Assassinat de notre collègue Samuel Paty

Lefteris a écrit:Réflexion d'élève l'an dernier, je ne sais pas si je l'ai déjà dit. J'explique rapidement les funérailles nationales de V.Hugo, mentionnées dans la notice un texte, pour montrer sa célébrité et souligner  l'hommage de la République.  Un élève lance à la cantonnade "Et Johnny il n'en a pas eu, et on a  fait pour un vulgaire  prof"...

... l'exilé fiscal a déjà sa statue en face du ministère auquel il a montré un gros doigt toute sa vie.

Rien de prévu ou annoncé chez nous. Ah, mais on prépare le plan local d'évaluation.
Le sens des priorités.

Ajonc35 a écrit: Une heure, un vendredi, en fin de semaine. Merci à l'institution. Quelle grandeur! Quelle grande âme !

Réjouissons nous ! A une semaine près, c'était le dernier vendredi avant les vacances ! Ils sont futés quand même les grosses têtes de l'EN (et bien payés, eux) ! Comme Yazilikaya, je ne ferai pas un hommage improvisé à la va-vite entre 2 portes. Je n'ai pas attendu l'institution pour mettre un portrait de mon collègue dans ma classe et je parlerai de Samuel Paty dans un vrai cours pas une mascarade...

VanGogh59 a écrit:

Ajonc35 a écrit: Une heure, un vendredi, en fin de semaine. Merci à l'institution. Quelle grandeur! Quelle grande âme !

Réjouissons nous ! A une semaine près, c'était le dernier vendredi avant les vacances ! Ils sont futés quand même les grosses têtes de l'EN (et bien payés, eux) ! Comme Yazilikaya, je ne ferai pas un hommage improvisé à la va-vite entre 2 portes. Je n'ai pas attendu l'institution pour mettre un portrait de mon collègue dans ma classe et je parlerai de Samuel Paty dans un vrai cours pas une mascarade...

C'était aussi le sens de mon message initial.
Une autre fois, suite à des attentats, un hommage avait lieu un mercredi. Cette année-là je n'avais pas cours le mercredi. J'ai expliqué à mes élèves que je ne manquerais pas d'en parler à un moment approprié. Certains s'étaient plaints que ce ne soit pas fait par un enseignant d'histoire-geo. Là aussi est le problème. Rendre hommage mais pas n'importe comment et avec n'importe qui. On me demanderai de parler de la fiscalité dans le monde au moment d'un accord historique, je n'en aurais pas la légitimité.

Ici il nous est demandé de rendre hommage et d'ouvrir un temps de parole vendredi en M1. Et je ne suis pas du tout à l'aise avec cela.
Je ne me vois pas répondre aux questions des élèves ou devoir calmer des réactions innapropriées (qui, si elles advenaient nous avons ordre de faire remonter à la CPE). De plus je trouve que nous laisser seuls face à cela est encore une fois totalement innaproprié et c'est tjs la même rengaine : les profs débrouillez vous. En bref cela ne me va pas du tout.
Du coup j'hésite entre rien dire / rien faire ou envoyer un message au chef (pas trop de risque je suis tzr en suppléance) pour lui exprimer mon ressenti et lui dire que ma porte est ouverte s'il veut venir rendre hommage avec les élèves que j'aurais en classe en M1 vendredi... Après tout, eux aussi peuvent s'y coller...

Un collègue a exposé ici une façon très juste de faire, je trouve :

Si j'ai alors cours, je rappellerai simplement que notre collègue n'est pas mort d'avoir montré des affiches à ses élèves, ni de ne pas avoir été assez formé, mais bien qu'il a été assassiné pour avoir fait son travail correctement. Aucun débat, cours de [...] ensuite."

C’est n’importe quoi d’ouvrir un temps de parole. Un temps de parole pour quoi ? Et un an après qui plus est !
Le ministre parle de discuter d’esprit critique et/ou du rôle du professeur et sa légitimité.

Discuter de la légitimité de l’enseignant ? Non mais sérieusement ?! Il n’y a pas à discuter de cela. Demander de le faire c’est envoyer les collègues au casse-pipe.

Enseigner l’esprit critique ça se construit dans le cadre de l’EMC et de l’EMI. Ça ne s’improvise pas comme ça au débotté sur une heure commandée par le ministre.

C’est ce que je compte dire à mon chef demain qui souhaite recueillir nos avis pour cet hommage. Un hommage oui. Une discussion à la noix, non.

Isis39 a écrit:
Discuter de la légitimité de l’enseignant ? Non mais sérieusement ?! Il n’y a pas à discuter de cela.
(...)
Un hommage oui. Une discussion à la noix, non.

Je plussoie.

Oui, merci Isis pour ce message.
En effet, Ha@_x, je peux aussi faire comme cela.

Le problème c'est qu'il faut éviter de laisser exister deux réalités parallèles, celle des professeurs et celle de certains élèves. Ça ne sert à rien de faire nos cours sur la liberté d'expression en laissant par ailleurs des élèves penser qu'il ne s'agit que d'un discours institutionnel dont nous ne sommes que le relai quasi passif (des fonctionnaires qui fonctionnent) ou d'un discours théorique de professeur enfermé dans sa discipline d'ivoire.

Samuel Paty a d'abord été contesté par des élèves et des parents qui étaient dans un univers parallèle et certains ne l'ont peut-être quitté que trop tard.

Notre discours académique doit se confronter aux erreurs et représentations fausses des élèves, c'est notre boulot. Le silence chargé de ressentiment de certains élèves l'an dernier m'a plus inquiété que toutes les fois où j'ai dû expliciter des choix pédagogiques que des élèves contestaient du fait de leurs croyances et de leurs représentations de l'école publique, de la laïcité et des textes étudiés.

Je n'ai pas envie que l'adhésion d'une partie de mes élèves ne repose que sur le fait que, dans le fond, ils me trouvent sympa, même s'ils ne sont pas d'accord avec les valeurs que nous portons en tant qu'enseignants. C'est une situation dangereuse sur le long terme. Samuel Paty était un professeur apprécié des élèves dans l'ensemble, et tout est parti de discours et de représentations d'élèves.

D'ailleurs cette construction fallacieuse s'est construite à partir du discours d'une élève qui n'avait pas assisté à la séance. C'est assez symptomatique du danger qu'il y a à ce que notre travail ne rencontre pas les élèves et leurs représentations, quelles que soient les raisons pour lesquelles la rencontre des esprits ne se produit pas.

Il faut aller au contact et un hommage institutionnel seul ne permet pas cela.

Quand je fais cours, je dois parfois expliciter des choses qui relèvent pour moi de l'évidence, mais je m'adresse à des élèves et ils ont le droit de se tromper. S'ils ne parlent pas, je ne peux les sortir de leurs erreurs.

Tangleding a écrit:Je n'ai pas envie que l'adhésion d'une partie de mes élèves ne repose que sur le fait que, dans le fond, ils me trouvent sympa, même s'ils ne sont pas d'accord avec les valeurs que nous portons en tant qu'enseignants. C'est une situation dangereuse sur le long terme.

Je trouve moi aussi important de souligner cette idée.

En  ce moment sur Europe1 l'entretien de Sonia Mabrouck avec David Di Nota pour enquête J'ai exécuté un chien de l'enfer, ce qui va apprendre bien des choses à la plupart des auditeurs.

Edit : il semble qu'il y ait une polémique à propos de ce livre.

Même pas un an que Samuel Paty a été tué, et déjà un écrivaillon comptant pour rien qui se croit autorisé à faire son beurre en nous livrant "sa vérité" dont tout le monde se fout bien.

J'espère que la polémique se perdra comme le bouquin dans les limbes du néant auquel est voué cette répugnante sous littérature sensationnaliste.

Son propos est très à charge contre l'Inspection et l'administration de l'EN, si j'en crois l'interview d'Europe 1.

Peu m'importe son propos, je dois dire. Et je suis moi-même très critique du peu que je sais de l'action de l'EN dans ce dossier. Mais une enquête judiciaire est en cours. Je n'attends aucune complaisance de l'institution judiciaire à l'égard de l'EN. Cela, et dans une certaine mesure l'enquête CHSCT, m'intéresse davantage que la jactance de je ne sais quel histrion de la scène journalistico-littéraire. A ce stade la publication d'un bouquin sur ce dossier, et avec ce titre racoleur, me semble parfaitement obscène.

Dans mon collège, nada, personne n'en parle, ni mes collègues, ni ma direction...

C'est peu, mais tous les rectorats de France vont consacrer une salle à Samuel Paty le 15 octobre.
Une plaque sera également inaugurée.

Beaucoup de choses dans un de mes établissements, pas grand chose dans l’autre à part la consigne rectorale d’y consacrer la dernière heure de vendredi (dite heure de l’enfer). Pas sûre que le créneau soit optimal.

Oudemia a écrit:En  ce moment sur Europe1 l'entretien de Sonia Mabrouck avec David Di Nota pour enquête J'ai exécuté un chien de l'enfer, ce qui va apprendre bien des choses à la plupart des auditeurs.

Edit : il semble qu'il y ait une polémique à propos de ce livre.

L'entretien en question :

https://www.youtube.com/watch?v=Y6CsyOBjxgU




Pour David Di Nota, Samuel Paty est accusé de 4 manières: (vers 10 minutes)
- par l'élève absente du cours qui l' accuse d'être islamophobe
-sur internet par un fiché S qui amplifie ce mensonge
-Certains collègues qui laissent entendre que Samuel Paty est raciste
-Hiérarchie: Samuel Paty ne maitrise pas bien le concept de laïcité.

Cet entretien ne m'a guère convaincu : l'usage de l'expression globalisante "Education nationale" pour qualifier des interventions de différentes natures et surtout à différents moments, la reprise du filon incantatoire contre l'islamo-gauchisme, le flou du propos n'emportent pas l'adhésion.

Isis39 a écrit:C’est n’importe quoi d’ouvrir un temps de parole. Un temps de parole pour quoi ? Et un an après qui plus est !
Le ministre parle de discuter d’esprit critique et/ou du rôle du professeur et sa légitimité.

Discuter de la légitimité de l’enseignant ? Non mais sérieusement ?! Il n’y a pas à discuter de cela. Demander de le faire c’est envoyer les collègues au casse-pipe.

Enseigner l’esprit critique ça se construit dans le cadre de l’EMC et de l’EMI. Ça ne s’improvise pas comme ça au débotté sur une heure commandée par le ministre.

C’est ce que je compte dire à mon chef demain qui souhaite recueillir nos avis pour cet hommage. Un hommage oui. Une discussion à la noix, non.

Je souscris totalement. Je ferai une minute de silence, puis je travaillerai sur la liberté d'expression lorsque j'aurais besoin de le faire, dans un cours d'EMC bien construit.
Par ailleurs, je suis confortée dans cette approche depuis la conférence sur le mémoire de Samuel Paty aux RVH de Blois. Hommage construit oui, discussion, non.

Hirondelle a écrit:

Isis39 a écrit:C’est n’importe quoi d’ouvrir un temps de parole. Un temps de parole pour quoi ? Et un an après qui plus est !
Le ministre parle de discuter d’esprit critique et/ou du rôle du professeur et sa légitimité.

Discuter de la légitimité de l’enseignant ? Non mais sérieusement ?! Il n’y a pas à discuter de cela. Demander de le faire c’est envoyer les collègues au casse-pipe.

Enseigner l’esprit critique ça se construit dans le cadre de l’EMC et de l’EMI. Ça ne s’improvise pas comme ça au débotté sur une heure commandée par le ministre.

C’est ce que je compte dire à mon chef demain qui souhaite recueillir nos avis pour cet hommage. Un hommage oui. Une discussion à la noix, non.

Je souscris totalement. Je ferai une minute de silence, puis je travaillerai sur la liberté d'expression lorsque j'aurais besoin de le faire, dans un cours d'EMC bien construit.
Par ailleurs, je suis confortée dans cette approche depuis la conférence sur le mémoire de Samuel Paty aux RVH de Blois. Hommage construit oui, discussion, non.

C'était aussi le sens de mon message sur le fil. Par contre, pour avoir un esprit critique, il faut aussi des connaissances, une construction du propos et au fil des années, les élèves ont toujours été moins nombreux à les avoir. S'ils n'ont pas les connaissances, ils doivent alors chercher la meilleure information possible. Et là comment lutter avec certains réseaux sociaux ou informations glanées on ne sait où, de je ne sais qui.

Hirondelle, si j'enseignais encore, je ferais comme toi avec l'avantage de le traiter dans toutes les classes de la même manière ( avec adaptations si nécessaires selon les niveaux bien sûr).

Connaissant personnellement la famille de Samuel Paty, je pense demander à ne pas le faire. Je n'arrive pas du tout à prendre du recul Chaque fois qu'on en parle pense à sa mère et à tout ce que j'ai vécu avec elle, et j'ai juste envie de pleurer à l'idée de la douleur qu'elle doit ressentir.... et à sa soeur que je connais aussi. Lui je le connaissais un peu. Depuis le drame je fais le maximum pour éviter d'y penser. J'ai même pas réussi à écrire un mot de condoléances (j'ai essayé plusieurs fois).
Je ne sais pas si les collègues le prendront mal si je refuse, vont-ils m'en vouloir?
Déjà que même sans tout ce flot d'émotions, je me sens absolument incapable de mener un débat (sur quoi que ce soit d'autre que des maths ou des sciences), là c'est pour moi totalement inimaginable.
Je vais essayer de ne pas passer de nouveau la nuit à y penser.

PS : chez nous ce sont les professeurs principaux qui doivent s'y coller vendredi.

Flo 44 je comprends ta position. C'est tellement douloureux pour toi ...

Je ne ferai rien !

De toute façon c'est plié, la classe avec laquelle je suis tenu de le faire a interro...

Ils osent, un an après..., après avoir tiré la chasse sur l'hommage que nous devions rendre à notre collègue, je ne décolère pas.

Flo44 :
Je comprends tout à fait.