au concours de Normale Sup la deuxième année.

Mon intérêt variait également selon les thèmes abordés. Lors de ma deuxième khâgne, le thème était "L'imaginaire", c'était chouette! "L'histoire" pour la première, intéressant aussi!
philann
philann
Doyen

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par philann Mer 21 Nov - 21:22
Lefteris a écrit:
Ruthven a écrit:Un peu désespéré par le rapport de mes élèves à la philo (et à mes cours), je lance un sondage. Ils m'ont dit aujourd'hui qu'ils ne comprenaient rien en cours, que j'employais des mots trop compliqués (aujourd'hui on a vu prévention, précipitation et argument d'autorité). Une affirmation du type :"un argument d'autorité ne vaut que par la position de celui qui l'énonce" est inaudible ... J'ai un peu l'impression qu'il faut désormais en rester à la discussion des faits de société pour pouvoir capter leur attention (je ne parle pas de gros rebelles, mais d'élèves très scolaires). Bref, j'ai l'impression que dans trois ou quatre, la philo sera remplacée par un vague vernis de culture générale.
Ne désespère pas, il arrive qu'une graine jetée au hasard germe et bourgeonne .
La philo, indirectement, a fait de moi un prof . Voici comment : au lycée, ça m'ennuyait , mais pas plus que le reste -hormis le sport, et comme j'étais en L (enfin A à l'époque), je faisais quand même le minimum syndical. J'ai eu par hasard une bonne note au bac, une des meilleures du lycée, alors que tout le reste était médiocre (pour l'époque). Puis j'ai fait tout autre chose, engagé, et même si la philo n'était pas la préoccupation première dans les paras, j'ai repris le goût de la lecture, seul loisir possible d'ailleurs quand on est à droite à gauche, jour et nuit . Puis j'ai encore changé de métier après ce contrat (rien à voir non plus, plutôt juridique) et comme gros dévoreur j'ai étudié pour le plaisir de la philo, bien sûr, mais sans aucun but. Ca m'a fait apprendre le grec ( au départ juste pour être moins khon face aux notes de certains livres) , dans lequel j'ai mordu , et j'ai bifurqué sur les lettres, toujours en activité annexe, dérivative.
Un jour, bien longtemps après tout ça, il m' a fallu changer de boulot , et voilà ... Si je n'avais pas ouvert des livres de philo Rolling Eyes

Chouette parcours, Lefteris!!! Very Happy
Reine Margot
Reine Margot
Demi-dieu

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par Reine Margot Mer 21 Nov - 21:30
Ruthven a écrit:
leyade a écrit:Juste pour rigoler, Ruthven pourrait nous donner le top 5 des sujets les plus infaisables...
Je me souviens d'une grosse légende urbaine, un prof qui avait fait un cours sur "la notion de concept", et le cours suivant : "le concept de notion".

J'ai eu au concours de l'ENS : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" (avec les guillemets) ... Je ne vois pas trop de sujet infaisable.

Le cours sur "notion de concept et concept de notion" est quelque chose de possible (je sais, on a parfois des idées bizarres et une tendance à couper les cheveux en cent cinquante).

une amie à eu au concours d'Ulm...."le sexe des anges"...si.

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Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
Lefteris
Lefteris
Esprit sacré

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par Lefteris Mer 21 Nov - 21:34
philann a écrit:
Lefteris a écrit:
Ruthven a écrit:Un peu désespéré par le rapport de mes élèves à la philo (et à mes cours), je lance un sondage. Ils m'ont dit aujourd'hui qu'ils ne comprenaient rien en cours, que j'employais des mots trop compliqués (aujourd'hui on a vu prévention, précipitation et argument d'autorité). Une affirmation du type :"un argument d'autorité ne vaut que par la position de celui qui l'énonce" est inaudible ... J'ai un peu l'impression qu'il faut désormais en rester à la discussion des faits de société pour pouvoir capter leur attention (je ne parle pas de gros rebelles, mais d'élèves très scolaires). Bref, j'ai l'impression que dans trois ou quatre, la philo sera remplacée par un vague vernis de culture générale.
Ne désespère pas, il arrive qu'une graine jetée au hasard germe et bourgeonne .
La philo, indirectement, a fait de moi un prof . Voici comment : au lycée, ça m'ennuyait , mais pas plus que le reste -hormis le sport, et comme j'étais en L (enfin A à l'époque), je faisais quand même le minimum syndical. J'ai eu par hasard une bonne note au bac, une des meilleures du lycée, alors que tout le reste était médiocre (pour l'époque). Puis j'ai fait tout autre chose, engagé, et même si la philo n'était pas la préoccupation première dans les paras, j'ai repris le goût de la lecture, seul loisir possible d'ailleurs quand on est à droite à gauche, jour et nuit . Puis j'ai encore changé de métier après ce contrat (rien à voir non plus, plutôt juridique) et comme gros dévoreur j'ai étudié pour le plaisir de la philo, bien sûr, mais sans aucun but. Ca m'a fait apprendre le grec ( au départ juste pour être moins khon face aux notes de certains livres) , dans lequel j'ai mordu , et j'ai bifurqué sur les lettres, toujours en activité annexe, dérivative.
Un jour, bien longtemps après tout ça, il m' a fallu changer de boulot , et voilà ... Si je n'avais pas ouvert des livres de philo Rolling Eyes

Chouette parcours, Lefteris!!! Very Happy
Je ne dirais pas ça comme ça : j'ai été poussé par les circonstances. "Fata nolentem trahunt", disait Sénèque humhum

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"La réforme [...] c'est un ensemble de décrets qui s'emboîtent les uns dans les autres, qui ne prennent leur sens que quand on les voit tous ensemble"(F. Robine , expliquant sans fard la stratégie du puzzle)

Gallica Musa mihi est, fateor, quod nupta marito. Pro domina colitur Musa latina mihi.

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Reine Margot
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par Reine Margot Mer 21 Nov - 21:34
kiwi a écrit:
Clarinette a écrit:Ce n'est pas la première fois que je me fais la réflexion, mais manifestement, je me suis toujours intéressée davantage aux disciplines qu'aux profs qui l'enseignaient : la majorité de mes profs d'anglais étaient vraiment mauvais, et pourtant, je voue à cette langue un amour immodéré depuis le collège.
Je me souviens m'être régalée en seconde en découvrant Phèdre, entre autres, avec un prof ignoble, sadique, et unanimement détesté.
Idem pour la philo : mauvais prof, mais éblouissement devant le chatoiement des idées.

A l'inverse, j'avais décidé en fin de troisième que je n'aimais pas les maths, et je n'ai plus jamais travaillé dans cette matière (je m'y suis remise avec un stupéfiant plaisir à l'IUFM) : pourtant, j'ai eu en seconde un prof adorable, qui a tout fait pour me rendre les maths captivantes, en vain.

Suis-je la seule ici dans ce cas, à avoir à ce point dissocié prof et discipline ? Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 3795679266

Je pense qu'arrivé au lycée, un élève est capable de faire la différence entre le prof et la discipline. Un prof sympa ne fait pas forcément de bons cours et vis versa. Mais pour apprécier une discipline, il faut encore avoir un peu de contenu... Toi tu as aimé Phèdre parce que ce prof avait fait un bon cours sur Phèdre. Tu peux faire fie de la personnalité du prof à condition que tu aies de la matière. Quand tu n'as pas de matière, et qu'en plus la personnalité du prof fait que tu ne l'aimes pas, difficile dans ces conditions d'aimer la discipline.

oui, mais je pense qu'apprécier une matière indépendamment du prof c'est surtout pour les élèves pas mauvais voire très bons, qui sont déjà dans le "bain" de la culture scolaire et savent déjà s'intéresser à plein de choses culturelles sans passer par un prof.

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par Clarinette Mer 21 Nov - 22:03
Oui, tu as raison : j'ai eu la chance d'être élevée dans un milieu familial très riche intellectuellement et culturellement, avec une énôôôrme bibliothèque. Smile
L'effet prof est sans doute beaucoup plus important chez des élèves n'ayant que l'école pour les ouvrir culturellement.
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par NLM76 Mer 21 Nov - 22:06
Un cours génial... parce qu'aujourd'hui encore me hante ce que j'y ai découvert, en TC. Platon, en particulier sur le langage. Nature et culture. La science. L'opinion.

Pourtant c'était une vieille bique qui dictait un cours assez incompréhensible, que je ne notais pas parce que je digérais — les cours étaient placés juste après une pause méridienne raccourcie —, parce que je n'ai jamais pu "noter" un cours, parce que je m'emm... comme un rat mort, parce que j'étais un petit con... nous séchions assez souvent ses cours et étions insupportables avec elles.
Je me tapais alternativement 02/20 et 14/20, sans comprendre pourquoi.

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Sites du grip :
  • http://instruire.fr
  • http://grip-editions.fr

Mon site : www.lettresclassiques.fr

«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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par lene75 Jeu 22 Nov - 16:40
Je vous fais le topo sur les maths, alors. C'est plus simple, en fait.

En maths, la preuve n'est pas d'expérience mais démonstrative. Or la définition d'une démonstration, c'est qu'on tire une conclusion à partir de prémisses (= ce qui est considéré comme acquis au début de la démonstration) selon une démarche logique rigoureuse déductive qui assure normalement que si les prémisses sont vraies, la conclusion sera vraie elle aussi. Même en ne remettant pas en cause la déduction elle-même, il y a un problème au niveau des prémisses, donc du point de départ de la démonstration : qu'est-ce qui assure leur vérité ? Elle peuvent être elles-mêmes le résultat de démonstrations antérieures, mais il en a bien fallu une 1re, on ne peut pas partir de rien, ou alors il y aurait circularité (on présuppose ce qui est à démontrer) ou régression à l'infini (on court sans fin après le 1er principe qu'on attend jamais puisque chaque nouveau principe doit à son tour être démontré). [Sur ce point, voir Pascal, De l'esprit géométrique]

Les conclusions des démonstrations mathématiques ont donc pour seule vérité celle de leurs prémisses. Il existe 3 types de prémisses : les définitions, pour lesquelles la question de la vérité ne se pose pas, les axiomes, dont on considère qu'ils n'ont pas à être démontrés car leur vérité est évidente (critère de vérité très discutable) et les postulats, qui sont des affirmations non démontrables que l'on demande d'accepter (= on ne nous fournit aucune assurance de leur vérité). Tout ce que nous disent les maths, c'est que si (et seulement si) les prémisses sont vraies, ce qu'on ne sait en fait pas, alors la conclusion sera vraie. En philo, on parle de vérité cohérence dans ce cas, qui se définit comme le fait qu'il n'y ait aucune contradiction logique à l'intérieur d'un ensemble fermé : la seule vérité des mathématiques est celle de leur cohérence interne. Pour ce qui est de ce qu'on appelle habituellement la vérité, c'est-à-dire la vérité correspondance ou adéquation (= adéquation entre ce qui est affirmé et la réalité), les maths, qui sont une science formelle, ne peuvent rien nous en dire par elles-mêmes, sauf à accepter l'idée d'évidence. Pour dire quelque chose de la vérité correspondance des maths, il faut se référer à l'expérience, et à tous les problèmes que j'ai pointés quant à la valeur de preuve de l'expérience.

C'est ainsi qu'il existe différents édifices mathématiques, en fonction des prémisses admises. Les maths qu'on utilise couramment sont les maths euclidiennes, mais il existe des géométries non euclidiennes, qui sont totalement différentes. L'exemple connu, c'est celui de la remise en question du 5e postulat d'Euclide (par un point extérieur à une droite il passe une et une seule parallèle à cette droite). Dans la géométrie de Lobatchevski, ce 5e postulat est remplacé par "par un point extérieur à une droite, on peut mener une infinité de parallèles à cette droite", ce qui donne une géométrie totalement différente de celle d'Euclide. Dans la géométrie de Riemann, il est remplacé par "par un point extérieur à une droite on ne peut mener aucune parallèle", ce qui donne à nouveau une géométrie totalement différente. Toutes ces géométries sont aussi "vraies" les unes que les autres. Le seul critère pour les départager serait le rapport à l'expérience. La géométrie euclidienne fonctionne bien pour le monde dans lequel nous vivons au quotidien, c'est bien pour ça que c'est la plus intuitive. Ce qui donne sa force à la géométrie riemanienne, qui elle n'est pas du tout intuitive, c'est qu'elle permet de formaliser la relativité générale (théorie développée après la géométrie riemanienne, et indépendamment d'elle, ce qui n'est pas sans intérêt). En gros, on en est encore ramené au critère d'efficacité pour déterminer la vérité ou non d'une théorie scientifique. On peut alors dire qu'on appelle "vraie" une théorie scientifique tant qu'elle n'est pas contredite par les faits mais permet au contraire de les expliquer, ce qui, encore une fois, ne garantit en rien qu'elle décrive le réel tel qu'il est effectivement.

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par lene75 Jeu 22 Nov - 16:53
PS pour Lefteris : je ne crois pas vraiment que l'introduction d'interventions ponctuelles de profs de philo avant la terminale puisse être d'une quelconque efficacité, bien que ce soit une des options envisagées en haut lieu pour faire progressivement disparaître le cours de philo de terminale. Comme je le disais, on a déjà un mal de chien à intéresser nos terminales à ce genre de choses et à les amener à comprendre ces développements, qui sont pour eux très très compliqués (et pour tout dire totalement dénués d'intérêt de leur point de vue). Je doute que ça se passe mieux avec des élèves plus jeunes, donc moins outillés conceptuellement, et dans le cadre d'interventions ponctuelles, c'est-à-dire considérées par les élèves comme une heure de récré. Ce qui serait à mon avis en revanche fructueux serait de former les profs de sciences à l'épistémologie, pour qu'ils préparent le terrain tout en douceur par des petites remarques ponctuelles et étalées dans le temps, mais aussi probablement par la manière de présenter le cours qui pourrait légèrement différer grâce à cet arrière-fond de connaissances. J'ai hérité d'élèves qui avaient bénéficié de tels profs et le terrain était vraiment bien préparé pour moi. Après, ce n'est pas forcément une expérience généralisable (il faut se méfier de l'induction professeur ) parce que c'étaient des élèves culturellement privilégiés, mais ça me paraît être une piste intéressante à creuser. Inversement, j'ai eu en tant qu'élève en fac de physique une prof qui s'intéressait à la philo et ça se ressentait dans la manière de présenter ses cours : elle insistait toujours sur le sens physique de ce qu'elle nous apprenait (sans aucun discours philosophique au sens propre, la différence était vraiment dans sa manière de présenter les concepts physiques), alors que beaucoup de profs, même à ce niveau, étaient le nez dans le guidon et dans les calculs. À vrai dire, je n'imaginais même pas que les profs de sciences puissent n'avoir jamais fait d'épistémologie !

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par Mareuil Jeu 22 Nov - 17:25
lene75 a écrit:Je vous fais le topo sur les maths, alors. C'est plus simple, en fait.

En maths, la preuve n'est pas d'expérience mais démonstrative. Or la définition d'une démonstration, c'est qu'on tire une conclusion à partir de prémisses (= ce qui est considéré comme acquis au début de la démonstration) selon une démarche logique rigoureuse déductive qui assure normalement que si les prémisses sont vraies, la conclusion sera vraie elle aussi. Même en ne remettant pas en cause la déduction elle-même, il y a un problème au niveau des prémisses, donc du point de départ de la démonstration : qu'est-ce qui assure leur vérité ? Elle peuvent être elles-mêmes le résultat de démonstrations antérieures, mais il en a bien fallu une 1re, on ne peut pas partir de rien, ou alors il y aurait circularité (on présuppose ce qui est à démontrer) ou régression à l'infini (on court sans fin après le 1er principe qu'on attend jamais puisque chaque nouveau principe doit à son tour être démontré). [Sur ce point, voir Pascal, De l'esprit géométrique]

Les conclusions des démonstrations mathématiques ont donc pour seule vérité celle de leurs prémisses. Il existe 3 types de prémisses : les définitions, pour lesquelles la question de la vérité ne se pose pas, les axiomes, dont on considère qu'ils n'ont pas à être démontrés car leur vérité est évidente (critère de vérité très discutable) et les postulats, qui sont des affirmations non démontrables que l'on demande d'accepter (= on ne nous fournit aucune assurance de leur vérité). Tout ce que nous disent les maths, c'est que si (et seulement si) les prémisses sont vraies, ce qu'on ne sait en fait pas, alors la conclusion sera vraie. En philo, on parle de vérité cohérence dans ce cas, qui se définit comme le fait qu'il n'y ait aucune contradiction logique à l'intérieur d'un ensemble fermé : la seule vérité des mathématiques est celle de leur cohérence interne. Pour ce qui est de ce qu'on appelle habituellement la vérité, c'est-à-dire la vérité correspondance ou adéquation (= adéquation entre ce qui est affirmé et la réalité), les maths, qui sont une science formelle, ne peuvent rien nous en dire par elles-mêmes, sauf à accepter l'idée d'évidence. Pour dire quelque chose de la vérité correspondance des maths, il faut se référer à l'expérience, et à tous les problèmes que j'ai pointés quant à la valeur de preuve de l'expérience.

C'est ainsi qu'il existe différents édifices mathématiques, en fonction des prémisses admises. Les maths qu'on utilise couramment sont les maths euclidiennes, mais il existe des géométries non euclidiennes, qui sont totalement différentes. L'exemple connu, c'est celui de la remise en question du 5e postulat d'Euclide (par un point extérieur à une droite il passe une et une seule parallèle à cette droite). Dans la géométrie de Lobatchevski, ce 5e postulat est remplacé par "par un point extérieur à une droite, on peut mener une infinité de parallèles à cette droite", ce qui donne une géométrie totalement différente de celle d'Euclide. Dans la géométrie de Riemann, il est remplacé par "par un point extérieur à une droite on ne peut mener aucune parallèle", ce qui donne à nouveau une géométrie totalement différente. Toutes ces géométries sont aussi "vraies" les unes que les autres. Le seul critère pour les départager serait le rapport à l'expérience. La géométrie euclidienne fonctionne bien pour le monde dans lequel nous vivons au quotidien, c'est bien pour ça que c'est la plus intuitive. Ce qui donne sa force à la géométrie riemanienne, qui elle n'est pas du tout intuitive, c'est qu'elle permet de formaliser la relativité générale (théorie développée après la géométrie riemanienne, et indépendamment d'elle, ce qui n'est pas sans intérêt). En gros, on en est encore ramené au critère d'efficacité pour déterminer la vérité ou non d'une théorie scientifique. On peut alors dire qu'on appelle "vraie" une théorie scientifique tant qu'elle n'est pas contredite par les faits mais permet au contraire de les expliquer, ce qui, encore une fois, ne garantit en rien qu'elle décrive le réel tel qu'il est effectivement.
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par Lefteris Jeu 22 Nov - 17:59
lene75 a écrit:PS pour Lefteris : je ne crois pas vraiment que l'introduction d'interventions ponctuelles de profs de philo avant la terminale puisse être d'une quelconque efficacité, bien que ce soit une des options envisagées en haut lieu pour faire progressivement disparaître le cours de philo de terminale. Comme je le disais, on a déjà un mal de chien à intéresser nos terminales à ce genre de choses et à les amener à comprendre ces développements, qui sont pour eux très très compliqués (et pour tout dire totalement dénués d'intérêt de leur point de vue). Je doute que ça se passe mieux avec des élèves plus jeunes, donc moins outillés conceptuellement, et dans le cadre d'interventions ponctuelles, c'est-à-dire considérées par les élèves comme une heure de récré. Ce qui serait à mon avis en revanche fructueux serait de former les profs de sciences à l'épistémologie, pour qu'ils préparent le terrain tout en douceur par des petites remarques ponctuelles et étalées dans le temps, mais aussi probablement par la manière de présenter le cours qui pourrait légèrement différer grâce à cet arrière-fond de connaissances. J'ai hérité d'élèves qui avaient bénéficié de tels profs et le terrain était vraiment bien préparé pour moi. Après, ce n'est pas forcément une expérience généralisable (il faut se méfier de l'induction professeur ) parce que c'étaient des élèves culturellement privilégiés, mais ça me paraît être une piste intéressante à creuser. Inversement, j'ai eu en tant qu'élève en fac de physique une prof qui s'intéressait à la philo et ça se ressentait dans la manière de présenter ses cours : elle insistait toujours sur le sens physique de ce qu'elle nous apprenait (sans aucun discours philosophique au sens propre, la différence était vraiment dans sa manière de présenter les concepts physiques), alors que beaucoup de profs, même à ce niveau, étaient le nez dans le guidon et dans les calculs. À vrai dire, je n'imaginais même pas que les profs de sciences puissent n'avoir jamais fait d'épistémologie !
Effectivement, ce que j'ai souligné en gras me paraît un argument de poids. Mais quoi qu'il en soit, la philosophie devrait être plus présente partout, étant donné les liens qu'elle tisse entre tous les domaines de la réflexion et de l'activité humaines. "science sans conscience..."

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par lene75 Jeu 22 Nov - 21:56
Lefteris a écrit:En attendant , ouvre un compte Paypal pur recevoir le prix de tes cours en ligne Wink Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 2252222100

J'ai l'habitude de bosser à l'oeil : je suis prof :lol:

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par Lefteris Jeu 22 Nov - 22:03
lene75 a écrit:
Lefteris a écrit:En attendant , ouvre un compte Paypal pur recevoir le prix de tes cours en ligne Wink Votre rapport à la philo quand vous étiez élève ... - Page 10 2252222100

J'ai l'habitude de bosser à l'oeil : je suis prof :lol:
Tu as de la chance d'être aussi bien habituée. Bon, Socrate aussi enseignait gratis ... Smile

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