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La lettre écrite par Pierre Jacque avant son suicide : le métier de prof n'est "plus acceptable en conscience". - Page 15 Empty Re: La lettre écrite par Pierre Jacque avant son suicide : le métier de prof n'est "plus acceptable en conscience".

par Ergo Mer 2 Sep 2020 - 20:38
Merci pour ce message, Graisse-Boulons. J'ai l'impression qu'avant ce drame, on est passé complètement à côté de ce qui était en train de se faire...
(Je ne parle peut-être que pour moi, cela dit.)
Puck
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par Puck Mer 2 Sep 2020 - 21:14
Je plussoie tristement, Ergo.

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"Ce que nous avons fait, aucune bête au monde ne l'aurait fait. 
Mais nous nous en sommes sortis. Et nous voici confrontés à l'ingratitude de la nation. Pourtant, c'était pas ma guerre. C'était pas ma guerre, oh non !"
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par Austrucheerrante Mer 9 Sep 2020 - 6:19
Austrucheerrante a écrit:Merci Ergo Like a Star @ heaven

J'avais punaisé la lettre en salle des profs l'an dernier. Les deux tiers y sont toujours, une page est partie sans que ça choque personne. Je ne suis pas très optimiste pour l'avenir de la profession.

Finalement, refait cette semaine pour cette année.
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par TrucOuBidule Mer 9 Sep 2020 - 10:25
Ergo a écrit:Merci pour ce message, Graisse-Boulons. J'ai l'impression qu'avant ce drame, on est passé complètement à côté de ce qui était en train de se faire...
(Je ne parle peut-être que pour moi, cela dit.)

Bonjour,
et là : https://www.neoprofs.org/t130239-stagiaire-en-technologie-college#5048582, c'est une des conséquences de cette merveilleuse réforme, très bien pensée au niveau humain, en 2020...
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Capet Techno 2006, immobilisée par l'institution par ses fameuses barres en IDF depuis, malgré les manques en techno un peu partout ailleurs (autre conséquence).
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par Mille Mer 9 Sep 2020 - 18:06
adrifab a écrit:Aucun métier ne justifie qu'on sacrifie sa vie pour lui. Je vais vous paraître cruel mais je trouve son acte totalement stupide. Prendre les choses à coeur à ce point là est totalement irrationnel.

Le métier d'enseignant est au plus près de ceux qui font la relève de la société et des lames de fond qui la traversent. Quand on en vient à désespérer de son enseignement et du sens de ce métier particulier, c'est qu'on désespère de la civilisation elle-même, de toute possibilité de "progrès". Du désespoir, du vrai. Rien d' "irrationnel", donc, finalement, à ne trouver de réconfort nulle part à la fin de sa journée. Il faut prendre ce témoignage au sérieux (qui est un "appel au secours"... pour ceux qui restent).
Lédissé
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Esprit sacré

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par Lédissé Mer 9 Sep 2020 - 18:41
Merci, Mille, de ce message très juste.

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par Ergo Mer 1 Sep 2021 - 9:06

Le 1 septembre 2013

De Pierre JACQUE
Enseignant d'électronique

Objet : Evolution du métier d'enseignant.

A ma famille, à mes proches
et à tous ceux que mon témoignage intéressera.

Je vous fais part de ma décision de ne pas faire la rentrée scolaire 2013. En effet le métier tel qu'il est devenu au moins dans ma spécialité ne m'est plus acceptable en conscience.

Pour éclairer ma décision je vous décris succinctement mon parcours personnel. Je suis devenu ingénieur en électronique en 1982 à l'âge de 24 ans. Ma formation initiale et surtout mon parcours professionnel m'ont amené à exercer dans la double compétence "hard" et "soft". Le métier prenant et difficile m'a toujours convenu tant que j'avais le sentiment de faire œuvre utile et d'être légitime dans mon travail. Passé la quarantaine la sollicitation de plus en plus pressente d'évoluer vers des tâches d'encadrement et le sort réservé à mes ainés dans mon entreprise m'ont incité à changé d'activité. En 1999 j'ai passé le concours du capet externe de génie électrique et j'ai enseigné en section SSI et STI électronique. Le choc pour moi fut brutal de constater la baisse de niveau des sections techniques en 18 ans passé dans l'industrie notamment pour la spécialité agent technique (niveau BTS ou DUT suivant les cas). Même si le niveau enseigné était bien bas de mon point de vue, ma compétence était au service des élèves et je me sentais à ma place. Une difficulté était quand même le référentiel applicable (le programme) datant des années 80, ambitieux pour l'époque et en total décalage avec le niveau réel des élèves des années 2000. Une réforme semblait souhaitable pour officialiser des objectifs réalistes et orientés en fonction des besoins du marché du travail.

Puis vint la réforme de 2010 mise en place par Luc Chatel et applicable à la rentrée 2011. Pour le coup, le terme réforme est faible pour décrire tous les changements mis en place dans une précipitation totale. L'enseignement des métiers est réduit à peu de choses dans le référentiel de 4 spécialités seulement qui constitue des "teintures" sur un tronc commun généraliste d'une section unique appelée STI2D qui rentre bizarrement en concurrence avec la section SSI. L'électronique disparait purement et simplement. En lieu et place il apparait la spécialité "Systèmes Informatiques et Numériques". Cela ne me pose pas de problème personnel, je maitrise bien le domaine et je l'enseigne même plus volontiers que les classiques problèmes de courant de diode ou de montages amplificateurs. Je me pose quand même la question de la compétitivité de notre pays dans le domaine industriel avec un pareil abandon de compétence. La mise en place de la réforme est faite à la hussarde dans un état d'affolement que l'inspection a du mal à dissimuler. Entre temps le gouvernement a changé sans que les objectifs soient infléchis le moins du monde ou qu'un moratoire soit décidé, ne serait-ce qu'à cause du coût astronomique de cette réforme. En effet il aura fallu réorganiser l'implantation de tous les ateliers de tous les lycées techniques de France, abattre des cloisons, en remonter d'autres à coté, refaire tous les faux plafonds, les peintures et renouveler les mobiliers. Ceci est fait à l'échelle du pays sans que la réforme ait été testée préalablement dans une académie pilote. Début 2011, l'inspection nous convoque en séminaire pour nous expliquer le sens et les modalités de la réforme ; il apparait la volonté de supprimer toute activité de type cours ce qui est la radicalisation d'une tendance déjà bien marquée. On nous assène en insistant bien que l'élève est acteur de son propre savoir, qu'il en est le moteur. Pour les spécialités, donc la mienne SIN entre autre, cela signifie qu'une partie conséquente de l'activité sera de type projet. A l'époque les chiffres restent vagues, il est question de 50% du temps au moins. La nature des projets, la façon de les conduire, la façon de les évaluer ne sont pas évoquées et les questions que posent les enseignants à ce sujet restent sans réponses, nous serons mis au courant après la rentrée de septembre. En attendant l'inspection nous fait entièrement confiance pour continuer comme d'habitude. Je fais remarquer qu'il ne faudra pas tarder car nous préparons les élèves au bac en deux ans et que la connaissance des modalités d'examens est incontournable rapidement après la rentrée pour un travail efficace, c'est-à-dire sans perte de temps. Lors de la réunion suivante, après la rentrée 2011, l'inspecteur répond un peu agacé à la même question "que notre travail c'est d'enseigner et que l'évaluation verra après" (sic). En attendant le travail devant élève est commencé et moi et mes collègues travaillons à l'estime. Le manque de matériel se fait cruellement sentir dans mon lycée, les travaux nécessaires ne seront faits qu'à l'été 2012. Lors d'une réunion aux alentours de février il nous est demandé pour la prochaine réunion d'exposer l'état d'avancement de la réforme et si possible les projets envisagés ou mieux déjà mis en œuvre. A ce moment je viens juste de recevoir un premier lot de matériel et je ne dispose du logiciel correspondant que depuis novembre. La pression amicale mais réelle pour commencer les projets va aller augmentant.

J'ai un groupe de 16 élèves et un autre de 15 dans une salle qui est déjà trop étroite pour recevoir proprement 14 élèves en travaux pratiques et avec un matériel réduit qui ne me permets qu'un choix très restreint de sujets. La phase passée en projet sera cauchemardesque pour l'enseignant et la fraction d'élèves sérieux. Le dernier mois de cette année de première sera passé en activités plus classiques. A la rentrée 2012 les élèves sont maintenant en terminale, j'ai les tables de travail prévues dans une salle provisoire de 80 m2 au lieu des 140 m2 prévus. Il est difficile de bouger, le travail en travaux pratiques reste possible et je couvre ainsi la partie communication réseau de référentiel au moyen d'un logiciel de simulation. Je ne dispose pas du matériel support. On me bricole une salle de 150 m2 à partir de deux salles de cours séparées par un couloir et j'attaque les projets dans ces conditions. Le couloir sera abattu aux vacances de février.

Pendant ce temps nous avons appris que la note du bac porterait uniquement sur le projet final est que la note serait constituée de deux parties égales, une attribuée par un jury en fin d'année suite à une soutenance orale avec support informatique, l'autre attribuée par l'enseignant de l'année au vu du travail fourni par les élèves. Les critères d'évaluation portent principalement sur la gestion de projet et la démarche de développement durable. Il est explicitement exclu de juger les élèves sur les performances et la réussite du projet. Ceci appelle deux remarques. La première est que les critères sont inadaptés, les élèves sont incapables de concevoir et même de gérer un projet par eux-mêmes. De plus la démarche de développement durable est une plaisanterie en spécialité SIN où l'obsolescence programmée est la règle. Comment note-t-on alors les élèves ? A l'estime, en fonction de critères autres, l'inspection le sait mais ne veut surtout pas que la chose soit dite. Du coup cette note relève "du grand n'importe quoi" et ne respecte aucune règle d'équité. Elle est attribuée par un enseignant seul qui connait ces élèves depuis au moins un an et compte coefficient 6 ce qui écrase les autres matières. Cela viole l'esprit du baccalauréat dans les grandes largeurs.
Je considère que ceci est une infamie et je me refuse à recommencer. L'ensemble du corps inspectoral est criminel ou lâche ou les deux d'avoir laissé faire une chose pareille. Cette mécanique est conçue dans une idée de concurrence entre les enseignants mais aussi entre les établissements pour créer une dynamique de très bonnes notes à l'examen y compris et surtout si elles n'ont aucun sens. Vous avez l'explication des excellents résultats du cru 2013 du baccalauréat au moins pour la filière technologique. Cela fait plus d'un an que je me plains à mon syndicat de cet état de fait. Pas un seul compte-rendu ni localement sur Marseille ni à un plus haut niveau n'en fait mention. Je suis tout seul à avoir des problèmes de conscience. Ou alors le syndicat est activement complice de l'état de fait, le responsable local me dis : "mais non Pierre tu n'es pas tout seul". En attendant je ne vois aucune réaction et ce chez aucun syndicat. Que penser ? Soit nous sommes muselés, soit je suis le dernier idiot dans son coin.
De toute façon je n'accepte pas cette situation. Je pense au niveau toujours plus problématique des élèves, autrefois on savait parler et écrire un français très convenable après 5 ans d'étude primaire. Aujourd'hui les élèves bachelier maitrisent mal la langue, ne savent plus estimer des chiffres après 12 ans d'études. Cherchez l'erreur. La réponse de l'institution est : "oui mais les élèves savent faire d'autres choses". Je suis bien placé dans ma spécialité pour savoir que cela n'est pas vrai ! Les élèves ne maitrisent rien ou presque des techniques numériques d'aujourd'hui. Tout ce qu'ils savent faire est jouer et surfer sur internet. Cela ne fait pas un compétence professionnelle. Les médias nous rabattent les oreilles sur la perte de compétitivité du pays en laissant entendre que le coût du travail est trop élevé. Cette présentation pèche par une omission grave. La réalité est que le travail en France est trop cher pour ce que les travailleurs sont capables de faire véritablement. Et là la responsabilité de l'éducation nationale est écrasante. Qui osera le dire ? J'essaye mais je me sens bien petit. J'essaye de créer un maximum d'émoi sur la question. J'aurais pu m'immoler par le feu au milieu de la cour le jour de la rentrée des élèves, cela aurait eu plus d'allure mais je ne suis pas assez vertueux pour cela. Quand vous lirez ce texte je serai déjà mort.

Pierre Jacque
enseignant du lycée Antonin Artaud
à Marseille
Like a Star @ heaven

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"You went to a long-dead octopus for advice, and you're going to blame *me* for your problems?" -- Once Upon a Time
"The gull was your ordinary gull." -- Wittgenstein's Mistress
« Cède, cède, cède, je le veux ! » écrivait Ronin, le samouraï. (Si vous cherchez un stulo-plyme, de l'encre, récap de mars 2023)
pseudo-intello
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Sage

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par pseudo-intello Mer 1 Sep 2021 - 13:09
Like a Star @ heaven

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Puck
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par Puck Mer 1 Sep 2021 - 14:43
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Austrucheerrante
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par Austrucheerrante Mer 1 Sep 2021 - 14:59
Like a Star @ heaven , une fois de plus.
ipomee
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Guide spirituel

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par ipomee Mer 1 Sep 2021 - 15:52
Merci, Ergo, de nous rappeler ces tristes faits.
Ajonc35
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Sage

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par Ajonc35 Mer 1 Sep 2021 - 16:12
Merci de nous rappeler au souvenir de cette disparition. Des années après, cela reste d'actualité. Combien de "disparus" depuis celle de Pierre Jacques, avec des arguments similaires?
henriette
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par henriette Mer 1 Sep 2021 - 16:47
Like a Star @ heaven On ne l'oublie pas.

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Ergo
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par Ergo Mer 1 Sep 2021 - 19:13
Ajonc35 a écrit:Merci de nous rappeler au souvenir de cette disparition. Des années après,  cela reste d'actualité.  Combien de "disparus" depuis celle de Pierre Jacques, avec des arguments similaires?
Chaque 1er septembre, je relis sa lettre avec encore plus d'émotion que celui d'avant. En pensant à lui, à Christine Renon, Jean-Pascal Vernet, Lise Bonnafous, Jean Willot, Marie-Claude Lorne... la perdir en juillet dernier et tous les anonymes... qui ne font pas, eux, cette reprise, ce départ d'une nouvelle année.

Et à Fabienne Terral-Calmès et dorénavant Samuel Paty... Sad

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piesco
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Modérateur

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par piesco Mer 1 Sep 2021 - 20:09
Nous les portons avec nous. Merci pour ce rappel.

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Nos han quitado tanto, nos quitaron el miedo.
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Sophiathena
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par Sophiathena Mer 1 Sep 2021 - 20:39
Merci pour ce rappel.
Tivinou
Tivinou
Grand sage

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par Tivinou Mer 1 Sep 2021 - 20:54
Merci Ergo.
epekeina.tes.ousias
epekeina.tes.ousias
Modérateur

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par epekeina.tes.ousias Jeu 2 Sep 2021 - 7:47
Pfff… Mais quel gâchis!… Like a Star @ heaven

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Si tu vales valeo. Wink
Voltaire
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par Voltaire Jeu 1 Sep 2022 - 7:28
9 ans aujourd'hui. En 2013, c'était un dimanche veille de rentrée. Pas un mot à changer.

Les professeurs enseignant
dans les classes de STI2D
du lycée Artaud
25 chemin notre dame de la consolation
13013 Marseille

Mesdames et Messieurs les journalistes,

En accord avec la famille de Pierre Jacque nous vous prions de bien vouloir trouver le communiqué ci-joint.
Ce dimanche 01 septembre, veille de la pré-rentrée scolaire, notre collègue enseignant et ami Pierre Jacque s'est donné la mort. Il a adressé à tout le corps enseignant du lycée avant de commettre cet acte apparemment totalement lié à l'exercice de son métier et longuement réfléchi une lettre d'explication. Nous vous la transmettons dans son intégralité. Son contenu retrace des faits avérés et induit des questions auxquelles nos institutions doivent apporter des réponses concrètes et adaptées. Pierre était âgé de 55 ans, il était père de famille, d'une grande conscience professionnelle et d'une érudition sans limite il supplantait beaucoup d'entre nous dans énormément de domaines (électronique, informatique....). Après discussion entre ses collègues de travail les plus proches, il a été décidé de rendre sa lettre d'explication publique en pages suivantes.

Ses collègues et ami-e-s du lycée.
Nous restons disponibles pour tout renseignement complémentaire.
La lettre est à lire en pages 2, 3 et 4 de ce document :
http://www.aix.snes.edu/IMG/pdf/hommage_a_pierre_jacque.pdf

Nous en reproduisons le texte ci-dessous :

***

"Le 1 septembre 2013

De Pierre JACQUE
Enseignant d'électronique

Objet : Evolution du métier d'enseignant.

A ma famille, à mes proches
et à tous ceux que mon témoignage intéressera.

Je vous fais part de ma décision de ne pas faire la rentrée scolaire 2013. En effet le métier tel qu'il est devenu au moins dans ma spécialité ne m'est plus acceptable en conscience.

Pour éclairer ma décision je vous décris succinctement mon parcours personnel. Je suis devenu ingénieur en électronique en 1982 à l'âge de 24 ans. Ma formation initiale et surtout mon parcours professionnel m'ont amené à exercer dans la double compétence "hard" et "soft". Le métier prenant et difficile m'a toujours convenu tant que j'avais le sentiment de faire œuvre utile et d'être légitime dans mon travail. Passé la quarantaine la sollicitation de plus en plus pressente d'évoluer vers des tâches d'encadrement et le sort réservé à mes ainés dans mon entreprise m'ont incité à changé d'activité. En 1999 j'ai passé le concours du capet externe de génie électrique et j'ai enseigné en section SSI et STI électronique. Le choc pour moi fut brutal de constater la baisse de niveau des sections techniques en 18 ans passé dans l'industrie notamment pour la spécialité agent technique (niveau BTS ou DUT suivant les cas). Même si le niveau enseigné était bien bas de mon point de vue, ma compétence était au service des élèves et je me sentais à ma place. Une difficulté était quand même le référentiel applicable (le programme) datant des années 80, ambitieux pour l'époque et en total décalage avec le niveau réel des élèves des années 2000. Une réforme semblait souhaitable pour officialiser des objectifs réalistes et orientés en fonction des besoins du marché du travail.

Puis vint la réforme de 2010 mise en place par Luc Chatel et applicable à la rentrée 2011. Pour le coup, le terme réforme est faible pour décrire tous les changements mis en place dans une précipitation totale. L'enseignement des métiers est réduit à peu de choses dans le référentiel de 4 spécialités seulement qui constitue des "teintures" sur un tronc commun généraliste d'une section unique appelée STI2D qui rentre bizarrement en concurrence avec la section SSI. L'électronique disparait purement et simplement. En lieu et place il apparait la spécialité "Systèmes Informatiques et Numériques". Cela ne me pose pas de problème personnel, je maitrise bien le domaine et je l'enseigne même plus volontiers que les classiques problèmes de courant de diode ou de montages amplificateurs. Je me pose quand même la question de la compétitivité de notre pays dans le domaine industriel avec un pareil abandon de compétence. La mise en place de la réforme est faite à la hussarde dans un état d'affolement que l'inspection a du mal à dissimuler. Entre temps le gouvernement a changé sans que les objectifs soient infléchis le moins du monde ou qu'un moratoire soit décidé, ne serait-ce qu'à cause du coût astronomique de cette réforme. En effet il aura fallu réorganiser l'implantation de tous les ateliers de tous les lycées techniques de France, abattre des cloisons, en remonter d'autres à coté, refaire tous les faux plafonds, les peintures et renouveler les mobiliers. Ceci est fait à l'échelle du pays sans que la réforme ait été testée préalablement dans une académie pilote. Début 2011, l'inspection nous convoque en séminaire pour nous expliquer le sens et les modalités de la réforme ; il apparait la volonté de supprimer toute activité de type cours ce qui est la radicalisation d'une tendance déjà bien marquée. On nous assène en insistant bien que l'élève est acteur de son propre savoir, qu'il en est le moteur. Pour les spécialités, donc la mienne SIN entre autre, cela signifie qu'une partie conséquente de l'activité sera de type projet. A l'époque les chiffres restent vagues, il est question de 50% du temps au moins. La nature des projets, la façon de les conduire, la façon de les évaluer ne sont pas évoquées et les questions que posent les enseignants à ce sujet restent sans réponses, nous serons mis au courant après la rentrée de septembre. En attendant l'inspection nous fait entièrement confiance pour continuer comme d'habitude. Je fais remarquer qu'il ne faudra pas tarder car nous préparons les élèves au bac en deux ans et que la connaissance des modalités d'examens est incontournable rapidement après la rentrée pour un travail efficace, c'est-à-dire sans perte de temps. Lors de la réunion suivante, après la rentrée 2011, l'inspecteur répond un peu agacé à la même question "que notre travail c'est d'enseigner et que l'évaluation verra après" (sic). En attendant le travail devant élève est commencé et moi et mes collègues travaillons à l'estime. Le manque de matériel se fait cruellement sentir dans mon lycée, les travaux nécessaires ne seront faits qu'à l'été 2012. Lors d'une réunion aux alentours de février il nous est demandé pour la prochaine réunion d'exposer l'état d'avancement de la réforme et si possible les projets envisagés ou mieux déjà mis en œuvre. A ce moment je viens juste de recevoir un premier lot de matériel et je ne dispose du logiciel correspondant que depuis novembre. La pression amicale mais réelle pour commencer les projets va aller augmentant.

J'ai un groupe de 16 élèves et un autre de 15 dans une salle qui est déjà trop étroite pour recevoir proprement 14 élèves en travaux pratiques et avec un matériel réduit qui ne me permets qu'un choix très restreint de sujets. La phase passée en projet sera cauchemardesque pour l'enseignant et la fraction d'élèves sérieux. Le dernier mois de cette année de première sera passé en activités plus classiques. A la rentrée 2012 les élèves sont maintenant en terminale, j'ai les tables de travail prévues dans une salle provisoire de 80 m2 au lieu des 140 m2 prévus. Il est difficile de bouger, le travail en travaux pratiques reste possible et je couvre ainsi la partie communication réseau de référentiel au moyen d'un logiciel de simulation. Je ne dispose pas du matériel support. On me bricole une salle de 150 m2 à partir de deux salles de cours séparées par un couloir et j'attaque les projets dans ces conditions. Le couloir sera abattu aux vacances de février.

Pendant ce temps nous avons appris que la note du bac porterait uniquement sur le projet final est que la note serait constituée de deux parties égales, une attribuée par un jury en fin d'année suite à une soutenance orale avec support informatique, l'autre attribuée par l'enseignant de l'année au vu du travail fourni par les élèves. Les critères d'évaluation portent principalement sur la gestion de projet et la démarche de développement durable. Il est explicitement exclu de juger les élèves sur les performances et la réussite du projet. Ceci appelle deux remarques. La première est que les critères sont inadaptés, les élèves sont incapables de concevoir et même de gérer un projet par eux-mêmes. De plus la démarche de développement durable est une plaisanterie en spécialité SIN où l'obsolescence programmée est la règle. Comment note-t-on alors les élèves ? A l'estime, en fonction de critères autres, l'inspection le sait mais ne veut surtout pas que la chose soit dite. Du coup cette note relève "du grand n'importe quoi" et ne respecte aucune règle d'équité. Elle est attribuée par un enseignant seul qui connait ces élèves depuis au moins un an et compte coefficient 6 ce qui écrase les autres matières. Cela viole l'esprit du baccalauréat dans les grandes largeurs.
Je considère que ceci est une infamie et je me refuse à recommencer. L'ensemble du corps inspectoral est criminel ou lâche ou les deux d'avoir laissé faire une chose pareille. Cette mécanique est conçue dans une idée de concurrence entre les enseignants mais aussi entre les établissements pour créer une dynamique de très bonnes notes à l'examen y compris et surtout si elles n'ont aucun sens. Vous avez l'explication des excellents résultats du cru 2013 du baccalauréat au moins pour la filière technologique. Cela fait plus d'un an que je me plains à mon syndicat de cet état de fait. Pas un seul compte-rendu ni localement sur Marseille ni à un plus haut niveau n'en fait mention. Je suis tout seul à avoir des problèmes de conscience. Ou alors le syndicat est activement complice de l'état de fait, le responsable local me dis : "mais non Pierre tu n'es pas tout seul". En attendant je ne vois aucune réaction et ce chez aucun syndicat. Que penser ? Soit nous sommes muselés, soit je suis le dernier idiot dans son coin.
De toute façon je n'accepte pas cette situation. Je pense au niveau toujours plus problématique des élèves, autrefois on savait parler et écrire un français très convenable après 5 ans d'étude primaire. Aujourd'hui les élèves bachelier maitrisent mal la langue, ne savent plus estimer des chiffres après 12 ans d'études. Cherchez l'erreur. La réponse de l'institution est : "oui mais les élèves savent faire d'autres choses". Je suis bien placé dans ma spécialité pour savoir que cela n'est pas vrai ! Les élèves ne maitrisent rien ou presque des techniques numériques d'aujourd'hui. Tout ce qu'ils savent faire est jouer et surfer sur internet. Cela ne fait pas un compétence professionnelle. Les médias nous rabattent les oreilles sur la perte de compétitivité du pays en laissant entendre que le coût du travail est trop élevé. Cette présentation pèche par une omission grave. La réalité est que le travail en France est trop cher pour ce que les travailleurs sont capables de faire véritablement. Et là la responsabilité de l'éducation nationale est écrasante. Qui osera le dire ? J'essaye mais je me sens bien petit. J'essaye de créer un maximum d'émoi sur la question. J'aurais pu m'immoler par le feu au milieu de la cour le jour de la rentrée des élèves, cela aurait eu plus d'allure mais je ne suis pas assez vertueux pour cela. Quand vous lirez ce texte je serai déjà mort.

Pierre Jacque
enseignant du lycée Antonin Artaud
à Marseille"
Ajonc35
Ajonc35
Sage

La lettre écrite par Pierre Jacque avant son suicide : le métier de prof n'est "plus acceptable en conscience". - Page 15 Empty Re: La lettre écrite par Pierre Jacque avant son suicide : le métier de prof n'est "plus acceptable en conscience".

par Ajonc35 Jeu 1 Sep 2022 - 7:39
Voltaire a écrit:9 ans aujourd'hui. En 2013, c'était un dimanche veille de rentrée. Pas un mot à changer.

Les professeurs enseignant
dans les classes de STI2D
du lycée Artaud
25 chemin notre dame de la consolation
13013 Marseille

Mesdames et Messieurs les journalistes,

En accord avec la famille de Pierre Jacque nous vous prions de bien vouloir trouver le communiqué ci-joint.
Ce dimanche 01 septembre, veille de la pré-rentrée scolaire, notre collègue enseignant et ami Pierre Jacque s'est donné la mort. Il a adressé à tout le corps enseignant du lycée avant de commettre cet acte apparemment totalement lié à l'exercice de son métier et longuement réfléchi une lettre d'explication. Nous vous la transmettons dans son intégralité. Son contenu retrace des faits avérés et induit des questions auxquelles nos institutions doivent apporter des réponses concrètes et adaptées. Pierre était âgé de 55 ans, il était père de famille, d'une grande conscience professionnelle et d'une érudition sans limite il supplantait beaucoup d'entre nous dans énormément de domaines (électronique, informatique....). Après discussion entre ses collègues de travail les plus proches, il a été décidé de rendre sa lettre d'explication publique en pages suivantes.

Ses collègues et ami-e-s du lycée.
Nous restons disponibles pour tout renseignement complémentaire.
La lettre est à lire en pages 2, 3 et 4 de ce document :
http://www.aix.snes.edu/IMG/pdf/hommage_a_pierre_jacque.pdf

Nous en reproduisons le texte ci-dessous :

***

"Le 1 septembre 2013

De Pierre JACQUE
Enseignant d'électronique

Objet : Evolution du métier d'enseignant.

A ma famille, à mes proches
et à tous ceux que mon témoignage intéressera.

Je vous fais part de ma décision de ne pas faire la rentrée scolaire 2013. En effet le métier tel qu'il est devenu au moins dans ma spécialité ne m'est plus acceptable en conscience.

Pour éclairer ma décision je vous décris succinctement mon parcours personnel. Je suis devenu ingénieur en électronique en 1982 à l'âge de 24 ans. Ma formation initiale et surtout mon parcours professionnel m'ont amené à exercer dans la double compétence "hard" et "soft". Le métier prenant et difficile m'a toujours convenu tant que j'avais le sentiment de faire œuvre utile et d'être légitime dans mon travail. Passé la quarantaine la sollicitation de plus en plus pressente d'évoluer vers des tâches d'encadrement et le sort réservé à mes ainés dans mon entreprise m'ont incité à changé d'activité. En 1999 j'ai passé le concours du capet externe de génie électrique et j'ai enseigné en section SSI et STI électronique. Le choc pour moi fut brutal de constater la baisse de niveau des sections techniques en 18 ans passé dans l'industrie notamment pour la spécialité agent technique (niveau BTS ou DUT suivant les cas). Même si le niveau enseigné était bien bas de mon point de vue, ma compétence était au service des élèves et je me sentais à ma place. Une difficulté était quand même le référentiel applicable (le programme) datant des années 80, ambitieux pour l'époque et en total décalage avec le niveau réel des élèves des années 2000. Une réforme semblait souhaitable pour officialiser des objectifs réalistes et orientés en fonction des besoins du marché du travail.

Puis vint la réforme de 2010 mise en place par Luc Chatel et applicable à la rentrée 2011. Pour le coup, le terme réforme est faible pour décrire tous les changements mis en place dans une précipitation totale. L'enseignement des métiers est réduit à peu de choses dans le référentiel de 4 spécialités seulement qui constitue des "teintures" sur un tronc commun généraliste d'une section unique appelée STI2D qui rentre bizarrement en concurrence avec la section SSI. L'électronique disparait purement et simplement. En lieu et place il apparait la spécialité "Systèmes Informatiques et Numériques". Cela ne me pose pas de problème personnel, je maitrise bien le domaine et je l'enseigne même plus volontiers que les classiques problèmes de courant de diode ou de montages amplificateurs. Je me pose quand même la question de la compétitivité de notre pays dans le domaine industriel avec un pareil abandon de compétence. La mise en place de la réforme est faite à la hussarde dans un état d'affolement que l'inspection a du mal à dissimuler. Entre temps le gouvernement a changé sans que les objectifs soient infléchis le moins du monde ou qu'un moratoire soit décidé, ne serait-ce qu'à cause du coût astronomique de cette réforme. En effet il aura fallu réorganiser l'implantation de tous les ateliers de tous les lycées techniques de France, abattre des cloisons, en remonter d'autres à coté, refaire tous les faux plafonds, les peintures et renouveler les mobiliers. Ceci est fait à l'échelle du pays sans que la réforme ait été testée préalablement dans une académie pilote. Début 2011, l'inspection nous convoque en séminaire pour nous expliquer le sens et les modalités de la réforme ; il apparait la volonté de supprimer toute activité de type cours ce qui est la radicalisation d'une tendance déjà bien marquée. On nous assène en insistant bien que l'élève est acteur de son propre savoir, qu'il en est le moteur. Pour les spécialités, donc la mienne SIN entre autre, cela signifie qu'une partie conséquente de l'activité sera de type projet. A l'époque les chiffres restent vagues, il est question de 50% du temps au moins. La nature des projets, la façon de les conduire, la façon de les évaluer ne sont pas évoquées et les questions que posent les enseignants à ce sujet restent sans réponses, nous serons mis au courant après la rentrée de septembre. En attendant l'inspection nous fait entièrement confiance pour continuer comme d'habitude. Je fais remarquer qu'il ne faudra pas tarder car nous préparons les élèves au bac en deux ans et que la connaissance des modalités d'examens est incontournable rapidement après la rentrée pour un travail efficace, c'est-à-dire sans perte de temps. Lors de la réunion suivante, après la rentrée 2011, l'inspecteur répond un peu agacé à la même question "que notre travail c'est d'enseigner et que l'évaluation verra après" (sic). En attendant le travail devant élève est commencé et moi et mes collègues travaillons à l'estime. Le manque de matériel se fait cruellement sentir dans mon lycée, les travaux nécessaires ne seront faits qu'à l'été 2012. Lors d'une réunion aux alentours de février il nous est demandé pour la prochaine réunion d'exposer l'état d'avancement de la réforme et si possible les projets envisagés ou mieux déjà mis en œuvre. A ce moment je viens juste de recevoir un premier lot de matériel et je ne dispose du logiciel correspondant que depuis novembre. La pression amicale mais réelle pour commencer les projets va aller augmentant.

J'ai un groupe de 16 élèves et un autre de 15 dans une salle qui est déjà trop étroite pour recevoir proprement 14 élèves en travaux pratiques et avec un matériel réduit qui ne me permets qu'un choix très restreint de sujets. La phase passée en projet sera cauchemardesque pour l'enseignant et la fraction d'élèves sérieux. Le dernier mois de cette année de première sera passé en activités plus classiques. A la rentrée 2012 les élèves sont maintenant en terminale, j'ai les tables de travail prévues dans une salle provisoire de 80 m2 au lieu des 140 m2 prévus. Il est difficile de bouger, le travail en travaux pratiques reste possible et je couvre ainsi la partie communication réseau de référentiel au moyen d'un logiciel de simulation. Je ne dispose pas du matériel support. On me bricole une salle de 150 m2 à partir de deux salles de cours séparées par un couloir et j'attaque les projets dans ces conditions. Le couloir sera abattu aux vacances de février.

Pendant ce temps nous avons appris que la note du bac porterait uniquement sur le projet final est que la note serait constituée de deux parties égales, une attribuée par un jury en fin d'année suite à une soutenance orale avec support informatique, l'autre attribuée par l'enseignant de l'année au vu du travail fourni par les élèves. Les critères d'évaluation portent principalement sur la gestion de projet et la démarche de développement durable. Il est explicitement exclu de juger les élèves sur les performances et la réussite du projet. Ceci appelle deux remarques. La première est que les critères sont inadaptés, les élèves sont incapables de concevoir et même de gérer un projet par eux-mêmes. De plus la démarche de développement durable est une plaisanterie en spécialité SIN où l'obsolescence programmée est la règle. Comment note-t-on alors les élèves ? A l'estime, en fonction de critères autres, l'inspection le sait mais ne veut surtout pas que la chose soit dite. Du coup cette note relève "du grand n'importe quoi" et ne respecte aucune règle d'équité. Elle est attribuée par un enseignant seul qui connait ces élèves depuis au moins un an et compte coefficient 6 ce qui écrase les autres matières. Cela viole l'esprit du baccalauréat dans les grandes largeurs.
Je considère que ceci est une infamie et je me refuse à recommencer. L'ensemble du corps inspectoral est criminel ou lâche ou les deux d'avoir laissé faire une chose pareille. Cette mécanique est conçue dans une idée de concurrence entre les enseignants mais aussi entre les établissements pour créer une dynamique de très bonnes notes à l'examen y compris et surtout si elles n'ont aucun sens. Vous avez l'explication des excellents résultats du cru 2013 du baccalauréat au moins pour la filière technologique. Cela fait plus d'un an que je me plains à mon syndicat de cet état de fait. Pas un seul compte-rendu ni localement sur Marseille ni à un plus haut niveau n'en fait mention. Je suis tout seul à avoir des problèmes de conscience. Ou alors le syndicat est activement complice de l'état de fait, le responsable local me dis : "mais non Pierre tu n'es pas tout seul". En attendant je ne vois aucune réaction et ce chez aucun syndicat. Que penser ? Soit nous sommes muselés, soit je suis le dernier idiot dans son coin.
De toute façon je n'accepte pas cette situation. Je pense au niveau toujours plus problématique des élèves, autrefois on savait parler et écrire un français très convenable après 5 ans d'étude primaire. Aujourd'hui les élèves bachelier maitrisent mal la langue, ne savent plus estimer des chiffres après 12 ans d'études. Cherchez l'erreur. La réponse de l'institution est : "oui mais les élèves savent faire d'autres choses". Je suis bien placé dans ma spécialité pour savoir que cela n'est pas vrai ! Les élèves ne maitrisent rien ou presque des techniques numériques d'aujourd'hui. Tout ce qu'ils savent faire est jouer et surfer sur internet. Cela ne fait pas un compétence professionnelle. Les médias nous rabattent les oreilles sur la perte de compétitivité du pays en laissant entendre que le coût du travail est trop élevé. Cette présentation pèche par une omission grave. La réalité est que le travail en France est trop cher pour ce que les travailleurs sont capables de faire véritablement. Et là la responsabilité de l'éducation nationale est écrasante. Qui osera le dire ? J'essaye mais je me sens bien petit. J'essaye de créer un maximum d'émoi sur la question. J'aurais pu m'immoler par le feu au milieu de la cour le jour de la rentrée des élèves, cela aurait eu plus d'allure mais je ne suis pas assez vertueux pour cela. Quand vous lirez ce texte je serai déjà mort.

Pierre Jacque
enseignant du lycée Antonin Artaud
à Marseille"
Un visionnaire. Je pense aux lycées pro aujourd'hui qui risquent leur démantèlement sous prétexte d'efficacité. On sait l'efficacité à l'EN ( et donc au MAAF qui suit toutes les " recommandations" de l'EN)
Je n'avais pas fait attention, mais il avait le même âge que moi et cela aurait pu être ma situation. Et une famille que je n'aurais pas vu s'agrandir, des voyages que je n'aurais pas faits, bref une famille dans la peine et pour longtemps. Quand le travail tue! Je suis triste de relire cette lettre qui devrait être mise au moins une fois dans l'année sur le bureau du Ministre et du Président à minima.
Merci de nous le rappeler. Et oui, c'est encore d'actualité 😢
Ergo
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par Ergo Jeu 1 Sep 2022 - 8:17
Merci Voltaire. Like a Star @ heaven
Ma première pensée du 1er septembre est toujours pour lui, et les autres victimes de suicide, ainsi, bien sûr que pour Fabienne Terral-Calmès et Samuel Paty.

Dans le contexte de réforme à venir du lycée pro, cette lettre est d'autant plus d'actualité.

_________________
"You went to a long-dead octopus for advice, and you're going to blame *me* for your problems?" -- Once Upon a Time
"The gull was your ordinary gull." -- Wittgenstein's Mistress
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par egomet Jeu 1 Sep 2022 - 8:49
Et ceux qui s'en vont pour sauver leur peau.
Dommage que des professeurs consciencieux ne trouvent pas les ressources nécessaires pour fuir un métier ou une situation qui les mine.
Encore plus dommage, bien sûr que ces situations existent.

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par Puck Jeu 1 Sep 2022 - 10:40
Merci Voltaire.

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par epekeina.tes.ousias Jeu 1 Sep 2022 - 10:41
Merci! Like a Star @ heaven

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par gauvain31 Jeu 1 Sep 2022 - 10:44
Ni oubli, ni pardon Like a Star @ heaven
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par Ergo Ven 1 Sep 2023 - 9:36
Il y a dix ans. Dix ans aujourd'hui que Pierre Jacque se suicidait.
Une pensée particulière aux collègues des lycées professionnels.
A quelques jours du retour en classe des élèves français, Emmanuel Macron reprend lui aussi le chemin de l’école. Ce vendredi, le président de la République se rendra dans un lycée professionnel d’Orange, dans le Vaucluse, pour faire le point sur le lancement de la réforme sur ce type d’établissement. Cette réforme, qu’il avait présentée en mai, vise à transformer les lycées professionnels et l’apprentissage en « filière d’excellence » à travers une meilleure mise en valeur des formations, un meilleur encadrement des élèves et une revalorisation de la rémunération des enseignants.
https://www.20minutes.fr/politique/4051035-20230831-rentree-scolaire-2023-orange-emmanuel-macron-fera-point-reforme-lycee-professionnel

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